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hanc occasionem, libri lectione, mulieris impe- | simulantiùs occultabat. Itaque cùm librum adorritiam erroresque detegeret, approbatione pro- naret, unus erat Meldensis cui rem impenetrascriberet, et proscribi à se palam testaretur; bilem et inaccessam vellet. Factum. Vix ad eum quod et ipsi decori, et toti Ecclesiæ ædificationi mox prodituri libri fama pervenerat : quo allato foret. nuntio, pro rei gravitate commotus adit Carnotensem, adit Parisiensem, Fenelono amicissimos. Quid de libro resciverit, memorat: quæ mala, quæ dissidia, quæ scandala secutura sint, promit. Quid enim tam latenter ac velut obductis tenebris librum Cameracensis involveret, tantoque studio caveret ne Meldensi fieret notus, nisi suspecta et adversa cogitaret? Quid deinde futurum? Taceret episcopus? contradiceret? Utrinque vel proditæ veritatis, vel læsæ charitatis metus. Ageret ergo Parisiensis cum amicis Cameracensis, ipse enim aberat, cum ipso rege, ne prodiret liber nisi communi consilio? Sed frustra. Cameracensis amici, ne quid Parisiensis tentaret ampliùs, postridie librum evulgant, ipsi regi tradunt; salubre consilium, ac tanta mala prohibiturum eludunt.

Librum archiepiscopus accepit legendum: approbandum promisit more solito, facto scilicet examine. Neque clam tulerat Meldensis episcopus quæsitam Cameracensis approbationem, cum Parisiensis et Carnotensis approbationibus conjungendam. Sed frustra fuit. Tribus enim elapsis integris hebdomadibus, adest vir illustrissimus, idem quo auctore examinandam Guyoniam episcopus susceperat, cum archiepiscopi litteris, quas vocant fiduciariis, clarâ voce testatus non posse ab archiepiscopo approbari librum.

Quid autem causæ erat? An libri doctrinam improbabat? An aliquos locos molliendos, explicandos, eradendos postulabat? Neutiquam. Approbationem denegabat eo tantùm nomine, quòd episcopus in libro Guyoniam proscriberet, quam idem archiepiscopus improbatam nollet. Quæ quàm episcopo, non sibi, sed ipsi Fenelono gravia futura visa sint; quàm adversa Ecclesiæ rebus, ipsiusque archiepiscopi gloriæ, quam in fide episcopos habere oportet maximam; quàmque gravibus verbis inde secutura incommoda prænuntiaverit, hic quidem commemorare non est animus.

Quò sinceriùs atque libentiùs Cameracensi Meldensis communicabat sua, eò ille omnia dis

péroit que la lecture de ce livre lui ouvriroit les yeux sur l'ignorance et les erreurs de cette femme ; qu'en approuvant l'ouvrage, il la condamneroit, et déclareroit ouvertement qu'il la rejetoit; ce qui Ini feroit honneur et édifieroit toute i'Église.

L'archevêque de Cambrai prit le livre, promit de l'approuver, après l'avoir examiné selon l'usage; car l'évêque de Meaux n'avoit pas cherché à lui dérober son approbation, pour la joindre à celles de l'archevêque de Paris et de l'évêque de Chartres

mais son attente fot vaine. Trois semaines entières s'étoient écoulées, lorsque l'illustre personnage * qui avoit engagé l'évêque de Meaux à examiner la doctrine de madame Guyon vint le trouver avec des lettres de créance de l'archevêque de Cambrai, et lui déclara nettement que ce prélat ne pouvoit approuver sou ouvrage.

Mais quel étoit le motif de ce refus? Est-ce qu'il improuvoit la doctrine du livre? Vouloit-il qu'on en adoucît quelques endroits, qu'on en expliquât certaines propositions, ou qu'on en retranchât d'autres? Point du tout. Il refusoit son approbation uniquement parceque l'évêque de Meaux condamnoit dans son Instruction la dame Guyon, que cet archevêque ne vouloit pas blâmer. Je n'ai pas dessein de rapporter ici avec quelle force je représentai combien cette conduite de M. de Fénelon feroit de tort, non à l'évêque de Meaux, mais à lui-même; combien elle seroit nuisible à l'Église, préjudicieroit à la gloire de cet archevêque, parceque c'est dans la pureté de la foi que les évêques doivent la faire consister; et enfin combien d'autres inconvénients résulteroient d'un pareil procédé.

Plus l'évêque de Meaux communiquoit franchement et faci

*Le duc de Chevreuse.

