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connoissant point, à ce qu'elles disoient ouvertement. Il se trouva dans mes interrogations une lettre fausse, reconnue telle, sur laquelle M. l'official me dit qu'on m'avoit fait arrêter. J'en demandai justice : l'on ne voulut pas me la faire; cela auroit empêché ces mêmes gens de faire d'autres faussetés. Ce sont ces mêmes personnes, reconnnes faussaires, qui m'imposent aujourd'hui de nouveaux crimes.

Si l'on n'attaquoit que ma personne, je souffrirois sans me plaindre toute sorte de calomnies, ainsi que je les ai souffertes jusqu'à présent. Mais comme on se sert des crimes qu'on m'impose pour condamner la vérité, et pour tirer une fausse conclusion que tous ceux qui font oraison sont criminels, je suis obligée à la vérité de faire voir que si j'aime l'oraison, je ne suis point coupable; l'oraison et le crime étant incompatibles. Quoi! l'amour de Dieu, l'assiduité à se tenir en sa présence, pourroient rendre mauvais? Il est odieux de le penser. Ceux qui font des crimes doivent avouer, ou qu'ils n'ont pas fait oraison, ou qu'ils l'ont quittée après l'avoir faite; et c'est leur infidélité qui les a fait tomber dans le crime. Si j'avois fait les crimes dont on m'accuse, j'avouerois de bonne foi que je ne les aurois commis que parceque je me serois éloignée de mon Dieu, source de pureté, en m'éloignant de l'oraison; mais ne les ayant point commis, et n'ayant point quitté l'oraison, je dois faire voir mon innocence.

Sitôt que je sus qu'on m'accusoit d'apprendre à faire l'oraison, et que bien des gens étoient en rumeur de ce qu'une femme faisoit aimer Dieu, et portoit les jeunes dames au mépris de la vanité et au desir de leur salut; quoique ce crime me parût assez pardonnable, je voulus, à cause de la foiblesse, et pour ne point scandaliser les petits, cesser de le commettre. Je me retirai, et j'ai vécu depuis ce temps séparée du monde, saus nul commerce, mème avec ma propre famille ni avec mes amis, ayant toujours agi avec une extrême bonne foi en tout cela. J'écrivis, en me retirant, les raisons que j'avois de me retirer. Je protestai que j'étois toujours prête de venir rendre raison de ma foi, sitôt qu'on le voudroit; que si mon exil volontaire ne satisfaisoit pas, et que Sa Majesté voulût de moi un exil et une prison forcée, je m'y rendrois d'abord ; qu'elle ne seroit jamais forcée pour moi, puisque je faisois toujours mon plaisir d'obéir, même dans les choses les plus dures.

Depuis ce temps, ma retraite ni mon silence n'ayant point tranquillisé le zèle des personnes qui veulent ma perte, l'on m'a supposé, selon le bruit public, des crimes. Sitôt que je l'ai su, j'ai écrit pour prier instamment qu'on me donnât des commissaires laïques, gens d'une probité reconnue, sans passion ni prévention. J'ai offert de me rendre en quelle prison l'on voudroit, pour me faire juger dans toute la rigueur possible, ne demandant sur cela nulle grace: l'on me l'a refusé.

Je déclare de nouveau que je soumets tous mes écrits, que je renonce et déteste tout ce que mon ignorance m'y a fait mettre, qui ne se trouvera pas conforme à la pure doctrine de l'Eglise, que j'aime, que je révère, et dont je ne me veux jamais écarter. Mais je soutiens en même temps que, si on les examinoit sans prévention et qu'il me fût permis d'y répondre, il ne s'y trouveroit rien que de très catholique selon le sens que je pense. Il n'y a rien, dans l'Écriture sainte même, où la critique et la malice des hommes ne puissent donner un mauvais sens. Y a-t-il rien qui indispose plus, et qui en fasse donner un plus mauvais, que de supposer des crimes? Car enfin si j'ai fait les crimes dont on m'accuse, il les faut condamner sans

examen : et avec quelle disposition peut-on lire des livres de piété d'une personne à laquelle l'on suppose des crimes? Parce que j'ai été mise à Sainte-Marie, chacun s'est donné un droit de me calomnier, étant sûr d'être bien avoué.

