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blable dans l'Écriture, ni dans la tradition, ni | mais la raison est encore pire : « Ilme vient, ditdans les exemples approuvés. Quelques mystiques, quelque ame pieuse, qui, dans l'ardeur de son amour ou de sa joie, aura dit qu'il n'y a plus de desir, en l'entendant des desirs vulgaires, ou en tout cas des bons desirs pour certains moments, ne feront pas une loi; et plutôt il les faut entendre avec un correctif. Mais, en général, je maintiens que mettre cela comme un état, ou comme le degré suprême de la perfection et de la pureté du culte, c'est une pratique insoutenable.

Quand on n'attaque que ces endroits de l'intérieur, ce n'est point l'intérieur qu'on attaque, et c'est en vain qu'on s'en plaint; car les personnes intérieures n'ont point eu cela. Sœur Marguerite du Saint-Sacrement étoit intérieure; mais après qu'elle eut été choisie pour épouse, comblée de graces proportionnées, et élevée à une si haute contemplation, elle disoit : « Sans » la grace de Dieu je tomberois en toutes sortes » de péchés; et je la lui dois demander à toute >> heure, et lui rendre graces de la protection » qu'il me donne. » Dans sa Vie, livre vi, chapitre VIII, no 2, page 244. Sainte Thérèse étoit intérieure ; mais elle finit son dernier degré d'oraison où elle est absorbée en Dieu, en disant : << Bienheureux l'homme qui craint Dieu ! notre » plus grande confiance doit être dans la prière, >> que nous sommes obligés de faire continuelle>>ment à Dieu, de vouloir nous soutenir de sa main >> toute puissante, afin que nous ne l'offensions » point. » Château de l'ame, septième demeure, chapitre IV, page 822. On n'a qu'à lire ses lettres; on trouvera que l'état d'oraison où elle fait cette prière est celui où elle étoit après quarante ans de profession et vingt-deux années de sécheresse, portées avec une foi sans pareille parmi des persécutions inouïes.

Si on veut remonter aux premiers siècles, saint Augustin étoit intérieur; mais on n'a qu'à lire ses Confessions, qui sont une perpétuelle contemplation, on y trouvera partout des demandes qu'il fait pour lui-même, sans qu'on y puisse remarquer le moindre vestige de la perfection d'aujourd'hui. Saint Paul étoit intérieur; mais non seulement il prie pour lui-même, mais il invite les autres à prier pour lui. Priez pour moi, dit-il, mes frères. 'Sans doute qu'il faisoit lui-même la prière qu'il faisoit faire pour

lui.

Je me souviens, à ce propos, de l'endroit où il est dit que vous ne pouvez invoquer les saints en aucune sorte. Cela déja est assez étrange;

Thess. v. 25. Hebr. X111, 48.

» on, dans l'esprit que les domestiques ont besoin » d'intercesseurs, mais les épouses non. » Sur quoi se fonde cette doctrine? Sur rien, si ce n'est seulement sur le mot d'épouse. Mais toute ame chrétienne et juste est épouse, selon saint Paul; nul ne doit donc invoquer les saints, et Luther gagne sa cause et l'ame de saint Paul étoit épouse dans le degré le plus sublime, sans cesser de se procurer des intercesseurs. Enfin, qu'on me montre dans toute la suite des siècles un exemple semblable à celui dont il s'agit, je dis un exemple approuvé; je commencerai à examiner la matière de nouveau, et je tiendrai mon sentiment en suspens; mais s'il ne s'en trouve aucun, il faut qu'on cède.

Je n'ai jamais hésité un seul moment sur les états de sainte Thérèse, parceque je n'y ai rien trouvé que je ne trouvasse aussi dans l'Écriture, comme elle dit elle-même que les docteurs de son temps le reconnoissoient. C'est ce qui m'a fait estimer, il y a trente ans, sans hésiter, sa doctrine, qui aussi est louée par toute l'Église; et à présent que je viens encore de relire la plus grande partie de ses ouvrages, j'en porte le même jugement, toujours sur le fondement de l'Écriture: mais ici je ne sais où me prendre; tout est contre, et rien n'est pour.