Quæ deinde secuta sint, omnibus nota. Motus undique ingentes, in urbe, in aulâ, in provinciis: Romam usque pervadunt. Simul omnia commoventur tanto impetu, celeritate tantâ, ut non citiùs silvam flamma corriperet. Hærere amici Cameracensis, et, quod unum poterant, uni Meldensi tam præcipitem imputare motum ;

lement ses écrits à l'archevêque de Cambrai, plus celui-ci usoit

de dissimulation pour lui cacher les siens. Ainsi, pendant qu'il préparoit son livre des Maximes, l'évêque de Meaux étoit le seul à qui il voulût en faire un mystère impénétrable et inaccessible. C'est en effet ce qui est arrivé. Car, quoique ce livre dût bientôt paroître, à peine le prélat en avoit-il entendu parler. Dès qu'il en fut informé, affecté de cette nouvelle autant que l'importance du fait le demandoit, il vint trouver l'évêque de Chartres et l'archevêque de Paris, amis particuliers de Fénelon. Il leur rapporta ce qu'il avoit appris de ce livre, leur exposa les maux, les dissensions, les scandales que produiroit la publication d'un tel ouvrage. D'où vient, en effet, l'archevêque de Cambrai le composoit-il dans un si grand secret. et l'enveloppoit-il, pour ainsi dire, de ténèbres épaisses? Pourquoi prenoit-il tant de précautions, afin qu'il ne vint pas à la connoissance de l'évêque de Meaux, si ce n'est qu'il avoit dessein d'y établir une doctrine suspecte et opposée à la sienne? Qu'en résulteroit-il? L'évêque de Meaux se tairoit-il, ou réclameroit-il? Dans les deux partis on devoit craindre ou de trahir la vérité, ou de blesser la charité. Il falloit donc que l'archevêque de Paris agit auprès des amis de l'archevêque de Cambrai, qui étoit alors absent, auprès du roi même, pour que le livre de ce prélat ne parût que d'un commun accord: mais en vain. Les amis de M. de Cambrai, pour que M. de Paris ne pût les traverser, publièrent le livre dès le lendemain, le présentèrent au roi, et éludèrent ainsi un avis salutaire qui devoit empêcher de si grands maux.

Tout le monde sait quelles furent les suites de cette conduite. On vit de tous côtés une grande commotion, à la ville, à la cour, dans les provinces, et qui s'étendit jusqu'à Rome. Tous les esprits furent émus en même temps avec une si grande vivacité et tant de promptitude, que la flamme n'embraseroit pas plus vite une forêt. Les amis de l'archevêque de Cambrai furent saisis de cet événement, et ils firent ce qu'ils pouvoient, qui étoit d'attribuer à l'évêque de Meaux un mouvement si subit;

tanquam urbs, aula, docti indoctique omnes ejus nutibus agerentur; ipse Cameracensis invidiâ, tantique ingenii fulgore præstrictus cæcà factione omnia conturbaret.

Quid autem? quo tempore, quo loco, quibuscum grandis inita factio est? Cum amicissimis, cum iis quorum vel maximè operâ ipse Cameracensis ad summa quæque provectus est? Quo deinde tempore? An cùm idem Fenelonus episcopo omnia permittebat? An cùm episcopus toto triennio id agebat, ne novæ prophetidi, ne nocentissimæ doctrinæ Fenelonus addictus esse videretur? An cùm tot datis litteris idem profitebatur se à Meldensis sententiâ nunquam recessurum? Extant litteræ testes. An cùm consecrandus ejusdem Meldensis deposcebat manus, eademque obtestatus, ei probatum se tanto studio cupiebat? An postea cùm episcopus librum suum eidem Cameracensi approbandum traderet?

Hactenus Cameracensi tuta omnia: alto omnia sepulta silentio; nec ejus errorum, absit à verbo injuria, ad regem vel tenuis fama perlabitur. Ipse se archiepiscopus libello edito publicavit, in se commovit omnes: liceat verum dicere ipsâ rerum serie confirmatum. Antea à Meldensi sic omnia occupata benefactis, ut nullus pateat locus in quo insidias collocare potuerit. Ex libello Cameracensis' orta pericula: hic

comme si la ville et la cour, les savants et les ignorants, se remuoient à ses ordres. Ils disoient qu'offusqué par l'éclat d'un si beau génie, l'envie qu'il portoit à M. de Cambrai l'engageoit à exciter tous ces troubles à l'aide d'une aveugle cabale.