Ces crimes ont été inventés d'abord par la malice d'une femme à qui j'ai refusé une aumône considérable; d'une femme qui a quitté son pays, après avoir été convaincue du vol d'une église; d'une femme chassée d'ailleurs pour sa dissolution et son hypocrisie; d'une femme qui a déja dit contre moi des calomnies reconnues fausses. C'est sur ce fondement, et sur les discours d'autres créatures qui se disent elles-mêmes abominables, que j'ai chassées et indiquées comme telles, et pour lesquelles je n'ai que de l'horreur; c'est, dis-je, sur de pareils témoignages qu'on me suppose des crimes. Qu'on examine ma vie à fond, c'est ce que je demande; et s'il se trouve un seul témoin de probité qui m'ait vu commettre quelque crime, je passe condamnation.

Je ne me plains point de ceux qui me poursuivent à présent, parcequ'ils le font par zèle: mais ce zèle n'est point établi sur la connoissance de la vérité, mais bien sur des suppositions fausses et des calomnies punissables. S'ils sont coupables, c'est en ce qu'ils ne veulent point éclaircir la vérité, et qu'on me refuse une justice qu'on n'a jamais refusée à personne.

Les raisons que j'ai eues de demander des juges laïques, gens de probité et sans prévention, sont parceque je sais que les juges ecclésiastiques n'approfondissent pas sur les crimes; et que, lorsque je demandai justice de la fausse lettre, feu M. l'official me dit qu'il falloit pardonner cela pour l'amour de Dieu. Je le fis, et c'est ce qui a donné la hardiesse à ces personnes de recommencer. J'ai raison de demander des gens de probité; puisque je sais qu'on fait ce qu'on peut pour suborner des témoins, jusqu'à promettre et donner des pensions pour cela. Il ne se trouvera dans ce siècle que trop de faux témoins pour de l'argent.

J'ai besoin de gens sans prévention, puisqu'on tâche de prévenir tous les esprits. Pour moi, je ne préviens personne : j'abandonne à Dieu ce qui me regarde; je n'écris que pour rendre témoignage à la vérité ; je ne me soucie point de ma vie. Si c'est elle qui fait de la peine, au moindre signal j'apporterai ma tête sur un échafaud; et ce me sera un avantage de mourir de la sorte. Mais je n'avouerai jamais que j'ai commis des crimes que j'abhorre, que je déteste, et dont Dieu, par son infinie miséricorde, m'a toujours préservée. Je n'ai point été élevée dans le crime : mon éducation en a été aussi éloignée que la vie que j'ai menée. J'ai été trop criminelle de ne pas assez aimer Dieu, et de n'avoir point correspondu aux graces qu'il

m'a faites.

Qu'on n'impute donc point à la vie intérieure des crimes que le démon ne vomit que pour la ternir. C'est dire que le soleil est impur et sans lumière; c'est vouloir mettre l'abomination dans le lieu saint. Il y a des gens exécrables qui le font; mais ce sont des gens sans intérieur et sans oraison, qui se vantent de leurs crimes, que le diable a suscités dans ce siècle pour obscurcir la vérité : c'est le dragon qui vomit la fumée infernale contre le soleil ; mais cette vapeur maligne retombera sur lui-même, et la vérité paroîtra au jour.

Qu'on examine mes écrits, qu'on le fasse avec exactitude et en rigueur, qu'on voie s'il n'y a rien qui ne porte à l'amour de Dieu, à l'éloignement du péché, à suivre les conseils évangéliques, pourvu qu'on ne leur donne pas un

mauvais tour. Que s'il y a quelque chose de trop fort dans les expressions, si je me suis mal expliquée, si je me suis servie de termes outrés, je suis toujours prète d'expliquer sincèrement la vérité de ce que j'ai pensé. Qui connoît mon cœur mieux que moi? qui veut juger de ma foi? Lorsque je dis, J'entends cela de cette sorte, pourquoi dire, Vous l'entendez autrement? Je déclare que cela n'est pas; que je condamne et déteste tout mauvais sens qu'on leur peut donner; que je suis toujours prête à expliquer le bon sens dans lequel je les ai écrits, à rendre raison de ma foi, et à confirmer cette même foi de mon sang.

