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près le bonheur de plaire à Dieu et de suivre en tout sa volonté, il n'en est point que j'estimasse plus en ce monde. Toute la petite église de ce lieu en seroit ravie.

La chose ne me paroît point impossible, ni même trop hardie, en prenant, comme vous feriez sans doute, les meilleures précautions: changeant de nom, marchant avec petit train, comme une petite demoiselle, on ne soupçonneroit jamais que ce fût la personne que l'on cherche; et quand vous seriez ici, nous concerterions les choses avec le plus de sûreté qu'il nous seroit possible, pour n'être pas découverts. Il vous en coûteroit un peu plus de voyager; mais à cela près, puisque vous êtes obligée de demeurer sans commerce, il seroit mieux, ce me semble, que vous fussiez éloignée, et que vous changeassiez de temps en temps de demeure dans des provinces reculées; vrai moyen de n'être pas

reconnue.

Votre état intérieur et extérieur est conduit de Dieu, d'une manière à ne laisser guère de lieu à la consultation et à la prévoyance. Si néanmoins le cœur vous dit de partir, partez avec le même abandon dont vous faites profession pour toutes choses: Dieu sera le protecteur de l'entreprise qu'il aura lui-même excitée, et il n'en arrivera que ce que nous souhaitons uniquement pour tout succès, l'accomplissement de sa très juste et plus qu'aimable volonté. Vous prendrez le carrosse de Bordeaux ; de là vous viendrez à Pau, d'où il n'y a que six lieues jusqu'ici *. Si ja saison étoit propre, le prétexte de prendre les eaux aux fameux bains de Bagnères, qui est à trois lieues d'ici, seroit fort plausible. En tout cas, en attendant le temps des eaux, vous viendriez faire un tour en cette ville, puis vous retourneriez à Pau ou à Bagnères; et ainsi à diverses reprises, selon que l'on jugeroit plus à propos.

De vous faire passer ici pour une parente de de Lasherons **, il n'y a pas d'apparence; toute sa parenté étant si connue dans ces quartiers, qu'on n'en ignore aucune personne. Vous pourriez bien mieux passer pour ma parente du côté de ma mère, qui étoit de Lion-le-Saunier, en Franche-Comté, vous faisant appeler N. Chevalier, tel qu'étoit sou nom de maison. Je crois que nous sommes encore plus unis et plus proches dans la vérité, que ne le sont les parents et alliés selon la chair. Enfin, dès que nous vous aurions sur les lieux, nous étudierions mieux tous les moyens de vous tenir cachée; et le secret n'étant

* C'est-à-dire, à Lourde, petite ville dans le Béarn, du diocèse de Tarbes. Le P. La Combe étoit alors renfermé, par ordre du roi, dans le château de cette ville. **Aumônier du château de Lourde.

confié qu'à peu de personnes, et d'une intime confidence, il y auroit tout à espérer. Voyez donc devant Dieu ce que le cœur vous dira làdessus. Si vous venez, écrivez-nous en partant de Paris, en arrivant à Bordeaux et à Pau. Nous prierons Dieu cependant de vous faire suivre courageusement son dessein, selon qu'il vous sera suggéré par son esprit et secondé par sa providence; et nous défendrons à Jeannette de mourir avant qu'elle ne vous ait vue. Quelle joie n'auroit-elle pas de vous embrasser avant que de sortir de ce monde, vous étant si étroitement unie, et pénétrant vivement votre état! Votre billet, quoique si court, l'a extrêmement réjouie : elle vous est toujours plus acquise, si l'on peut dire qu'elle puisse l'être davantage. Pour des salutations et des embrassements, elle vous en envoie une infinité des plus tendres. Elle s'est sentie inspirée de vous demander un anneau d'or pour elle, et deux en argent pour ses deux confidentes. Pour moi, vous me donnerez ce que le cœur vous dira; mais je voudrois avoir le portrait que je vous rendis à Passy, et je vous prie de ne pas me le refuser. Venez vous-même, s'il se peut ; et nous aurons tout en votre personne.

Si je vous écris quelque chose touchant votre état, ce n'est pas pour vous rassurer : l'homme est trop incapable de donner des assurances à une ame à qui Dieu les ôte toutes, et qu'il veut dans une affreuse apparence, et même conviction de perte et de désespoir. Une ruine et destruction entière n'est pas compatible avec la sécurité. Je vous en dis seulement ma pensée, sans la faire valoir, et sans prétendre qu'elle serve à autre chose.