Mais quoi? qu'on nous dise en quel temps, dans quel lieu, avec quelles personnes cette grande faction s'est formée. Est-ce donc avec ceux qui étoient le plus atrachés à cet archevêque, avec ceux dont la protection l'a élevé aux plus grandes dignités? En quel temps ces complots ont-ils été tramés? étoit-ce lorsque Fénelon remettoit tout entre les mains de l'évêque de Meaux ? Seroit-ce dans le cours des trois années où cet évêque travailloit avec tant de soin pour que Fénelon ne parût pas être attaché à la nouvelle prophétesse, ni approuver une doctrine très pernicieuse? Soupçonnera-t-on que ce fut dans les circonstances où il protestoit par une multitude de lettres qu'il ne s'écarteroit jamais des sentiments de l'évêque de Meaux? Les lettres qui le déclarent existent Dira-t-on que cet évêque préparoit les traits de sa jalousie contre Fénelon, au moment où il le prioit de le consacrer, et où, lui renouvelant toutes ses promesses, il témoignoit tant de desir de le convaincre de ses dispositions? Enfin sera-ce lorsque l'évêque de Meaux confia son livre à cet archevêque, pour qu'il l'approuvât?

Jusqu'ici nul sujet de crainte pour M. de Cambrai : tout ce qui concernoit cette affaire étoit enseveli dans un profond silence; et le plus petit bruit de ses erreurs (que personne ne s'offense de cette expression) n'étoit pas encore parvenu aux oreilles du roi. C'est cet archevêque lui-même qui s'est manifesté par la publication de son livre, et qui a ému contre lui tous les esprits. La suite des faits confirme cette vérité, et l'on me permettra de la dire. Toute la conduite de l'évêque de Meaux à l'égard de M. de Cambrai, avant cette époque, est remplie de tant de marques de bienveillance, qu'il ne s'y trouve aucun espace où il ait pu loi tendre des embûches. Tous les périls qu'il a courus ont été causés par son livre : c'est là la source et le principe de tous les maux de là la divulgation des faits que l'évêque de

malorum fons et caput; hinc retecta omnia quæ in Feneloni gratiam Meldensis, nonnullo suo periculo, occulta voluerat.

Quid quod episcopus omni operâ id egerat, ut liber premeretur? Quid quod publicato libro usque adeo diu tacuit, ut per eam occasionem amici Cameracensis efferrent in vulgus, Meldensem episcopum nec multa conatum in libro Cameracensis quidquam omnino noxæ invenire potuisse? Ille conticescebat, donec omnibus erratis liquidò exploratis et inter se collatis, jam nefas videretur veritati denegare episcopalis vocis obsequium.

At enim archiepiscopo prodi errata oportebat. Factum luculentissimis scriptis, alibi recensitis: tamque omnia objecta constat ei in manus tradita, ut etiam ejus ad omnia responsa teneamus. Quid clarius? Si quid defuisset, ne res per scripta mutua in infinitum tenderet, collatione habitâ omnia explicari Parisiensis, Carnotensis, ipse vel maximè Meldensis flagitabant. Ne illa iniretur elucidationis via, etiam suadente apostolico nuntio hujus rei teste, etiam adhortante rege, Feneloni animus obstinatissimè repugnabat. Meldensis factioni scilicet serviebat: ipsius livori, piget commemorare, æquam excusationem comparabat.

tam

Quid autem erat, per Deum immortalem, quòd episcopus antea prono animo favens, tandem post librum editum invidere cœperit? Quid

Meaux, par affection pour M. de Fénelon, avoit voulu tenir cachés, en s'exposant lui-même à quelque disgrace.

Si l'évêque de Meaux n'avoit été bien disposé en faveur de M. de Cambrai, pourquoi auroit-il travaillé de tout son pouvoir à empêcher que son livre ne parût? Pourquoi, après qu'il eut été publié, garda-t-il le silence si long-temps, que les amis de M. de Cambrai en prirent cccasion de répandre que l'évêque de Meaux, malgré tous ses efforts, n'avoit rien pu trouver de répréhensible dans cet ouvrage? Il se taisoit en effet, jusqu'à ce qu'après avoir clairement reconnu toutes les erreurs du livre, et les avoir comparées entre elles, il fut manifeste qu'un évêque ne pouvoit dans cette occasion se dispenser, sans crime, de parler en faveur de la vérité.