Je sais que des gens ont falsifié de mes écrits, qu'ils y ont ajouté des choses mauvaises; mais il est aisé de voir qu'ils sont différents des originaux, et fort éloignés de l'esprit de tout le reste. Je ne me plains point de ceux qui se lient pour les décrier, s'ils croient ce qu'on leur dit de moi mais qu'ils prennent garde que dans tous les siècles le diable a fait le singe de Dieu; qu'il y a des gens abominables qui affectent une fausse piété, afin de faire décrier par-là la vraie piété, et de confondre le faux et le vrai c'est ce que j'ai prié qu'on examinåt. Les prélats ont raison de se déchaîner; mais il faut voir s'ils ne confondent point l'agneau avec le loup: ils font plus, ils crient au loup contre l'agneau, et laissent vivre le loup en paix. Je prie le Seigneur qu'il leur donne l'esprit de discernement : ils ne le peuvent avoir qu'en se dépouillaut de l'esprit de prévention, afin d'examiner dans un esprit pur, simple et droit. Il seroit aisé de voir la vérité, de la séparer de l'erreur et du mensonge.

Si l'on veut bien me donner les juges que je demande, faire examiner les crimes avant les écrits, je suis toujours prête à reparoître, afin de faire voir la vérité de ce qui me regarde. Qu'on n'effraie point les ames, les empêchant d'embrasser l'oraison, qui est la voie pure et sainte, où l'ame est éclairée de la grandeur de Dieu et de son néant, où elle est échauffée de son amour, où elle apprend à mé

priser tout ce qui n'est point Dieu, pour ne s'attacher qu'à lui seul; et non pas une école de crimes, comme on la veut faire passer. Si quelqu'un m'accuse, qu'il se présente, qu'il soit confronté, comme l'on fait dans toutes les justices réglées; mais qu'on ne se contente pas de donner des Mémoires où l'on met ce qu'on veut, parcequ'on est sûr qu'on ne sera pas obligé à le soutenir. Si ce que je demande est injuste, je me condamne moi-même; mais s'il est selon l'équité, qu'on ait la bonté de me l'accorder. Je prie Dieu, seule et souveraine vérité, de faire connoitre que je me ments point.

Une des causes de ce que je souffre aujourd'hui vient

LETTRE XV.

DE MADAME GUYON A MM. BOSSUET, Évêque de
MEAUX; DE NOailles, évêque DE CHALONS;
ET TRONSON, SUPÉRIEUR DU SÉMINAIRE De
SAINT-SULPICE,

Choisis pour examiner les livres et les états de madame
Guyon.

Elle les sollicite d'entrer dans l'examen de ses mœurs, ci s'étend sur les préventions qu'on avoit, disoit-elle, contre sa personne.

Comment pourrai-je, messeigneurs, paroître devant vous, si vous me croycz coupable des crimes dont on m'accuse? Comment pourrezvous examiner, sans horreur, des livres qui viennent d'une personne qu'on veut faire passer pour exécrable? Mais aussi comment n'y paroîtrai-je pas; puisqu'ayant pris la liberté de vous demander à Sa Majesté pour examiner ma foi, et ayant été assez heureuse d'avoir obtenu ce que je desire, ce seroit me priver de l'unique ressource qui me reste en cette vie, de pouvoir faire connoître la pureté de ma foi, la droiture de mes intentions, et la sincérité de mon cœur devant des personnes qui, quoique prévenues, ne me sont nullement suspectes, à cause de leurs lumières, de leur droiture et de leur extrême probité.

J'avois pris la liberté de demander à Sa Majesté de joindre de juges laïques, afin qu'ils approfondissent ce qui regarde mes mœurs; parceque je croyois qu'il étoit impossible qu'on pût juger favorablement des écrits d'une personne qui passe pour coupable. Je me suis offerte d'entrer en prison, ainsi que vous le verrez, messeigneurs, par la lettre ci-jointe*, si vous voulez bien vous donner la peine de la lire. J'offre plus; c'est de faire voir que je n'ai point fait les choses dont on m'accuse. Je n'attends pas que ceux qui m'accusent prouvent ce qu'ils avancent, quoique ce soit l'ordinaire; mais je m'offre de prouver que cela n'est pas. Si vous voulez bien, messeigneurs, avoir la charité d'examiner ce qui

de ce que les mêmes personnes qui m'ont toujours poursuivie et persécutée ont indisposé monseigneur l'archevê que contre moi, lui faisant comprendre que je manquois de soumission à ses ordres; quoiqu'il soit vrai que je ne me suis jamais écartée, pour peu que ce soit, du respect et de la soumission que je lui dois, ayant un respect in-regarde le criminel avant l'examen des livres, fini pour son caractère, étant prète à me soumettre de nouveau à ce qu'il ordonneroit de moi, après avoir connu la vérité par lui-même, ou par des personnes sans prévention.