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On dit: l'Esprit prie pour nous', il faut donc le laisser faire; mais cette parole regarde tous les états de grace et de sainteté. D'ailleurs, la conséquence n'est pas bonne : au lieu de dire Il prie en nous, donc il le faut laisser faire; il faut dire, Il prie en nous, donc il faut coopérer à son mouvement, et s'exciter pour le suivre, comme la suite le démontre. On dit que, selon le même saint Paul, le chrétien est poussé par l'Esprit de Dieu2; que Jésus-Christ dit que le chrétien est enseigné de Dieu. Cela est vrai, non d'un état particulier, mais de tous les justes; et Jésus-Christ dit expressément : Tous seront enseignés de Dieu. On ne prouve donc point, par ces paroles, cette surprenante singularité qu'on vent attribuer à un état particulier. On dit : Il est écrit, Qu'on se renonce soi-même. Est-ce à dire qu'il faut renoncer à demander ses besoins à Dieu par rapport à son salut? Ce seroit trop visiblement abuser de la parole de JésusChrist. On dit : Dieu est amour, et qui demeure dans l'amour de Dieu demeure en Dieu, et Dieu en lui: donc il n'y a qu'à demeurer, et il n'y a rien à demander. Mais cela seroit contre Jésus-Christ même, qui, après avoir dit à ses

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apôtres: Nous viendrons à lui, et nous ferons en lui notre demeure'; et encore: Demeurez en moi et moi en vous 2; et encore: Le Saint-Esprit viendra en vous, et il y demeurera3, inculque plus que jamais le commandement de la prière. Je ne sais donc, encore un coup, à quoi recourir je n'ai trouvé ni Écriture, ni tradition, ni exemple, ni personne qui pût ou qui osât dire ouvertement : En cet état ce seroit une demande propriétaire et intéressée, de demander pour soi quelque chose, si bonne qu'elle fût, à moins d'y être poussé par un mouvement particulier; et la commune révélation, le commandement commun fait à tous les chrétiens, ne suffit pas. Une telle proposition est de celles où il n'y a rien à examiner, et qui portent leur condamnation dans les termes.

J'écris ceci sous les yeux de Dieu, mot à mot comme je crois l'entendre de lui par la voix de la tradition et de l'Écriture, avec une entière confiance que je dis la vérité. Je vous permets néanmoins de vous expliquer encore peut-être se trouvera-t-il dans vos sentiments quelque chose qui n'est point assez débrouillé; et je serai toujours prêt à l'entendre. Pour moi, j'ai voulu exprès m'expliquer au long, et ne point épargner ma peine, pour satisfaire au desir que vous avez d'être instruite.

Je vous déclare cependant que je loue votre docilité, que je compatis à vos croix, et que j'espère que Dieu vous révélera ce qui reste, comme je l'ai dit après saint Paul. J'aurai encore beaucoup de choses à vous dire sur vos écrits ; et je le ferai quand Dieu m'en donnera le mouvement, comme il me semble qu'il me l'a donné à cette fois. Au reste, sans m'attendre trop à des mouvements particuliers, je prendrai pour un mouvement du Saint-Esprit tout ce que m'inspirera pour votre ame la charité qui me presse, et la prudence chrétienne. Je suis dans le saint amour de notre Seigneur, très parfaitement à vous, et toujours prêt à vous éclaircir sur toutes les difficultés que pourra produire cette lettre dans votre esprit.

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un acte réfléchi, mais très excellent, et qui peut être d'une très haute et très simple contemplation. A quoi le peuple répond avec un sentiment aussi sublime : Nous l'avons (notre cœur) à notre Seigneur; c'est-à-dire, nous l'y avons élevé, nous l'y tenons uni: ce qui emporte sans difficulté une réflexion sur soi-même; mais une réflexion qui en effet nous fait consentir à l'exhortation du prêtre, qui, en s'excitant soi-même à ce grand acte, y excite en même temps tout le peuple pour lequel il parle, et dont il tient tous les sentiments dans le sien, pour les offrir à Dieu par Jésus-Christ. Le prêtre donc, ou plutôt toute l'Église et Jésus-Christ même en sa personne, après avoir ouï de la bouche de tout le peuple cette humble et sincère reconnoissance de ses sentiments, Nous avons le cœur élevé au Seigneur, la regarde comme un don de Dieu; et afin que les assistants entrent dans la même disposition, il élève de nouveau sa voix en ces termes: Rendons graces au Seigneur notre Dieu, c'està-dire, rendons-lui graces universellement de tous ses bienfaits, et rendons-lui graces en particulier de cette sainte disposition où il nous a mis, d'avoir le cœur en haut; et tout le peuple y consent par ces paroles: Il est raisonnable, il est juste. Après quoi, il ne reste plus qu'à s'épancher en actions de graces, et commencer saintement et humblement tout ensemble, par cette action, le sacrifice de l'Eucharistie.