J'ai reçu la lettre de change, mais non encore le paquet de livres. Il est vrai que vous m'avez fait plus tenir d'argent depuis environ unan, que les autres années : je le sens fort bien par l'abondance où vous m'avez mis, et je ne puis que me louer infiniment de vos charités. Ce que je vous ai touché du retranchement de ma pension se doit entendre de la moitié de celle que le roi me donne, que l'on retient encore, comme je vous l'ai mandé autrefois.

Je ne suis point avide des nouvelles du siècle; moins encore voudrois-je que vous prissiez la peine de m'en écrire. J'aurois souhaité de savoir qui l'on a fait évêque de Genève, ne l'ayant pu apprendre par la gazette. Ici tout va d'un même train. J'aurois bien des choses à vous raconter, si Dieu vouloit que je le pusse faire un jour de bouche: qu'il accomplisse en cela, comme dans tout le reste, son adorable volonté. Les amis et amies de ce lieu vous honorent et vous aiment

constamment, principalement ceux qui sont Christ, plus que je ne saurois vous l'exprimer. comme les colonnes de la petite Église.

Si vous veniez, vous ne prendriez qu'une fille, et vous lui changeriez son nom. Je ne serois pas fâché de revoir Camille je salue aussi l'autre de bon cœur. O Dieu, faites éclore dans le temps convenable ce qui est caché depuis l'éternité dans votre dessein! C'est là, ma très chère, que je vous suis parfaitement acquis.

*

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O illustre persécutée, femme forte, mère des enfants de la petite Église, servante du petit Maître qui suivez la lumière dont il vous éclaire, et le consultez dans toutes vos entreprises, et qui n'avez d'autre desir que de lui plaire, ni d'amour que pour sa sainte et adorable volonté; quelle grande et favorable nouvelle nous avez-vous annoncée! Qu'elle s'exécute, si elle est dans le dessein du ciel. Les ames de confidence de ce lieu en attendent le succès, comme une grace et une faveur du ciel. Jeannette aussi bien qu'elles, dans les ordres de la soumission au bon plaisir de Dieu, la préféreroit à tout ce que Paris et l'univers a de plus beau, de plus rare et de plus charmant; et comme elle ne fait avec l'illustre et incomparable Père ** qu'un même cœur, qu'un même esprit et une même volonté, elle ratifie et souscrit tout ce qu'il vous en écrit elle m'a chargé de vous l'assurer et

marquer.

Permettez-moi de vous dire, madame, et il est vrai, qu'il y a deux mois j'ai songé la nuit que j'avois été à Toulouse, pour vous y prendre et vous conduire dans ce canton. Que je m'estimerois heureux, madame, d'avoir l'honneur de vous aller prendre à Paris, ou en tel endroit qu'il vous plairoit me prescrire, pour vous conduire ici ou ailleurs! C'est la grace que je vous demande. O illustre persécutée! si vous le jugez à propos, pour le présent que votre main plus que libérale me fait l'honneur de m'offrir, tout ce que je vous demande dans les ordres de la Providence, c'est que je puisse avoir l'honneur et le plaisir de vous voir, que je préfère à toute autre chose. Nous avons recommandé la chose à Dieu dans nos saints sacrifices, et nous continuerons, si le Maître de la vie et de la mort n'en dispose autrement; et y avons engagé toutes les bonnes ames de ce lieu, et singulièrement celles de l'étroite confidence. Tout est entre les mains de la puissance souveraine : que tout soit pour sa gloire et son honneur. Je finis, madame, en vous protestant que je vous honore, vous estime et vous aime en notre Seigneur Jésus

*Il appelle ainsi l'enfant Jésus. (Edit. de Vers.) ** Le père La Combe lui-même.

Ce 10 octobre 1695.

LETTRE XLV.

DU P. LA COMBE A MADAME GUYON. Sur les délais de son voyage, le desir qu'auroient de la voir toutes les personnes qui tui étoient attachées; et sur son explication de l'Apocalypse.

Je reçois la vôtre, du 28 octobre, à laquelle je réponds le même jour je le fis de même l'autre fois avec diligence, et encore par l'ordinaire suivant. Vous avez de trop bonnes raisons de ne pas vous mettre en voyage devant l'hiver, pour que nous y apportions la moindre contradiction. Quelque desir que nous ayons de vous voir, nous préférons votre conservation à la joie que nous causeroit un si grand bien, remettant de plus tous nos souhaits entre les mains de Dieu.

