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Le résumé de la confidence au sujet de ce Montperreux, c'est qu'elle s'est aveuglée sur lui, sur sa fatuité, sur ses défauts, c'est qu'il a abusé de l'ascendant qu'il se sentait sur elle. Cet homme, «qui n'a d'autre passion que la fatuité,» s'est conduit en mathonnête homme. Il s'est plu à afficher en tout lieu Mme de Monnier. A l'heure où elle parle, il est à son régiment, et il continue de montrer un portrait qu'il a d'elle et des lettres :

<< Jugez de mon indignation et de ma douleur. J'ai écrit à M. de Montperreux qu'il m'avait trompée pour la dernière fois, et je lui ai redemandé les monuments de mon fol attachement: il n'a pas mème daigné me répondre. Dans toutes mes lettres qu'il affiche peut-être, l'adresse seule peut me faire rougir. On verra ses vérités les plus humiliantes et mon imbécile bonté, qui tempérait toujours des reproches amers par l'assurance du pardon sous la condition d'une conduite plus honnète. Mais ce portrait, que je n'ai pas craint de confier à des mains si perfides, peut me perdre et me perdra. Je connais M. de Monnier : dissimulé par nature, il affecte de la sécurité par amour-propre. Si la moindre circonstance de cette liaison, ou mème un soupçon bien motivé parvient jusqu'à lui, il éclatera par un coup de tonnerre. >>

Et déjà la marquise a pris son parti, déjà elle est résignée à tout. La Coutume du pays lui permet de disposer de son bien, toute jeune qu'elle est; elle a donc fait son testament en faveur d'une amie (Mme de SaintBelin), et, au premier éclat qu'elle attend, elle est résolue de s'ensevelir dans un cloître. Ici Mirabeau se lève et l'interrompt:

« Madame, je ne puis plus respirer... vos alarmes sont trop vives... M. de Monnier ne saura rien: votre portrait, vos lettres vous seront rendus; elles ne resteront point dans des mains infames qui les souillent.

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LA MARQUISE.

<< Vous! juste ciel! et de quel droit?

LE COMTE.

« Du droit que tout honnête homme a d'empêcher le crime et de défendre l'innocence. Je vais en Suisse, Madame : il faut que j'y finisse une affaire qui me lie les mains. Avant huit jours, je suis ici, et je vole à Metz. »

A Metz, où Montperreux est en garnison.- Un combat de générosité s'engage. La marquise se récrie à une telle idée :

<< Monsieur le comte, votre générosité vous aveugle. Pour empêcher un mal, vous en faites un plus grand. Vous êtes prisonnier d'État, vous vous perdriez si vous alliez chercher une affaire loin des lieux où vous êtes relégué; vous me perdriez moi-même; on croirait que vous avez reçu le prix de ce service dangereux, et que j'ai été assez vile pour l'exiger. >>

Mirabeau réfute la marquise, il la rassure, lui montre qu'il n'y a aucun éclat à craindre, que le Montperreux rendra tout sans tant de façons.

LA MARQUISE.

<< M. de Montperreux est un bretailleur qui passe sa vie dans les salles et sait se battre, tout coquin qu'il est.

LE COMTE.

« Je n'en crois rien, Madame; j'ai peu vu d'hommes si insolents avec les femmes n'être pas très-humbles avec nous. Quoi qu'il en soit, je ne vais point à Metz pour me battre, je ne me battrai point: je ne me mesure qu'avec mes égaux: un coquin n'est pas mon égal. S'il m'attaque, je sais me défendre, et son crime retombera sur sa tète; mais il ne m'attaquera point, et j'aurai vos lettres. >>

Elle a beau réclamer, elle n'est plus libre. Son plan, à lui, est déjà tout formé dans sa tête; il l'exécutera. C'est le gentilhomme, c'est le chevalier redresseur de torts, qui reparaît et se dessine ici de toute sa hauteur. Il est respectueux, il est familier, il est fraternel; c'est

par moments l'ami et presque le camarade, qui veut obliger le camarade et l'ami:

« Ce n'est point mon amour que je veux vous faire valoir: re gardez-moi comme votre frère; ne me croyez pas capable de vous rendre un service intéressé... Ne soyez point femme en cet instant. Supposez que vous êtes mon ami; que vous ne pouvez vous absenter d'ici; qu'il vous importe que j'aille à Metz à votre place. Balancerai-je ? Puis-je balancer? Non, sans doute. Eh bien! quelle différence met votre sexe à ce devoir? Parce que vous ne portez point une épaulette comme moi, je ne vous obligerai pas?... >>

Puis tout aussitôt le galant homme, l'homme amou

reux se retrouve:

<< Permettez que je baise cette belle main: je fais serment d'y remettre le portrait et les lettres qu'elle a trop légèrement confiés. Ne me faites donc plus de défense; car vous ne voudriez pas me rendre parjure, et, quand vous le voudriez, vous ne le pourriez pas. >>

Il est pressant, irrésistible, il ne veut entendre à aucune objection, à aucun ajournement:

<«< Quoi! vous voulez que je remette à quatre mois ce que je puis aujourd'hui, tandis que quatre jours peuvent vous perdre! N'en parlons plus, Madame, je vous le demande à genoux. Je pars aprèsdemain pour Berne; je serai ici à la fin de la semaine. Vous voudrez bien me donner un billet qui enjoindra simplement à M. de Montperreux de remettre au porteur votre portrait et vos lettres. Je vous dirai ensuite les mesures que je compte prendre: vous les approuverez. Je serai en vingt heures à Metz; j'y resterai à peine un jour, et, vingt heures après, vous serez tranquille, et moi heureux, trèsheureux d'avoir pu vous être utile. Je ne veux point désirer en ce moment aucune autre félicité; je suis votre ami; je veux l'ètre : j'en remplirai les devoirs avant de prononcer un nom plus doux. >>

Le Dialogue se termine ici : la marquise demande encore à en reparler; elle essaie de ne pas consentir au projet aventureux qui la charme; elle lance d'une voix touchée une dernière et faible défense: « Songez que je

ne vous permets rien, que je veux vous parler, que, si vous faites la moindre démarche sans mon aveu, je ne vous reverrai de ma vie.» Mais que de chemin en un jour! Mirabeau ne lui a pas demandé de répondre à sa déclaration d'amour du commencement: au milieu de tout ce détour et de cet apparent oubli, n'y a-t-elle pas déjà répondu ?

Il est un point pourtant sur lequel je voudrais ne pas laisser d'incertitude. Si loin que Mme de Monnier eût poussé la faiblesse avec M. de Montperreux, il n'y avait point eu de sa part faute entière et irréparable. Mirabeau la trouvait très-engagée, très-compromise, et rien de plus.

Le troisième Dialogue revient sur le hardi projet de réparation, sur les moyens : la marquise sent bien que, si elle charge Mirabeau de cet office d'aller redemander ses lettres, elle lui donne des gages, le gage le plus délicat qu'une femme puisse donner, et lui il sent aussi, malgré toutes les belles protestations d'amitié pure, que, s'il obtient un billet de la marquise qui dise: Remettez mes lettres et mon portrait au porteur, il a tout obtenu. La marquise ne se défend plus que pour s'assurer de la résolution de celui qui la combat en la servant; elle ne fait des objections que dans le désir d'être réfutée. Elle ne se dissimule pas que tout cela mène à l'amour, et elle en craint les suites. Mirabeau lui dit : « Vous ai-je demandé de la reconnaissance, Madame?» Elle lui répond bien sensément :

« Vraiment non, mais moins vous m'en demanderez et plus je vous en devrai. Cela est trop évident pour que je me le déguise. En vain me répéteriez-vous que vous ne voulez être que mon ami, vous m'avez déjà parlé comme un amant. Je ne vous en deviendrai que plus chère quand vous vous serez exposé pour moi. A votre åge on n'est pas l'ami d'une jeune femme, et je ne veux point être votre maitresse. Quand l'expérience du passé et la crainte de l'avonir ne m'éloigneraient pas de tout attachement, j'aurais mille

objections contre vous. Vous n'êtes que pour un moment à Pontarlier, et je ne sais point aimer pour un moment. Une absence peutêtre éternelle m'affligerait cruellement et me rendrait fort malheurense. Je n'ai point assez de vanité pour douter que les femmes des grandes villes ne m'eussent dans pen d'instants chassée de votre cœur. Vous avez vingt-six ans, bientôt l'amour ne sera plus l'occupation essentielle de votre vie. L'ambition vous appelle et vous séduira... >>

Objections éternelles, et que la raison d'une femme (pour peu qu'elle en ait) fait aisément à son cœur, mais que celui-ci toujours réfute ou étouffe non moins aisément! Mirabeau répond à cette crainte, et il le fait avec une sincérité incontestable dont il a donné assez de preuves dans ce qui a suivi. Selon lui, son séjour dans ce pays du Jura ne doit pas être aussi court qu'on le suppose; le dessein de son père n'est pas d'abréger cet exil; et lui-même il en est venu à renoncer à toute carrière d'ambition :

« Depuis que j'ai été à même et en état d'observer, les temps ont été si difficiles, les circonstances si fâcheuses, l'esprit du Gouvernement si bizarre, son despotisme à la fois si odieux et si insensé, que je me suis accoutumé à regarder la vie privée comme la place d'honneur (1). »

Il le disait et il le pensait alors. Cinq années de passion, d'erreur, d'entraînement et de délire, mais aussi de dévouement, de souffrance et de persécution vaillamment endurée, en seront la preuve. La singulière place d'honneur, pourtant, qu'il s'était choisie, en entendant de la sorte la vie privée, et en ne l'embrassant ainsi que pour la consumer tout entière et la ravager!

Enfin, de raison en raison, la marquise, forcée dans tous ses retranchements, cède et ne sait plus qu'opposer. Il lui présente la plume pour qu'elle écrive les

(1) Le mot est pris d'Addison.

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