Voilà sans doute des actes parfaits, des actes très simples, des actes très purs, qui peuvent être, comme je l'ai dit, d'une très haute contemplation, et qui sont très assurément des actes d'une foi très vive, d'une espérance très pure, d'un amour sincère; car il est bien aisé d'entendre que tout cela y est renfermé: ce sont pourtant des actes de réflexion sur soi-même et sur ses actes propres. Et si le retour qu'on fait sur soimême, pour y connoître les dons de Dieu, étoit un acte intéressé, il n'y en auroit point qui le fût davantage que l'action de graces. Mais ce seroit une erreur manifeste de le qualifier de cette sorte, et encore plus d'accuser l'Église d'induire ses enfants à de tels actes, quand elle les induit à l'action de graces. Il en faut dire autant de la demande, qui, comme nous avons dit, n'est ni plus ni moins intéressée que l'action de graces.

Toutes ces actions sont donc pures, sont simples, sont saintes, sont parfaites, quoique réfléchies et ayant toutes un rapport à nous. Il faut que tous les fidèles se conforment au desir de l'Église, qui leur inspire ces sentiments dans son sacrifice : ce qu'on ne fera jamais; mais plutôt on fera tout le contraire, si on regarde

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ces actes comme intéressés ; car c'est leur don- | de Dieu, et un effet comme une marque de son ner une manifeste exclusion.

Il faut donc entrer dans ces actes: il faut qu'il y ait dans nos oraisons une secrète intention de les faire tous; intention qui se développe plus ou moins, suivant les dispositions où Dieu nous met; mais qui ne peut pas n'être pas dans le fond du chrétien, quoiqu'elle y puisse être plus ou moins cachée, et quelquefois tellement, qu'on ne l'y aperçoit pas distinctement. Ce sera là peut-être un dénouement de la difficulté: mais pour cela il faut changer, non seulement de langage, mais de principes, en reconnoissant que ces actes sont très parfaits en eux-mêmes, soit qu'ils soient aperçus ou non, excités ou non par notre attention et par notre vigilance: pourvu qu'on croie et qu'on sache qu'on ne les fait comme il faut qu'autant qu'on les fait par le Saint-Esprit : ce qui n'est pas d'une oraison particulière, mais commun à tous les états du christianisme, quoique non toujours exercé avec une égale simplicité et pureté. Si on entre véritablement dans ces sentiments, la doctrine en sera irrépréhensible.

AUTRE ADDITION.

amour.

réfléchis, qui sont, comme on voit, des plus
Il ne faut donc point tant blâmer ces actes
parfaits et en même temps des plus humbles, et
qui néanmoins, bien loin d'étouffer en nous l'es-
prit de demande, sont, selon saint Jean,
des fondements qui nous fait demander avec
confiance.

un

saintes doivent toujours être expressément dans Au reste, je ne veux pas dire que toutes les ames la pratique de ces actes: ce que je veux dire, c'est que ces dispositions sont saintes et parfaites, et que c'est combattre directement le SaintEsprit que de les traiter, non seulement d'imparfaites, mais encore de propriétaires et d'impures, ou de faire comme une espèce de règle pour les parfaits, des dispositions différentes.

LETTRE XIII.

DE MADAME GUYON A BOSSUET.

Elle répond à la lettre du prélat; et, en affectant une grande soumission à sa décision, elle cherche à justifier tous ses sentiments.

Je n'ai nulle peine, monseigneur, à croire que je suis trompée ; mais je ne puis ni m'en affliger ni m'en plaindre '. Quand je me suis donnée à notre Seigneur, c'a été sans réserve et sans exception; et quand j'ai écrit, je l'ai fait par obéis

que d'écrire de bonnes choses. Ma consolation est que Dieu n'en est ni moins grand, ni moins parfait, ni moins heureux pour tous mes égare