Mais, avant tout, il convenoit de mettre sous les yeux de cet

archevêque les fautes de son livre. C'est ce qui a été exécuté par des écrits très lumineux, dont on a parlé ailleurs. Il est si constant que toutes les objections qu'on formoit contre ce livre lui ont été communiquées, que nous avons les réponses qu'il fit à chacune. Quoi de plus évident? S'il manquoit encore quelque chose pour que l'affaire traitée par des écrits réciproques n'allât pas à l'infini, l'archevêque de Paris, l'évêque de Chartres, et surtout celui de Meaux, demandoient avec instance que les questions fussent discutées dans une conférence. M. de Fénelon s'opposoit fortement à ce qu'on prit cette voie pour éclaircir les difficultés, quoique le nonce apostolique, témoin de ce que je rapporte, voulût l'y engager, quoique le roi même l'y exhortât. Sans doute il avoit dessein de servir la faction de l'évêque de Meaux; il vouloit fournir à sa jalousie, j'ai honte de le dire, une excuse si raisonnable.

Et par quel motif. graud Dieu, l'évèque de Meaux, auparavant si porté à favoriser M. de Cambrai. seroit-il devenu jaloux de ce prélat. après la publication de son livre? Que pouvoit-il donc lui envier? Quoi? de vaines subtilités, une théologie vide

enim archiepiscopo invideret? Inanes argutias, suo occultam excusationem præparasset. Quæ
vacuam et infrugiferam theologiam, sublime omnia facilè probaremus: sed jam de Meldensis
ingenium ad ima et vana depressum, sermonis innocuis gestis, deque Cameracensis prono in
elegantiam vano cultui servientem, Guyoniæ Guyoniam animo satis superque dictum est.
magisterium, quietismi defensionem specie pie- Hæc pro veritatis testimonio quæsitus scripsi.
tatis adumbratam? Me miserum, qui hæc enar-
rare cogar quorum piget pudetque !

J. BENIGNUS, episcopus Meldensis.

Demum in testimonium vocati episcopi, cùm ment. Il nous seroit aisé de prouver toutes ces allégations; mais animadverterent archiepiscopum totis viribus in- nous en avons assez dit pour montrer la droiture des procédés cumbere, ut libri doctrinam erroneam mordicus de l'évêque de Meaux, et la force de l'attachement de l'archedefenderet, scriptâ etiam hâc de re ad sum-vêque de Cambrai pour madame Guyon. Sur la demande qu'on m'en a faite, j'ai écrit ceci pour rendre mum Pontificem epistolâ, omnia in vanum co- témoignage à la vérité. nati et experti, ut fraternum animum flecterent, necessitati cesserunt, et Declarationem de doctrinâ libri in manus apostolici nuntii tradidere.

J. BENIGNE, évêque de Meaux.

LETTRE PREMIÈRE.

DE MADAME GUYON AU PÈRE LA COMBE,
BARNABITE'.

songe merveilleux qu'elle avoit eu.

Hæc igitur gesta rerum evincit series. Quàm autem quietismo, quàm novæ prophetidi faveret Fenelonus, etiam ipse prodidit. Quid enim recensitis, quod in episcoporum Declaratione est positum, falsis spiritualibus semel et bis, in Elle lui annonce de grandes croix, et lui rend compte d'un Hispaniensibus illuminatis constitit: Molinosum, Guyoniam, nostri ævi quietistas omnino prætermisit? Cur in epistola ad Innocentium XII Guyoniam tacuit, quietistarum censuras elevavit, Molinosi librum reliquit integrum? Nunc eodem spiritu actus, sæpe licet pollicitus futurum ut apertis verbis Guyoniam condemnaret, amplissimo mandato edito, Molinosum ejusque propositiones LXVIII carpit; non verò librum ipsum ab apostolicâ quoque Sede damnatum : tacitam Guyoniam voluit, quippe cui toto libello

Il y aura quantité de croix qui nous seront communes; mais vous remarquerez qu'elles nous uniront davantage en Dieu, par une fermeté invariable à soutenir toutes sortes de maux. Il me semble que Dieu me veut donner une génération spirituelle, et bien des enfants de grace; que Dieu me rendra féconde en ce monde. Vous aurez des croix, et des prisons nous sépareront corporellement; mais l'union en Dieu sera inviolable. L'on sent la division, quoiqu'on ne sente pas l'union.

de choses et sans utilité, un génie sublime rabaissé à des spécu- J'ai fait cette nuit un songe qui marque d'élations basses et futiles, une élégance de style employée à déco-tranges renversements, si l'on pouvoit s'y arrer un faux culte, les leçons de la dame Guyon, la défense du quiétisme converte des apparences de la piété? Ah! que je suis rêter à mon réveil, mes sens en étoient tout à plaindre, d'être obligé de raconter des choses que je déplore et dont je rougis!

