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différence morale fondée sur la nature de l'homme, et antérieure à toutes les conventions humaines. Si avant l'établissement des lois il n'est point d'injustice, d'où les conventions emprunteroientelles la force de produire une véritable obligation? ou les conventions ne forment pas un lien moral, ou il faut avouer que l'homme est tenu de remplir ses engagemens, non en vertu de la convention, ce seroit un cercle puéril, mais en vertu d'un principe fondé sur la nature des choses? et dès-lors il est évident que les limites qui séparent le juste et l'injuste étoient posées avant que les hommes eussent une langue commune et songeassent à se réunir en société.

Les actes de la volonté sont assujétis à des lois comme les actes de l'entendement. Ce n'est pas parce qu'il a plu aux hommes d'établir des règles de raisonnement, que ces règles sont justes et nécessaires; elles le sont par elles-mêmes: les logiciens n'y ont d'autre part que de les avoir éclaircies et rangées dans un certain ordre, et tous les efforts de l'esprit humain ne viendront jamais à bout de les changer ou de les abroger. Les règles de la volonté ne sont pas moins indépendantes du caprice des, hommes; elles émanent de la nature des choses; elles sont étroite

ment liées avec les règles de l'entendement; elles portent sur des vérités premières auxquelles la raison est forcée de consentir. La morale ainsi

que la géométrie est fondée sur des rapports éternels. Antérieurement à toute convention, le juste et l'injuste n'étoient pas moins distingués que le cercle et le triangle.

La raison découvre dans l'essence et le rapport des choses entr'elles, la différence établie par la nature entre le bien et le mal moral. C'est un moniteur qui nous éclaire et que nous ne pouvons trop consulter avant que d'agir; mais après l'action, la conscience se fait entendre à son tour sa voix redoutable porte le trouble et l'effroi dans notre ame si nous avons méprisé les conseils de la raison. La conscience dans l'ordre moral est ce jugement par lequel nous approuvons ou nous condamnons nous-mêmes nos propres actions; or, ce jugement suppose et prouve en même tems l'existence d'une loi fondée sur la nature de l'homme. Le reproche qui s'élève dans l'ame de l'assassin est nécessairement lié à une loi indépendante des conventions humaines. Le remords qui trouble la paix du méchant, et lui suscite au fond de son cœur un accusateur, un juge et un bourreau; le remords est un sentiment involontaire; l'éducation ne l'a

pas

fait naître, la réflexion ne sauroit le détruire. Le secret, le silence des lois, le pouvoir suprême. ne dérobent point le coupable à son aiguillon vengeur; il atteste hautement la présence et l'autorité d'une loi universelle que l'homme n'enfreint jamais sans trouver au-dedans de lui-même la peine de sa désobéissance. La certitude de l'impunité, le crédit, le pouvoir absolu rassurent quelquefois un scélérat contre la crainte des peines et de l'infamie, sans calmer les alarmes de sa conscience. Tibère, maître du monde, caché dans l'île de Caprée, environné des ministres de ses volontés, l'infâme Tibère ne peut tromper les remords qui le déchirent; il ne peut déguiser au sénat les terreurs dont il est agité: le désordre de son ame se peint dans cette fameuse lettre que Tacite nous a conservé pour effrayer les tyrans.

L'homme le plus corrompu ne peut refuser un hommage secret à la vertu qu'il outrage; il en emprunte le masque; il voudroit pouvoir s'en • imposer à lui-même, et se déguiser la honte de ses forfaits. Combien de fois le méchant au faîte de la grandeur, au sein des plaisirs, n'a-t-il pas envié le sort du juste indigent et persécuté ? Combien de fois l'image de la vertu trahie n'a t-elle pas porté dans son ame le remords et

l'effroi ! Qui pourroit nous peindre ces furies vengeresses qui le déchirent dans ces momens où la passion trompée ne lui laisse que le souvenir et le regret d'un crime impuissant.

Voilà le suffrage et le vœu de la nature. Interrogez tout le genre humain; consultez jusqu'à l'enfant pour qui l'aurore de la vie commence à luire, et dites-moi si toutes les voix ne se réunissent pas pour applaudir à l'homme juste et condamner le méchant? Quels doux frémissemens, quelle tendre émotion n'excite pas sur nos théâtres l'image seule de la vertu ? ces larmes délicieuses qui arrosent la scène, nous ne les donnons pas à des héros imaginaires, dont le sort ne peut nous toucher; un intérêt plus noble les fait couler, l'intérêt de la vertu qui, sous le voile de la fable, réclame encore l'hommage de

notre cœur.

C'est dans les facultés de l'homme, dans ses sentimens, dans sa nature, dans sa destination ⚫ que nous devons chercher les principes et les élémens de la loi naturelle. Cette loi, émanée de la raison souveraine, est nécessaire, immuable, universelle; elle embrasse tous les tems et tous les climats; elle commande au citoyen et au magistrat; elle se fait entendre au sein de la barbarie, comme parmi les nations policées;

elle

elle n'a besoin, pour être connue, ni de hérault ni d'interprète. Sa lumière pénètre d'elle-même dans tous les esprits; ses préceptes sont gravés dans tous les cœurs. Les hommes ne peuvent rien contre elle, parce qu'elle n'est point l'ouvrage des hommes; nulle autorité ne peut l'abolir ni même en dispenser. Tout ce qu'elle ordonne est essentiellement bon, tout ce qu'elle défend est essentiellement mauvais : les lois civiles, les conventions des particuliers ne sont justes qu'autant qu'elles ne lui sont point contraires.

Telle est l'idée que se formoient de la loi naturelle les plus sages législateurs et les plus illustres philosophes de l'antiquité. Ils la regardèrent comme l'unique bâse sur laquelle on peut asseoir la morale et la politique, comme la source de tout pouvoir législatif, la règle suprême des devoirs, le lien le plus fort, ou plutôt le seul qui puisse réunir les hommes que des passions et des intérêts contraires tendent sans cesse à diviser.

Que ces grandes vérités méritent bien d'être méditées et approfondies! Est-il pour nous un plus beau spectacle que celui de cet ordre par lequel une sage providence entretient la tranquillité publique au milieu du tumulte des pas

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