Il y a en ce pays des eaux de toutes sortes, pour différents maux : il y en a pour boire et pour le bain, et en trois ou quatre lieux différents. Celles de Bagnères sont les plus renommées: on y vient de toutes parts, et je crois qu'elles vous seroient utiles, si Dieu vous donne le mouvement d'y venir. O quelle satisfaction pour nous tous! Je ne l'espère presque plus, voyant un délai considérable, pendant lequel il peut arriver quelque changement considérable, sinon par notre élargissement, du moins par notre mort. Vos infirmités sont extrêmes, et par leur excès et par leur durée : bonnes et fortes croix pour l'assaisonnement des autres dispositions. La même toute puissante main qui vous frappe vous soutienne et vous conserve jusqu'au comble des souffrances et des épreuves qu'elle vous a destinées!

Ce comble semble approcher pour notre chère Jeannette, qui s'use et s'affoiblit de plus en plus : nous n'osons presque plus lui donner de remèdes, crainte qu'elle ne puisse pas les supporter. Elle vous embrasse de tout son cœur, sensible à vos maux et tendrement compatissante. Vous courez grande fortune de ne vous voir l'une et l'autre qu'en l'autre monde : j'en dis de même de vous et de moi. Les autres filles vous saluent avec une estime et un amour très particulier. L'affection et le zèle de M. Lasherons sont très grands assurément : il n'épargneroit ni sa bourse ni sa personne pour vous rendre service; mais comme sa présence est trop nécessaire et trop remarquée dans ce lieu, une longue absence causeroit une admiration plus propre à éventer

le mystère qu'à le bien ménager. Pour moi, je vous suis toujours également acquis en notre Seigneur. Votre explication de l'Apocalypse me paroît très belle, très solide et très utile. Je ne m'étends pas davantage, jusqu'à ce que nous sachions si notre nouvelle adresse réussira.

Que nous dites-vous? qu'on vous a empoisonnée *? Est-il possible que la malice soit allée jusqu'à un tel excès? Mais comment votre corps, si délicat et si foible, a-t-il pu résister à la violence du poison? Avez-vous su par quelles

de vous assurer de leurs respects très humbles : toute vous honore parfaitement, et vous salue de toute la force de leurs cœurs. Je vous suis invariablement acquis et attaché avec la grace de mon Dieu.

Ce 14 novembre 1695.

LETTRE XLVI.

DU P. LA COMBE A MADAME GUYON.

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mains ce crime a été commis? Pauvre victime, Sur les présents de cette dame, les prétendues persécu

il faut bien que vous souffriez toutes sortes de maux la gloire de Dieu paroîtra hautement en vous. Nous saluons tous cordialement ces bonnes filles qui sont avec vous: Dieu fait aux nôtres de très sensibles miséricordes.

La joie de la petite société, madame, dans le desir ardent qu'elle avoit d'avoir l'honneur de vous voir, et de la consolation qu'elle attendoit d'un bien si précieux, a été bien courte. Mais comme uniquement la volonté de Dieu est tout le bien de la petite Église, elle seule lui suffit pour toute prétention. Plaise au petit Maitre de nous y rendre souples et parfaitement soumis! Je le serai toujours, madame, à votre égard; et s'il est dans le dessein de Dieu que vous veniez dans ce canton, je me rendrai ponctuellement dans l'endroit que vous me ferez l'honneur de me marquer, n'en déplaise au très révérend et très vénérable Père. Je ne rougirai jamais, madame, en présence de qui que ce soit, de confesser la pureté de votre doctrine, discipline et mœurs, comme je l'ai fait en présence de notre prélat, à son retour de Paris, au sujet de l'illustre et plus qu'aimable Père. Il ne manque point ici d'Egyptiens, qui cherchent les petits premiers-nés des Israélites pour les submerger. J'ai consulté un fameux médecin au sujet de vos incommodités; il m'a assuré que les eaux de Cauterets se boivent pour vos maux. Elles sont à quatre lieues de cette ville; et pour y aller, il y faut passer nécessairement. Ces eaux font des effets merveilleux. Il m'a demandé si je savois de quel poison vous aviez été empoisonnée je lui ai dit que non. Il m'a prié de vous le demander; que si vous l'ignoriez, du moins de savoir les symptômes que le poison vous a causés dans le commencement, parceque par les symptômes il connoîtra le poison. Il m'a protesté qu'il avoit des remèdes admirables, singulièrement pour cela.