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je vous en aurai une obligation infinie. Il est aisé d'informer, à charge et à décharge, de toute ma vie. Je vous dirai, messeigneurs, avec une entière ingénuité, les choses dont on m'accuse et le caractère des personnes qui m'accusent. Je suis toute prête de soutenir toutes sortes de confrontations; et je crois qu'il vous sera aisé, avec la grace de Dieu, de démêler une malignité peu commune. Vous verrez, messeigneurs, le

*A madame de Maintenon, et qui est rapportée ci-dessus.

caractère des personnes qui m'accusent; et peut-être sera-ce un grand bien pour l'Église qu'on examine qui sont les coupables, de ceux qui accusent et de celle qui est accusée.

Trois personnes de probité sont animées contre moi monseigneur l'évêque de Chartres*, parceque son zèle est trompé: il me sera aisé de faire voir par qui et comment.

M. le curé de Versailles, qui n'a pas toujours été aussi déchaîné contre moi qu'il l'est; puisqu'il m'écrivit, lorsque je sortis de Sainte-Marie, après avoir lu les livres dont il s'agit et les plus forts de mes écrits, qu'il étoit dans mes mêmes sentiments: j'en ai la lettre. Depuis ce temps, il me faisoit l'honneur de se dire de mes amis, me venoit voir plus assidûment qu'aucun autre: il a témoigné à beaucoup de mes amis l'estime qu'il faisoit de moi; même depuis la dernière fois qu'il m'est venu voir, il a dit mille biens de moi à Saint-Cyr, et ensuite beaucoup de mal.

qu'elles mettoient du rouge, que quelques unes d'elles ruinoient leurs familles par le jeu et la dépense des habits, l'on n'y trouvoit point à redire, et l'on les laissoit faire. Dès qu'elles ont eu quitté tout cela, l'on a crié comme si je les eusse perdues. Si je leur avois fait quitter la piété pour le luxe, l'on ne feroit pas tant de bruit. J'ai des témoins, des lettres écrites à M. le curé de Versailles, qui feront voir ma justification, si l'on me veut bien faire la grace de m'écouter. La troisième personne est M. Boileau *, suscité par une dévote **, qui l'assure que Dieu lui a fait connoître que je suis fort mauvaise. Cela est accompagné de choses manifestement fausses, qu'il est aisé d'avérer. Ce sont ces personnes qui par zèle animent tout le monde contre moi. Le reste des accusateurs sont tous gens avec lesquels je n'ai eu de commerce que pour leur donner l'aumône, ou les chasser et indiquer pour ce qu'ils sont.

Je dirai les choses dont on m'accuse. Je ne prétends pas, messeigneurs, vous cacher la moindre chose; parceque, grace à Dieu, je ne veux ni tromper les autres, ni me tromper moimême. Sitôt que je sus qu'on m'accusoit de diri

J'ai toujours cru qu'il falloit être éclairé sur le criminel avant toutes choses. C'est pourquoi je vous conjure, messeigneurs, par la charité de notre Seigneur Jésus-Christ, dont vous êtes pleins, de recevoir les mémoires qui vous seront donnés contre moi; d'obliger les personnes à donner leurs noms, et à vous parler à vous-mêmes. Si je suis coupable, je dois être plus punie qu'une autre, puisque Dieu m'a fait la grace de le connoître et de l'aimer; et que je ne suis point assez ignorante pour être excusée, puisque je suis assurée que Jésus-Christ et Bélial ne sont point en même lieu.

