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moi de ne pas manquer à ma parole, si je veux que l'on me tienne celle qui m'est donnée, et qu'en maltraitant mes égaux, je m'expose au danger d'en être maltraité à mon tour. Mais cet intérêt que j'ai d'être fidèle à mes promesses, ou de me conformer aux conventions tacites que les peuples ont faites entr'eux, est plutôt le motif qu'il n'est la règle de ma conduite.

Ceux des philosophes qui ont voulu trouver dans les conventions le titre de tous nos devoirs n'ont donc pas remonté au premier principe de ceux-ci; car il faut qu'ils avouent qu'il y a au moins un devoir antérieur à toutes les conventions, celui de leur être fidèle. Loin que cette première vérité (les hommes doivent se tenir entr'eux les promesses mutuelles qu'ils se feront) soit appuyée sur un contrat, tous les contrats l'ont au contraire supposée; et les hommes ne se sont obligés par des conventions, que, parce qu'avant d'en faire aucune, ils étoient persuadés qu'on ne pouvoit les enfreindre sans se rendre coupable.

Quel est ce principe de nos devoirs, antérieur à tout engagement et supérieur à tout intérêt; ce principe en vertu duquel le meurtrier et l'usurpateur sont non-seulement imprudens et mal avisés, mais injustes et coupables? C'est ici l'oc

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casion de développer une vérité peut-être la plus importante de toutes, et qui m'a paru l'unique bâse de la loi naturelle: le principe de tous nos devoirs est la destination des êtres.

Portons nos yeux sur tout ce qui nous environne, et parcourons tous les êtres dont la nature nous offre l'admirable assemblage. Il n'en est aucun qui n'ait sa fin, aucun dont la destination ne soit marquée : le créateur a gravé sur tous ses ouvrages l'empreinte de sa sagesse ; et le mouvement imprimé à tout l'univers, nonseulement désigne à toutes ses parties la place qui leur convient, mais fixe l'usage pour lequel elle leur fut assignée. Cette doctrine des causes finales n'a pu être niée par les impies; leur blasphême eût été trop voisin de l'absurdité. Ce soleil, qui paroît rouler dans les cieux, et qui, si loin de nos têtes, a cependant par rapport nous des effets si sensibles et si présens, a sans doute bien des destinations qui nous sont inconnues mais peut-on nier qu'il ne soit destiné à nous éclairer, à nous échauffer, à rendre nos terres fertiles, à élever jusques à la surface de l'air ces nuées fécondes qui se changent en pluies, et coulent ensuite dans des canaux aussi anciens que la terre? Est-ce par un effet du hasard que les vents poussent ces eaux et les distribuent dans

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les plaines de l'air au-dessus de tous les lieux qu'elles doivent rafraîchir ou arroser? le ruisseau qui les reçoit, ou les rassemble, n'est-il pas fait pour étanchef la soif des hommes et des animaux ces arbres qui défendent les uns et les autres des injures de l'air, et qui se couvrent de fruits pour leur nourriture, ne remplissentils pas par-là la fin pour laquelle Dieu les a fait croître sur la terre? Oui; dans l'univers tout a son usage, il n'est point d'être qui n'ait avec les autres êtres des rapports d'utilité, il n'est rien dont les lois de la nature n'aient indiqué et l'usage et la fin.

L'homme supérieur à tout ce qu'il apperçoit autour de lui; l'homme à qui tout fut donné, qui, connoissant au moins une partie des avantages qu'il peut tirer des autres créatures, a découvert quelques-unes de leurs destinations, seroit-il le seul qui n'en auroit aucune? Placé au hasard sur la surface de la terre, ne doit-il que naître, végéter et mourir ? Il n'est aucun des ouvrages du Très - Haut qui n'ait eu sa fin;

l'homme doit avoir aussi la sienne. La seule différence qu'il y a entre lui et les créatures inanimées, c'est que la destination de celles-ci est purement passive, elles ne connoissent ni n'agissent: "'homme est fait pour appercevoir sa fin

pour s'y porter librement, pour la suivre avec joie et courage.

Tel est le devoir de l'homme, il a sa destination, il peut la connoître, il doit la suivre, il ne peut s'en écarter, sans violer la première et la plus sacrée de toutes les lois.

Il ne nous reste qu'à chercher qu'elle est cette destination de l'homme, première et véritable cause de ses devoirs, et qui étant le principe de tout ce qu'il doit à ses frères est certainement l'unique et solide bâse de toute la morale.

Examinez l'homme, étudiez les différences qui le distinguent des autres animaux, et cherchez-y les indications de la fin qui lui est particulière; tout vous convaincra qu'il est destiné pour la société, c'est-à-dire, pour vivre avec ses semblables, pour réunir ses forces avec les leurs; en un mot, pour les secourir, pour en être se

couru, augmenter sans cesse par ce moyen ses

connoissances, perfectionner ses facultés, se procurer un bien-être infiniment au-dessus de celui qui est destiné aux bêtes, et régner, pour ainsi dire, sur toute la nature, par son intelligence et par sa volonté.

Voyez cet enfant qui doit exécuter un jour tant de choses admirables, il naît plús foible,

plus misérable, plus dépourvu de tout, que la bête qu'il doit un jour dompter. Celle-ci reçoit en naissant tout ce qui lui est nécessaire pour se conserver, pour se défendre et contre les injures de l'air, et contre la violence des autres animaux; la nature lui offre des alimens qui lui sont propres, et ne lui demande ni soins ni culture; le cerf oublie sa mère dès qu'il a cessé de se nourrir de son lait, il bondit dans les forêts, et il n'a aucun besoin de ses semblables; l'oiseau quitte son nid dès qu'il se sent en état de voler, et dès ce moment il vit indépendant. L'homme est le seul dont les besoins se prolongent au-delà de l'enfance, et à qui il soit impossible de vivre et de jouir seul: il arrache à la terre le bled qui le nourrit; elle lui présente des fruits acides ou amers, qu'il adoucit en les greffant. Il faut qu'il dépouille les bêtes pour se vêtir; rien de tout cela, il ne peut le faire seul. Mais lorsqu'on le voit après la découverte de ces premiers arts si nécessaires à sa conservation, tantôt fouiller jusques dans les entrailles de la terre, pour en tirer les richesses qu'elle renferme; tantôt s'ouvrir un chemin à travers les mers, pour les porter d'un hémisphère à l'autre ; tantôt trouver dans le ciel la mesure de la terre qu'il parcourt, et calculer avec une égale certitude les révolutions de l'un et de l'autre croira-t-on que ce soit par un effet

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