Pour m'expliquer mieux sur les actes réfléchis, en voici un de saint Jean': « Mes petits en»fants, n'aimons pas de parole ni de la langue, » mais par œuvres et en vérité. C'est par-là que »> nous connoissons que nous sommes de la vé»rité (ses enfants et animés par elle), et que » nous en persuaderons notre cœur en la pré-sance, aussi contente d'écrire des extravagances » sence de Dieu, parceque, si notre cœur nous >> reprend, Dieu est plus grand que uotre cœur, » et il connoît tout. Mes bien-aimés, si notre » cœur ne nous reprend pas, nous avons de l'as-ments. Je croirai, monseigneur, de moi tout ce »surance devant Dieu; et quoi que ce soit que » nous lui demandions, nous l'obtiendrons de » lui. » Voilà des actes manifestement réfléchis sur soi-même, et un fondement de confiance établi sur la disposition qu'on sent en son cœur. Je demande si ce sont là des sentiments des parfaits ou des imparfaits. S'ils sont des parfaits, ils ne sont donc ni intéressés ni propriétaires. On ne peut pas dire qu'ils n'en soient pas, puisque saint Jean les connoît en lui comme dans les autres. D'ailleurs on les voit expressément dans saint Paul, lorsqu'il dit, prêt à consommer son sacrifice, et dans l'état le plus parfait de sa vie : J'ai bien combattu2, et le reste. On voit qu'il s'appuie sur ses œuvres: mais comment? Il est sans doute que c'est en tant qu'elles sont

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que vous m'ordonnerez d'en croire; et je dois vous dire, pour obéir à l'ordre que vous me dondez de vous mander simplement mes pensées, que je ne sais pas comme j'ai écrit cela, qu'il ne m'en est rien resté dans la tête, et que je n'ai nulle idée de moi, n'y pensant pas même. Lorsque je puis y réfléchir, il me paroît que je me trouve au-dessous de toutes les créatures, et un vrai néant. J'ai donc l'esprit vide de toute idée de moi. J'avois cru que Dieu, en voulant se servir de moi, n'avoit regardé que mon infinie misère; et qu'il avoit choisi un instrument destitué de tout, afin qu'il ne lui dérobât pas sa gloire. Mais puisque je me suis trompée, j'accuse mon orgueil, ma témérité et ma folie, et je remercie

Voyez la Relation, scct. 11, n. 21; et les Remarques sur la Réponse à la Relation, art, μI, § VII, n. 29.

Dieu, monseigneur, qui vous a inspiré la charité | fort et puissant Dieu que par foiblesse. Il me

de me retirer de mon égarement.

Le mot de délier et de lier ne doit pas être pris au sens qu'il est dit à l'Église : c'étoit une certaine autorité que Dieu sembloit m'avoir donnée, pour tirer les ames de leurs peines et les y replonger. Mais, monseigneur, c'est ma folie qui m'a fait croire toutes ces choses, et Dieu a permis que cela se trouvoit vrai dans les ames; en sorte que Dieu, en me livrant à l'illusion, a permis que tout concourût pour me faire croire ces choses, non en manière réfléchie sur moi, ce que Dieu n'a jamais permis, ni que j'aie cru en être meilleure; mais j'ai mis simplement et sans retour ce que je m'imaginois. Je renonce de tout mon cœur à cela. Je ne puis m'ôter les idées, car je n'en ai aucune : ce que je puis, est de les désavouer.

C'est de tout mon cœur que je prends le parti de me retirer, de ne voir ni n'écrire à personne sans exception. Il y a six mois que je commence à le pratiquer: j'espère que Dieu me fera la grace de l'achever jusqu'à la mort.

Je consens tout de nouveau qu'on brûle les écrits et qu'on censure les livres, n'y prenant nul intérêt: je l'ai toujours demandé de la

sorte.

Il me semble, monseigneur, que l'exercice de la charité contient toutes demandes et toutes prières; et comme il y a un amour sans réflexion, il y a aussi une prière sans réflexion; et celui qui a cette prière substantielle satisfait à toutes les autres, puisqu'elle les renferme toutes. Elle ne les détaille pas, à cause de sa simplicité Le cœur qui veille sans cesse à Dieu attire la vigilance de Dieu sur lui. Mais je veux bien croire encore que je me trompe en ce point.

Il y a deux sortes d'ames: les unes auxquelles Dieu laisse la liberté de penser à elles, et d'autres que Dieu invite à sedonner à lui par un oubli si entier d'elles-mêmes, qu'il leur reproche les moindres retours. Ces ames sont comme des pe tits enfants qui se laissent porter à leurs pères, qui n'ont aucun soin de ce qui les regarde. Cela ne condamne pas celles qui agissent; mais pour celles-là, Dieu veut d'elles cet oubli et cette perte d'elles-mêmes, du moins je le crois de la sorte: mais puisque cela ne vaut rien, je le désavoue comme le reste.