La petite société m'a recommandé par exprès

* On ne voit pas sur quel fondement madame Guyon auroit pu mander an père La Combe qu'on l'avoit empoisonnée.

tions qu'elle souffroit, et ses commentaires sur l'Écriture sainte.

Je reçus hier votre lettre, où étoient les anneaux : la joie en a été grande dans notre petite Église. Vous pouvez bien croire que j'en ai eu ma bonne part, d'autant plus que le temps me paroissoit long depuis la réception de la précédente. Ce me sera toujours non moins un plaisir qu'un devoir de répondre à vos bontés vraiment excessives envers moi, du moins par le commerce de lettres, autant que la divine Providence m'en fournira les moyens, comme elle l'a fait jusqu'à présent d'une manière admirable.

Il faut qu'on soit bien acharné contre vous, pour ne vous laisser point de repos, après qu'on vous a tant tourmentée, et que vous avez donné une ample satisfaction à ce qu'on a exigé de vous *. C'est que le tout petit et très grand Maître n'a pas encore achevé son œuvre en vous, ni comblé la mesure de vos souffrances. Cependant il vous protége sensiblement, vous tenant cachée avec lui dans le sein de son Père, malgré toutes les poursuites de vos adversaires.

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Songez donc à faire le grand voyage vers le printemps, afin que nous ayons la satisfaction de vous voir et de vous rendre quelques services. Vous ne trouverez pas ailleurs une société qui vous soit plus acquise que la nôtre. Personne ne pourroit aller d'ici pour vous conduire, sans que cela fit trop d'éclat. Il faut que vous preniez quelqu'un où vous êtes encore craindroisje que vous n'en fussiez plutôt embarrassée et surchargée, que bien servie, comme il vous arriva autrefois. Une femme intelligente et fidèle vous suffiroit, avec un garçon sur qui l'on pût s'assurer, tel qu'étoit Champagne. Dieu veuille vous inspirer ce qui est dans son dessein, et vous en faciliter l'exécution!".

Je ne conçois pas comment vous pouvez vivre avec les glaires que vous avez dans le corps.

* Il parle des déclarations que M. de Meaux avoit exigées de madame Guyon.

C'est la pituite ou l'humeur aqueuse, mêlée avec
le sang, qui se glace dans vos veines; et cela
empêchant la circulation du sang, il est incon-
cevable que vous n'en mouriez pas dans peu
d'heures. Je me figure que cette glaire tient à
la surface des vaisseaux, et que le sang a en-
core quelque passage libre par le milieu; sans
quoi vous ne vivriez pas. Les eaux fort miné-
rales et détersives, telles qu'il y en a en ce
pays, pourroient y être un fort bon remède.
Vous devriez, ce me semble, user de liqueurs
fort agissantes et cordiales, du meilleur vin,
d'eau clairette, de rossolis, d'eau de cannelle, et
de tout ce qui peut le plus donner de mouve-
ment au sang et le réchauffer, afin qu'il ne se
fige pas dans les vaisseaux. Votre vie trop sé-
dentaire contribue beaucoup à ce mal; l'exer-
cice, le changement d'air, l'agitation du voyage
vous seroient utiles; venez à l'air des monta- |
gnes, qui est vif et pénétrant.

Les jansénistes vont remonter, leurs adversaires seront abaissés. Peut-être se prépare-t-on déja à un nouveau combat: Port-Royal ressuscitera. O vicissitude des choses! Mais qui pourra arrêter les desseins d'un Dieu, ou empêcher qu'il ne tire sa gloire de tout ce qu'il a résolu de faire ou de permettre? C'est là ce souverain plaisir et l'unique prétention des cœurs qui lui sont bien soumis; et c'est pour cette raison que leur abandon leur suffit pour tout: abandon sacré et très sûr, qui est la plus tranquille, la plus parfaite et la plus heureuse disposition de l'ame.

