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gedie l'avoit touché, vint à Châtenay me défier de le faire pleurer. Si cela m'arrivé, dit-il, ce fera pour la premiere fois de ma vie, & jamais aucune piece ne m'a mené jufques-là. Sa réfolution l'abandonna dés le premier Acte. La reconnoillance de Jofeph & d'Heli lui tira des larmes qu'il s'efforçoit en vain de retenir. Il fe leva deux fois dans la fuite pour les aller cacher, en vous difant qu'il étoit honteux de pleurer comme un enfant. L'Auteur doit fe fouvenir avec complaifance des judicieufes réflexions que ce grand Prince fit fur tout l'Ouvrage. Combien il admira l'art du Théatre l'enchaînement naturel des Scénes, la pureté du Langage, la beauté de la verfification, & particu lierement l'exacte vray-femblance qui regnoit partout. A l'égard du grand Prince de Conti

puis je dire, MADAME, qui repréfenté l'état où le mifent ces premieres lectures; affurément l'ame des Héros doit être encore plus tendre que celle des autres.Hommes. Laiffez-moi, difoit-il, le loifir de pleurer il faut que je me remette, je ne fais plus en état d'écouter. Je crois toujours le voir riant de temps en temps au milieu de fes pleurs, par réflexion fur la foibleffe qu'il avoit de pleurer ainfi, & je vis en effet plus d'une fois fur fon vifage une expreffion bien naturelle de ce rire pleureux d'Andromaque, qu'Homere a fi magnifiquement exprimé. Mais que ne puis-je, pohr l'honneur de Jofeph & pour l'honneur des belles Lettres, redire une partie de ce que ce fçavant Prince nous fit remarquer. Ce feroit, MADAME, une Poëtique, peut

être

être plus utile que plufieurs volumes faits par les Maîtres de l'Art. Que ne nous dit-il point fur les narrations intéreffantes & pathétiques que Jofeph & Hély fe font mutuellement, fur l'artifice avec lequel le fujet s'y expofoit, fur le chemin naturel que la Piece faifoit par degrez vers le dénouement, fur les Leçons de tendreffe, de reconnoiffance de generofité, de clémence, dont tout l'Ouvrage eft animé, & qui étant comme incorporées dans les fentimens des Acteurs, inftruifent l'Auditeur, en l'intereffant infiniment plus qu'elles ne feroient fous la forme naturelle de précepte. Enfin, MADAME, il montra par fon difcours, & l'admiration que lui avoit donné Jofeph, & les raifons qu'il avoit euës de l'admirer.

Je ne vous dis rien des fentimens de Monfeigneur le Duc du Maine, il fçait la Piece prefque par cœur ; il vous en parle tous les jours lui-même; cinq Reprefentations que vous lui en avez données à Clagny; huit ou dix lectures où il a affifté l'ont toûjours également attendri. Il écouta la derniere avec plus d'émotion, de plaifir & d'attention, s'il eft poffible, qu'il n'avoit fait toutes les autres; & une approbation fi éclairée répond du fuccès de cet Ouvrage fur les cœurs bien faits, & fur les efprits raisonnables.

A

ACTEURS.

JOSEPH, fils de Jacob & de Rachel. AZANETH, femme de Jofeph.

RUBEN,

SIMEON, freres aînez de Jofeph.
JUDA,

BENJAMIN, jeune frere de Jofeph.
SEPT autres freres de Jofeph.

THIAMIS, Egyptien, principal Officier de Jofeph.

HELY, vieil Hebreu qui avoit élevé Jofeph.

THERMUTIS, Egyptienne, confidente

d'Azaneth.

OFFICIER Egyptien.

PHARAON, Roy d'Egypte.

GARDES.

La Scene eft à Memphis.

JOSEPH,

T

TRAGEDIE.

ACTE PREMIER.

SCENE I.

AZANETH, THERMUTIS.

AZANET H.

U le vois, Thermutis, Memphis impatiente, Brûle de commencer cette Feste éclatante. Mon cher Sophoneas, de gloire couronné, Et du manteau royal fi dignement orné, Dans un fuperbe Char conduit fur ces Rivages, Va des Peuples charmez recevoir les hommages. Mais quoi! dans ce bonheur qui paffe mes fouhaits, Dans ces contentemens qui te femblent parfaits,

Ce noble Epoux, helas! fi cher à ma tendreffe
Me paroît agité d'une fombre trifteffe!

THERMUTIS.

Lui des chagrins, Madame ! Et fur quoi penfez-vous
Qu'un trifte ennui fe mêle au bonheur le plus doux ?
Par fes fages confeils l'Egypte confervée,

Du Monftre de la faim par fon fecours fauvée,
Soumife avec amour, revere ses bienfaits,'

Et ce jufte devoir peut-il ceffer jamais ?

Pere commun de tous, humain, doux, acceffible,
Ses moindres actions ont un charme fenfible;
Incapable d'erreur & de foibles defirs

Toûjours du bien public faifant tous fes plaifirs,
Par des ordres conftans, où la fageffe brille,
Ce grand Etat n'eft plus qu'une feule famille,
Qui n'a de mouvement que par ses volontez,
Et ne fait que louer & benir fes bontez.

AZANETH. Y

Il le faut confeffer, fes vertus fouveraines
S'élevent au deffus des qualitez humaines !
Par la Sageffe même à toute heure infpiré,
Sur les fecrets des Dieux il paroît éclairé.
Rien de fon vafte efprit ne borne l'étendue,
Le plus fombre avenir eft prefent à fa vue

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