La raison de cette conduite, c'est que M. le curé de Versailles s'est imaginé que j'avois retiré madame la comtesse de Guiche et madame la duchesse de Mortemart de sa conduite, pour les mettre sous celle du père Alleaume, jésuite. Il est de fait que madame la comtesse de Gui-ger, je me retirai et ne vis plus personne, ainsi que che étoit sous la conduite du R. P. Alleaume, vous le verrez, messeigneurs, par cette autre avant que j'eusse l'honneur de la connoître : ce lettre. n'est donc pas moi qui l'y ai mise. Pour madame la duchesse de Mortemart, comme elle se croyoit obligée, en se donnant à Dieu, de quitter la cour qui lui étoit un écueil, pour se donner à l'éducation de messieurs ses enfants et au soin de sa famille, qu'elle avoit négligés jusqu'alors; en quittant Versailles et demeurant à Paris, il lui falloit un directeur à Paris. Cependant M. le curé de Versailles, qui dit avoir présentement l'oreille de madame de Maintenon, et qui l'a en effet, se plaint de deux choses opposées; l'une, de ce que j'ai ôté ces dames de la direction de leur légitime pasteur, pour les mettre sous la conduite d'un père jésuite; et l'autre, que je les dirigeois. Comment, si je les dirigeois, leur ai-je donné un directeur? Et si je leur ai donné un directeur? je ne les dirigeois donc pas. Dieu ne m'a pas abandonnée au point de me mêler de diriger, quoique je crusse alors qu'il donnoit quelquefois des expériences pour en aider les autres. Mais toutes les personnes que j'ai connues J'ai desiré monseigneur de Châlons, quoique avoient leurs directeurs. Lorsque ces dames ai-M. l'abbé de Noailles soit le plus zélé de ceux moient la vanité, qu'elles portoient des mouches, qui me décrient; tant parcequ'il y a long-temps que je sais quel est son discernement et sa piété,

* M. Godet des Marais, évêque de Chartres, qui le premier avoit découvert le nouveau quiétisme, introduit à Saint-Cyr par madame Guyon et quelques unes de ses disciples, comme M. de Meaux a soin de l'observer dans l'endroit déja cité de sa Relation.

J'ai pris la liberté de demander monseigneur de Meaux dès l'année passée, parceque j'ai toujours eu un très grand fonds de respect pour lui, que je suis persuadée de son zèle pour l'Église, de ses lumières et de sa droiture, et que j'ai toujours porté en moi la disposition d'y condamner ce qu'il y condamnera.

***

*Jean-Jacques Boileau, chanoine de Saint-Honoré, à Paris. **La sœur Rose, très célèbre dans ce temps.

*** Frère de l'évêque de Châlons, et depuis son successeur dans ce siége.

que parcequ'y ayant intérêt, à cause de madame, La seule grace que je vous demande est que

sa nièce, j'ai été bien aise qu'il connût la vérité par lui-même.

J'ai souhaité M. Tronson, quoique je susse tous les soins qu'on a pris de me décrier auprès de lui; parceque je sais quelle est sa droiture, sa piété, sa lumière, et qu'il est nécessaire qu'il connoisse par lui-même le sujet que monseigneur de Chartres a d'animer son zèle contre moi.

Je vous conjure, messeigneurs, par toute la charité qui règne dans votre cœur, de ne point précipiter cette affaire, d'y mettre tout le temps qu'il est nécessaire pour l'approfondir, et pour me faire la grace de m'entendre sur les articles qui peuvent vous faire peine. Je vous conjure aussi d'être persuadés que je vous parle sincèrement. Ayez la bonté, s'il vous plaît, de vous informer, non à ceux qui ne me connoissent pas, mais à ceux qui me connoissent, quelle est ma sincérité. Pour ce qui regarde l'article des livres et des écrits, je déclare que je les soumets de tout mon cœur, comme j'ai déja fait, ainsi que je le déclare au papier ci-joint.

Voilà un chapitre de l'Imitation de Jésus-Christ qui est l'abrégé de tout ce que j'ai écrit: je prends la liberté de l'attacher ici.

Chapitre XXXVII du livre III de l'Imitation de Jésus-Christ, de l'édition in-12, chez Desprez, libraire à Paris. S'abandonner tout à Dieu, sans vouloir reprendre le soin de soi-même.

JÉSUS-CHRIST. Mon fils, quittez-vous vousmême, et vous me trouverez, etc.