Il me paroit, monseigneur, par tout ce que vous dites, que vous croyez que j'ai travaillé à étouffer les actes distincts, comme les croyant imparfaits. Je ne l'ai jamais fait; et quand je fus mise intérieurement dans l'impuissance d'en faire, que mes puissances furent liées, je m'en défendis de toutes mes forces; et je n'ai cédé au

semble même que cette impuissance de faire des actes réfléchis ne m'ôtoit point la réalité de l'acte; au contraire, je trouvois que ma foi, ma confiance, mon abandon ne furent jamais plus vifs, et mon amour plus ardent. Cela me fit comprendre qu'il y avoit une manière d'acte direct et sans réflexion, et je le connoissois par un exercice continuel d'amour et de foi, qui rendoit l'ame soumise à tous les événements de la Providence, qui la portoit à une véritable haine d'elle-même, n'aimant que les croix, les opprobres, les ignominies. Il me semble que tous les caractères chrétiens et évangéliques lui sont donnés. J'avoue que sa confiance est pleine de repos, exempte de souci et d'inquiétude elle ne peut faire autre chose que d'aimer, et se reposer en son amour. Ce n'est pas qu'elle se croie bonne, elle n'y pense pas : elle est comme une personne ivre, qui est incapable de toute autre chose que de son ivresse. Il me semble que la différence de ces personnes et des autres est que les premiers mangent la viande pour se nourrir, la mâchent avec soin, et que les autres en avalent la substance. Si je dis des sottises, vous me les pardonnerez, monseigneur, ne devant jamais plus écrire.

Je n'ai garde, monseigneur, de vous faire des difficultés sur votre lettre; je crois tout sans raisonner, et je vous obéirai avec tant d'exactitude, que je pars demain dès le matin. Je n'aurai plus de commerce qu'avec les filles qui me servent; et afin de ne plus écrire à personne sans exception, personne ne saura où je suis. J'enverrai de six en six mois querir ma pension; si je meurs, l'on le saura. Si Dieu vous inspire, monseigneur, de le prier pour ma conversion, j'espère que vous aurez la charité de le faire. Je ne perdrai jamais le souvenir de votre charité et des obligations que je vous ai, étant, avec beaucoup de respect et de soumission, votre très humble et très-obéissante servante.

Je pourrois vous faire remarquer, monseigneur, qu'il y a eu, en beaucoup d'endroits de mes écrits, des expressions qui sont des actes très distincts. Il seroit facile de faire voir qu'ils coulent alors de source, et pourquoi l'on exprime alors son amour, son abandon et sa foi d'une manière très distincte; qu'on le fait de même dans les cantiques ou chansons spirituelles, et qu'on ne le peut faire à l'oraison. Il y a bien des raisons de cela; mais il ne s'agit plus d'éclaircissement, il ne faut que se soumettre : c'est ce que je fais de tout mon cœur.

LETTRE XIV.

DE MADAME GUYON A MADAME DE MAINTE

NON •

Des graces de cette nature ne se refusent jamais, madame. Si vous avez la bonté de me l'accorder, j'enverrai dans huit jours chez M. le duc de Beauvilliers querir la réponse ou l'ordre

Elle la prie de lui faire donner des commissaires pour ju- qu'il vous plaira de me donner; et je me ren

ger de sa vie et de ses mœurs.

drai incessamment dans la prison qu'il vous plaira de m'indiquer, étant toujours avec le même respect et la même soumission, etc.

Juin 1694.

Tant qu'on ne m'a accusée que d'enseigner à faire l'oraison, je me suis contentée de demeurer cachée, et j'ai cru que, ne parlant ni n'écrivant à personne, je satisferois tout le monde; que je tranquilliserois le zèle de certaines personnes de probité, qui n'ont de la peine que parceque la calomnie les indispose; et que j'arrêterois par-là cette même calomnie. Mais à présent que j'apprends qu'on m'accuse de crimes, je crois devoir Envoyé par elle à Bossuet, avec la copie de la lettre pré

MÉMOIRE

DE MADAME GUYON,

cédente '.