J'ai lu votre Apocalypse avec beaucoup de satisfaction : nul autre de vos livres sur l'Ecriture ne m'avoit tant plu: il y a moins à retoucher que dans les autres. Les états intérieurs y sont fort bien décrits, et tirés, non sans merveille, du texte sacré, où rien ne paroissoit moins être compris. Si toute votre explication de l'Écriture étoit assemblée en un volume, on pourroit l'appeler la Bible des ames intérieures: et plût au ciel que l'on pût tout ramasser, et en faire plusieurs copies, afin qu'un si grand ouvrage ne périt pas! Les vérités mystiques ne sont point expliquées ailleurs avec autant de clarté et d'abondance, et, ce qui y importe le plus, avec autant de rapport aux saintes Écritures. Mais, hélas! nous sommes dans un temps où tout ce que nous penserions entreprendre pour la vérité est renversé et abîmé : on ne veut de nous qu'inutilité, destruction et perte. N'avez-vous point pu recouvrer le Pentateuque? Pour moi, dans le grand loisir que j'aurois, je ne puis rien faire, quoique je l'aie essayé souvent. Il m'est impossible de m'appliquer à aucun ouvrage de l'esprit, du moins de continuer, m'é

tant fait violence pour m'y appliquer : ce qui me fait traîner une languissante et misérable vie, ne pouvant ni lire, ni écrire, ni travailler des mains, qu'avec répugnance et amertume de cœur et vous savez que notre état ne porte pas de nous faire violence; on tireroit aussitôt de l'eau d'un rocher.

*

L'ouvrage de M. Nicole me fait dire de lui ce qui est dans Job: Il a parlé indiscrètement de choses qui surpassent excessivement toute sa science. Il seroit aisé de le réfuter, et de faire voir que son raisonnement fait pitié à ceux qui s'entendent un peu aux choses mystiques. Il ne comprend pas même, en certains endroits, l'état de la question et le sens des termes. Il prend pour des péchés ce que l'on ne blâme que comme des imperfections; et sur cette supposition, il tire d'absurdes conséquences, dont il triomphe. Il s'imagine qu'à cause qu'on pratique l'oraison de simple regard, on ne fait jamais aucun acte distinct; comme si le Saint-Esprit, à qui l'on tâche de se soumettre, ne portoit pas l'ame à faire bien chaque chose en son temps. Il combat les mystiques par des raisonnements contraires à l'expérience intérieure, auxquels on a répondu si souvent. Il accuse de nouveauté une spiritualité qui a le témoignage de tous les siècles, et que l'Église même a autorisée en recevant avec estime les écrits des saints, comme de sainte Thérèse et de saint François de Sales, qui, dans un de ses Entretiens, déclare qu'il a remarqué que l'oraison de la plupart des filles de la Visitation se termine à une oraison de simple remise en Dieu. Qu'est-ce autre chose que le simple regard? Il n'allègue ni ne réfute pas un seul passage de mon Analysis: cependant on le met au rang des livres qui contiennent, dit-on, les principales erreurs des quiétistes. S'il y en eût remarqué quelqu'une, il ne me l'auroit pas pardonnée. Avec cela, il sera applaudi par la foule; mais Dieu prendra la défense de la vérité, et étendra son règne intérieur, malgré la contradiction des hommes. Il y a certaines opinions de Malaval que je n'ai pu approuver, et contre lesquelles j'ai écrit expressément.

Il s'est fait une augmentation de notre Église. Trois religieuses d'un monastère assez proche de ce lieu étant venues aux eaux, on a eu occasion de leur parler, et de voir de quelle manière est faite l'oraison que Dieu enseigne

*Cet écrit a pour titre : Refutation des principales erreurs des Quiétistes, contenues dans les livres censurés par l'ordonnance de monseigneur l'archevêque de Paris (de Harlay). du 16 octobre 1694. C'est le dernier écrit que composa ce cé◄ lèbre auteur.

lui-même aux ames, et l'obstacle qu'y met la méditation méthodique et gênante que les hommes suggèrent, voulant que leur étude soit une bonne règle de prier et de traiter avec Dieu. L'une de ces trois filles a été mise par le SaintEsprit même dans son oraison : l'autre, y étant appelée, combattoit son attrait en s'attachant obstinément aux livres, sans goût et sans succès: la troisième, tourmentée de scrupules, n'est pas encore en état d'y être introduite.