Juin 1694.

LETTRE XVI.

DE MADAME GUYON A BOSSUET.

Elle lui demande que les droits de l'oraison soient conservés.

J'ai bien de l'obligation à M. de Meaux, de vouloir bien prêter l'oreille à la justification des écrits: mais que je serois contente s'il vouloit bien ouvrir celle du cœur ; et que je serois sûre du gain de la cause de l'oraison! Pourvu que les droits de celle-ci soient conservés dans toute leur étendue, sans altération ni adoucissement, il ne m'importe ce que je devienne. Je conjure ce saint prélat que tout tombe sur moi. Je suis sûre qu'en me jetant dans la mer, ou m'enfermant dans une prison perpétuelle, la tempête contre l'oraison finira. C'est plutôt moi qu'on veut perdre; et je le mérite assez par tant d'infidélités et de propriétés secrètes que j'ai commises, si peu de pur amour et de pure souffrance.

vous employiez tout votre crédit pour cela auprès de ces messieurs*. Que la compassion ne vous arrête point, ni eux aussi; ces sentiments naturels sont indignes de Dieu que je sois la victime sacrifiée à sa justice. Mais, hélas! peut-être rejettera-t-il cette victime à cause de son impureté. Quoi qu'il en soit, je trouverai dans son sang ce grand lavoir qui nettoiera toutes mes taches, et me rendra une victime agréable à ses yeux. Ce sont là mes sentiments. Je vous prie d'avoir la bonté de leur dire ceci ; car peut-être y va-t-il de la gloire de Dieu. J'achèverai, s'il plait à Dieu, dans dix ou douze jours.

4694.

LETTRE XVII.

DE MADAME GUYON A BOSSUET.

Elle lui envoie la justification de ses écrits, et le prie d'en juger plutôt par les sentiments du cœur que par les lumières de l'esprit.

entière liberté, parceque M. le duc de Chevreuse J'ai écrit les justifications des écrits avec une me l'a ordonné de votre part. Dieu est témoin de la volonté sincère qu'il m'a lui-même donnée de vous obéir, et de penser sur moi et sur ce qui me regarde tout ce que vous m'ordonnerez d'en penser. Toutes les personnes qui m'ont connue dès mon enfance, et celles qui m'ont conduite dans tous les âges, pourroient vous assurer qu'entre toutes les graces que notre Seigueur m'a faites, celle de la simplicité et de l'ingénuité à ne leur pas cacher une pensée que j'eusse connue, et en la manière que je la connoissois, est ce qui les a toujours le plus frappées en moi.

Souffrez donc, monseigneur, qu'en continuant mes manières simples et peu usitées parmi

le monde, je prenne la liberté de vous dire que le cœur seul peut juger des écrits auxquels le cœur seul a part. Ce que j'écris, ne passant point par la tête, ne peut être bien jugé par la tête. Je vous conjure, monseigneur, par le sang de tion qu'on vous a donnée contre moi ne vous Jésus-Christ, mon cher Maître, que la prévenempêche pas de pénétrer la moelle du cèdre; que les mauvais habits dont mes expressions peu correctes et mal digérées ont couvert la vérité, ne vous la fassent pas méconnoître. C'est moi, monseigneur, qu'il faut punir; c'est ma témérité qu'il faut châtier : mais il ne faut rien

*M. de Noailles et M. Tronson, examinateurs de cette dame avec Bossuet.

ôter à la vérité, de l'intérieur, de son tout indivisi- | Ne jetez point la vue sur moi, de peur que l'horble; au contraire, il la faut tirer dans sa nudité et dans son éclat. Cela sera, en l'expliquant nettement, comme je crois avoir fait ici. Que si quelque chose vous fait encore de la peine, j'espère de l'expliquer si nettement, avec la grace de Dieu, que votre cœur entrera dans ce que votre esprit même paroit ne pas pénétrer; parcequ'il y a de certaines choses où l'expérience est au-dessus de la raison, sans être contraire à la raison. Pour connoître un ouvrage à fond, il faut entrer, en quelque manière, dans l'esprit de celui qui l'a fait.

