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SUR

LA VIE ET LES OUVRAGES

D'ANDRÉ CHÉNIER.

ANDRÉ CHENIER n'avait en mourant, laissé dans le souvenir de quelques amis des Muses, qu'un nom promis à la célébrité. Sa gloire était moins fondée sur des titres que sur des regrets. Son talent ne fut longtemps attesté que par des fragmens du genre de l'Élégie; mais ses vers étaient empreints de tant de grâce, ils avaient un tel parfum du génie antique, qu'il semblait qu'ils dussent se conserver dans la mémoire des gens de goût, par la tradition du plaisir qu'on éprouvait à les

connaître.

Peut-être fallait-il laisser à ce poëte, à la fois inconnu et célèbre, le prestige de

sa destinée peut-être y a-t-il quelque chose d'irréligieux à soulever le voile qui couvre une renommée d'innocence et de mystère. Pourquoi livrer les fruits imparfaits de cette muse aux hasards de nos préoccupations, et demander deux fois au jugement des hommes ce qu'ils accordent si difficilement ? J'eusse obéi à ces considérations, sans la crainte de n'être frappé de ces idées que parce qu'elles sont naturelles à ceux qui ne sont pas nés pour un grand nom, et de céder, par des abnégations faciles, à cette indifférence de la gloire qui ne suppose aucun sacrifice.

C'est surtout aux poëtes que s'adressa l'espoir de mon zèle, en mettant au jour ce recueil; c'est au peu d'hommes restés fidèles à un culte délaissé, que cette lecture peut offrir un sujet d'étude et de méditations profitables. Les livres ne manquent pas aux idées positives de ce siècle; pour quoi n'en apparaîtrait-il pas un pour ces esprits qui n'ont pas encore déserté les champs de l'imagination? Leur estime peut consoler Chénier de l'indifférence de la critique; et c'est dans cette espérance

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que j'ai rassemblé quelques documens sur
ses ouvrages et sur sa vie si rapide.
André-Marie de Chénier naquit à Cons-
tantinople, le 29 octobre 1762. Sa mère
était une Grecque dont l'esprit et la
beauté sont célèbres. Il fut le troisième
fils de M. Louis de Chénier, consul-gé-
néral de France. Le plus jeune des quatre
frères était Marie-Joseph, auteur de Fé-
nélon, de Charles IX et de Tibère.

Conduit en France à l'âge le plus tendre, André Chénier fut envoyé à Carcassonne, et confié jusqu'à neuf ans aux soins d'une tante, sœur de son père. Il commença sous le ciel du Languedoc, aux bords de l'Aude, dont les souvenirs le charmaient sans cesse, une éducation toute libre et toute rêveuse. Son père revint à Paris vers 1773, et le plaça, avec ses deux frères aînés, au collége de Navarre. Son goût pour la poésie se développa de trèsbonne heure; il savait le grec à seize ans ; il traduisit au collège une Ode de Sapho ; et cette pièce, sans être digne de voir le jour, porte déjà le caractère d'un talent très-original.

A vingt ans, tenant dans le régiment d'Angoumois, en garnison à Strasbourg. Mais il y cherchait la gloire; et ne trouvant dans cette vie oisive, dans les habitudes frivoles des officiers de ce temps-là, que de l'ennui et des dégoûts incompatibles avec son caractère, il revint, après six mois, recommencer à Paris des études fructueuses, parce qu'il les poursuivit sans distractions. et sans maîtres.

il entra comme sous-lieu

Il recherchait le commerce de tout ce que les arts, les sciences, les lettres possédaient de talens distingués. Il mérita, dès cette époque, l'honorable amitié de Lavoisier, de Palissot, de David et de Lebrun. Animé de la passion de l'étude, il se levait avant le jour pour s'occuper de ses travaux les seuls rêves de l'ambition qu'il ait connue étaient d'atteindre à l'universalité des connaissances humaines.

L'excès du travail lui causa une maladie violente. Les deux frères Trudaine, ses amis d'enfance, après avoir hâté sa guérison, le décidèrent à les accompagner en Suisse. Il fit ce voyage à vingt-deux ans.

On a retrouvé quelques notes de ses impressions passagères, mais rien qui s'y rapporte à l'idée d'écrire un ouvrage. On y sent même l'embarras d'une admiration trop excitée, et cette impuissance de l'enthousiasme qui a besoin pour créer de la magie des souvenirs.

Au retour de cette excursion toute poétique, le marquis de la Luzerne, ambassadeur en Angleterre, l'emmena avec lui. Il paraît qu'il passa à Londres des jours. pénibles. Mécontent de son sort et de sa dépendance, déjà tourmenté d'une maladie qui l'obséda toujours, il épuisa en de fréquens voyages quelques années d'une vie errante, inquiète, incertaine, et ne se fixa enfin à Paris qu'en 1788.

C'est alors, à vingt-six ans, qu'il mit dans ses travaux commencés et dans le plan des ouvrages qu'il voulait faire, une suite et un ordre constans. Charmé des Grecs, il forma son style sur leurs divins modèles; mais, frappé .de l'intolérante obstination de quelques esprits à prétendre enfermer le vol des Muses dans le cercle de leurs étroites idées, il résolut de

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