Jeannette me grondera de ce que je remplis mon papier sans vous parler d'elle. Et que vous en dirai-je? Que toujours il semble que Dieu nous l'enlève, et toujours elle nous est laissée; qu'elle vous honore et vous aime parfaitement, et ses compagnes de même : elles sont toutes en fête pour leurs anneaux. Songez à m'apporter aussi quelques bijoux. Tous les amis vous saluent tant et tant. O ma très chère, pourrois-je encore vous revoir ? Si Dieu m'accordoit un si grand bien, je chanterois de bon cœur le Nunc dimittis : nous raconterions à loisir toutes nos aventures, qui sont étranges, et dont pas une ne seroit cachée à votre cœur.

Ce 7 décembre 1695.

LETTRE XLVII.

DE FÉNELON A BOSSUET.

peuvent altérer cet amour. Pour cela, je tâchai de faire craindre les lectures curieuses, la science qui enfle, les voies extraordinaires et toutes les questions. Je ne recommandai que la fidélité aux règles, la sincérité, la défiance de son propre sens, et l'obéissance dans l'usage même des meilleures choses. Ainsi tout mon discours, à le bien prendre, comme je le donnois de tout mon cœur, étoit une déclaration perpétuelle contre les illusions qui font tant de bruit; et je croyois, tant je suis malhabile homme avoir dit les choses les plus précises et les plus fortes pour précautionner l'auditeur contre tous les excès de la fausse spiritualité.

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J'ai demandé aux Carmélites, c'est-à-dire, la Mère prieure et à la sœur Charlotte de SaintCyprien, ce qui leur avoit paru de ce discours : elles m'ont assuré avoir entendu ce que je vous rapporte. La sœur Charlotte, pour qui je parlois principalement, et qui en avoit besoin, a été ravie de l'entendre, et veut en profiter.

J'ai appris, d'un autre côté, que quelques personnes prétendoient que j'avois dit ces paroles : Il faut lire pour lire, et non pour s'instruire. Si j'ai parlé ainsi, j'ai dit des paroles qui n'ont aucun sens, et qui ne signifient qu'une extravagance. Il me semble que les personnes équitables qui ont assisté à ce sermon n'ont pas trouvé que j'y fusse entièrement égaré il faudroit être ivre ou fou pour tenir ce langage. Pour

Sur un sermon qu'il avoit prêché aux Carmélites, et dans lequel on l'accusoit d'avoir avancé des propositions té-moi, je vous rendrai toujours avec joie et doci

méraires.

J'ai fait, monseigneur, bien des réflexions sur ce que vous m'avez fait l'honneur de me dire plus j'y pense, plus je trouve que j'ai parlé de la manière la plus capable d'éviter les équivoques. J'ai dit en termes propres : « Sous » prétexte d'instruction, on entretient le goût » de l'esprit et la curiosité. Il faut lire pour se » nourrir et pour s'édifier, et non pour s'in>>> struire des choses à décider, ni pour vouloir » jamais trouver dans ses lectures la règle de >> sa conduite. » C'étoit dans mon second point, où il ne s'agissoit que d'une carmélite déja instruite et dans la voie de la perfection, qui trouve dans sa règle et dans ses supérieurs toutes les décisions dont elle a besoin.

Vous observerez, s'il vous plaît, monseigneur, qu'après avoir posé dans mon premier point la nécessité de l'amour de Dieu et du détachement, sans entrer dans aucune question, et me retranchant dans les principes les plus universellement reconnus, je n'employai mon second point tout entier qu'à précautionner l'auditeur contre toutes les sources d'illusion qui

lité un compte exact de ma conduite. Il n'y a correction que vous ne me puissiez faire sans ménagement, et que je ne reçoive avec soumission et avec reconnoissance, comme une marque

de la continuation de vos anciennes bontés. Je ferai profession toute ma vie d'être votre disciple, et de vous devoir la meilleure partie du peu que je sais. Je vous conjure de m'aimer toujours, et de ne douter jamais de mon zèle, mon respect et de mon attachement.

de

FR., archevêque duc de Cambrai.

A Paris, ce 7 décembre 1695.

LETTRE XLVIII.

DE FÉNÉLON A BOSSUET.

lui marque la satisfaction qu'il a de la lettre que le prélat lui a écrite au sujet de son sermon aux Carmélites, et lui témoigne une grande déférence.

Je reçois dans ce moment, monseigneur, la lettre pleine de bonté que vous me faites l'honneur de m'écrire; et je me hâte de vous dire à

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