Je vous proteste, comme il est vrai, que je n'écris point par l'esprit, et qu'il me semble, lorsque j'écris, que cela vient d'une autre source, qui est le cœur; parceque la foi, par laquelle le Seigneur m'a conduite, semble aveugler l'esprit, afin de donner plus de liberté au cœur, ou à la volonté d'aimer et de goûter Dieu.

Souffrez, monseigneur, que pour des moments je récuse votre esprit, et que j'implore la faveur de votre cœur, pour être juge des écrits que le cœur a produits. Pour ma personne, je la livre volontiers à la peine et au châtiment; et sur cela vous ne sauriez jamais vous méprendre, quelque rigueur que vous exerciez envers elle. Mais pour l'intérieur, ô monseigneur! c'est un tout auquel toutes les parties sont si nécessaires, qu'on ne peut en retrancher aucune sans le détruire. Il n'en est pas des choses de l'esprit comme de celles du corps, auquel on peut ôter certains membres sans le détruire tout-à-fait. Songez, monseigneur, que toutes les parties de l'intérieur sont des parties essentielles, des parties nobles; et que c'est le détruire, que de l'altérer.

Je vous écris, monseigneur, avec cette liberté qui ne craint rien, parcequ'elle n'a rien à perdre; mais je vous écris néanmoins avec toute la soumission possible. Démêlez, je vous conjure, en ma faveur, la liberté qui naît de la foi et de l'amour, d'avec l'audace qui naît de la présomption. Laissez pour quelque temps toutes les impressions qu'on vous a voulu donner de moi, soit bonnes, soit mauvaises. Je ne suis rien; mais voyez la possibilité et la vérité de l'intérieur dans tous ces saints que j'expose devant vos yeux *.

*Bossuet, dans sa Relation, sect. 111, n. 1, parle des écrits que madame Guyou composa pendant la durée de l'examen. » pour faire le parallèle de ses livres avec les saints Pères, » les théologiens et les auteurs spirituels. Il est clair qu'elle avoit envoyé an prélat, avec cette lettre, un écrit, dans lequel elle entreprenoit de prouver que ses expériences et toute sa doctrine étoient conformes à celles des saints, et qu'au fond elle avoit raison sur tous les points, quoique peut-être elle ne s'exprimât pas en termes assez exacts.

reur que vous en auriez ne vous donnât du dégoût. C'est la même eau pure et nette qui a passé par le canal pur et très pur de tant de saints, et qui passe aussi par un canal tout sale et impur par lui-même. Remontez à la source, monseigneur, et vous verrez que c'est le même principe et la même eau. Brisez le canal, il n'importe; mais que l'eau ne soit pas répandue sur la poussière. Recueillez-la cette eau, faites-la rentrer dans sa source, ou souffrez qu'elle coule par le canal de tant de saints. Dieu, qui veut se servir de vous afin de rassembler ce qui étoit dispersé, ne le peut qu'autant que vous perdrez toute prévention. Faites donc voir, monseigneur, que l'intérieur est de lui-même pur et sans tache, que c'est l'ame du christianisme; et qu'on punisse cette téméraire qui, par son ignorance, a avili ce qu'il y a de plus précieux sur la terre. C'est la grace que vous demande au nom de Dieu la personne du monde qui vous honore le plus, et qui est avec plus de respect et de soumission, etc.

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DE L'ABBÉ De Fénelon a BOSSUET.
Sur les écrits qu'il préparoit pour justifier madame
Guyon *.

Je suppose, monseigneur, que vous partez pour Paris aujourd'hui. Ce qui m'en console est l'espérance que vous reviendrez bientôt, et que je pourrai, à votre retour, vous entretenir de mon travail. Je crois qu'il est nécessaire que je vous le montre, et que je m'explique avec vous sur toutes les circonstances du système, avant que je le donne aux autres. Je ne puis douter que vous n'ayez la charité et la patience d'écouter tout. Pour moi, je ne souhaite que de régler, par vos décisions, tout ce que je dois dire aux autres. Je vous dirai tout; et tout ce que vous ne croirez pas bon ne sera jamais mon sentiment.

Du mercredi 14 juillet 1694.

* La Relation de Bossuet fait mention des écrits multipliés que l'abbé de Fénelon composa pour justifier madame Guyon auprès de ses examinateurs. Voyez Relation, sect. 11, n. 1, 8 et 12.

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