Quoique j'eusse formé le dessein de me laisser accabler sans me justifier ni me défendre, la gloire de Dieu et l'intérêt de la vérité m'obligent aujourd'hui de rompre cette résolution. J'ai écrit à la vérité deux livres, l'un insecond, Exposition du Cantique des Cantiques. Je n'eus titulé, le Moyen court et facile de faire oraison; et le

à l'Église, aux gens de bien, à mes amis, à ma famille et à moi-même, la connoissance de la vérité. C'est pourquoi, madame, je vous demande une justice qu'on n'a jamais refusée à personne, qui est de me faire donner des commissaires, moitié ecclésiastiques et moitié laïques, tous gens d'une probité reconnue et sans aucune pré-jamais le dessein de faire imprimer ni l'un ni l'autre, que vention car la seule probité ne suffit pas dans une affaire où la calomnie a prévenu une infinité de gens.

Si l'on veut bien m'accorder cette grace, je me rendrai dans telle prison qu'il plaira à Sa Majesté et à vous, madame, de m'indiquer. J'irai avec la fille qui me sert depuis quatorze ans : l'on nous séparera, et l'on me donnera, pour me servir dans mes infirmités, qui l'on voudra.

Si Dieu veut bien que la vérité soit connue, vous verrez, madame, que je n'étois pas indigne des bontés dont vous m'honoriez autrefois. Si Dieu veut que je succombe sous l'effort de la calomnie, j'adore sa justice, et m'y soumets de tout mon cœur, demandant même la punition que ces crimes méritent.

* Pendant que M. de Meaux, comme il le marque dans sa Relation, sect. 11, n. 1, étoit occupé à désabuser madame

Guyon de ses erreurs; pour détourner l'attention à d'autres objets, elle se mit dans l'esprit de faire examiner les accusations intentées contre ses mœurs. Dans cette vue, elle écrivit à cette future protectrice qui lui avoit été montrée en vision, pour la supplier de demander au roi des commissaires, qui fussent chargés d'informer et de prononcer sur sa vie. Elle envoya à Bossuet copie de sa lettre à madame de Maintenon, et l'accompagna d'un Mémoire que nous mettrons à la suite de cette lettre.

La Beaumelle rapporte un extrait de la lettre de madame Guyon, dans son recueil des Lettres de madame de Maintenon (tom. 1, p. 249), avec quelques différences peu essentielles. Avant celle-ci il en produit une autre sur le même sujet, écrite aussi par la même, å madame de Maintenon, qui est du 7 juin 1694. Mais il paroît que ce compilateur n'a pas vu les pièces originales, ou qu'il les a travesties à son gré; car un pareil éditeur étoit peu jaloux de se distinguer par sa bonnc foi et son exactitude.

je n'avois écrits que pour mon édification particulière. Les copistes les ayant donnés pleins de fautes à des libraires, l'on fut obligé de les corriger, voyant qu'on les imprimoit de la sorte. L'on m'a recherchée, il y a près de sept ans, pour ces livres. L'on me mit au couvent des religieuses de Sainte-Marie, rue Saint-Antoine : l'on m'examina avec toute la rigueur que peuvent faire des gens fort animés l'on ne trouva rien à reprendre à mes mœurs, quelque recherche qu'on en pût faire avec un zèle plein d'amertume. Pour mes livres, je les soumis à l'Église, que je révère, à laquelle je suis et serai soumise jusqu'au tombeau. Je déclarai même que s'il y avoit quelque chose qui ne fût pas dans le pur esprit de l'Église, je priois qu'on le condamnât; et que j'aimerois mieux être brûlée, que d'altérer le moins du monde, par mon ignorance, même avec bonne intention, sa pure et chaste doctrine. C'étoit tout ce que je pouvois faire, étant femme ignorante, et mes mœurs se trouvant sans corruption.

Cependant l'on ne se contenta pas de cela, l'on me voulut obliger d'écrire que j'avois eu des erreurs. Je dis qu'il n'y avoit qu'à condamner les livres et marquer les endroits erronés, que je les condamnois de tout mon cœur; mais que je ne pouvois pas écrire que j'avois été dans l'erreur, parceque cela supposoit quelque chose de caché; que je détestois les erreurs qui s'étoient glissées par mon ignorance dans mes livres et dans mes écrits, si l'on en trouvoit; que je priois même qu'on les censurât en toute figueur.

Cela ne satisfit point; l'on me fit de grandes menaces de m'opprimer; mais je crus qu'il falloit plutôt souffrir la mort que de trahir la vérité. Madame de Maintenon, alors convaincue de mon innocence, obtint qu'on me remit en liberté. Ma liberté ne fit qu'aigrir l'ulcère, loin de le fermer l'on a indisposé tous les esprits avec plus de violence.

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