Les évêques que M. de Cambrai avoit appelés en témoignage, voyoient avec douleur son obstination à défendre les erreurs de son livre : ils savoient qu'il avoit écrit pour cet objet

une lettre au souverain Pontife. Leurs efforts et leurs démar

ches pour fléchir l'esprit de leur frère ayant été inutiles, il leur fallut céder à la nécessité, et ils remirent au nonce apostolique

leur déclaration sur la doctrine du livre.

La suite des événements démontre donc la vérité de ces faits. Fénelon lui-même a publié combien il étoit attaché au quiétisme et dévoué à la nouvelle prophétesse. Et pourquoi, tandis qu'il fait plusieurs fois une énumération des faux mystiques, ce qu'on remarque avec raison dans la Déclaration des éréques, s'arrête-t-il aux illuminés d'Espagne, et passe-t-il entièrement sous silence Molinos, la dame Guyon, et tous les quiétistes de notre siècle ? Pourquoi, dans sa lettre à Innocent XII, ne parle-t-il point de cette femme, affoiblit-il les censures portées contre les quiétistes, et laisse-t-il intact le livre de Molinos? Maintenant animé du même esprit, quoiqu'il eût souvent promis qu'il condamneroit en termes clairs madame Guyon, il s'est

contenté, dans un très gros mandement qu'il a publié, de noter Mo'inos et les LXVIII propositions de cet auteur, que Rome a flétries; mais il n'a dit mot de son livre, également proscrit par le Siége apostolique, et il a gardé un grand silence sur la dame Guyon, comme ayant destiné tout son écrit à la justifier secrète

émus. Il n'arrive rien que ce que le monde peut
produire : il menace bien, et la tempête gronde
long-temps. Je ne sais quel sera le foudre; mais
il me semble que tout l'enfer se bandera, pour
empêcher le progrès de l'intérieur, et la forma-
tion de Jésus-Christ dans les ames. Cette tem-
pête sera si forte, qu'à moins d'une grande pro-
tection et fidélité, on aura peine à la soutenir.
Il me semble qu'elle vous causera agitations et
doutes; parceque votre état ne vous ôtant pas
toute réflexion, la tempête sera telle, qu'il ne
restera pierre sur pierre. Tous vos amis seront
dissipés; et ceux qui vous resteront vous re-
nonceront et auront honte de vous; en sorte
qu'à peine vous restera-t-il une seule personne.
Ceci sera très long, et il y aura une suite et un
enchaînement de croix si étranges, tant d'ob-

Voyez la Relation sur le Quiétisme, II. sect. n. 16; et
Vie de madame Guyon, écrite par elle-même, p. 46, 49, 489.

se tiendra debout devant elle, sans pourtant lui nuire, parcequ'elle est environnée du soleil de

est la malice et l'inconstance, et que les vertus de Dieu lui serviront de couronne. Mais il ne laissera pas de se tenir toujours debout devant elle, et de la persécuter de cette manière. Mais, quoiqu'elle souffre long-temps par de terribles douleurs de l'enfantement spirituel, qu'elle crie même par la violence, Dieu protégera son fruit; et lorsqu'il sera véritablement produit et non connu, il sera caché en Dieu jusqu'au jour de la manifestation, jusqu'à ce que la paix soit sur la terre. La femme sera dans le désert, sans soutien humain,cachée et inconnue: on vomira contre elle des fleuves de la calomnie et de la persécution; mais elle sera aidée des ailes de la colombe; et, ne touchant pas à la terre, le fleuve sera englouti durant qu'elle demeurera intérieurement libre, qu'elle volera comme la colombe, et qu'elle se reposera véritablement sans crainte, sans soins et sans souci. Il est dit qu'elle y sera nourrie, et non qu'elle s'y nourrira. Sa perte ne lui permettant pas de faire réflexion sur ce qu'elle deviendra, et de penser pour peu que ce soit à elle, Dieu en aura soin. Je prie Dieu, si c'est sa gloire, de vous donner l'intelligence de ceci.

jections et de confusions, que vous en serez surpris. Et comme avant la fin du monde, qui est proprement le second avénement de Jésus-justice, qu'elle a la lune sous les pieds, qui Christ, il se passera d'étranges choses; à proportion de cet avénement-ci, en arrivera-t-il ; et il semble même que dans toute la terre il y aura trouble, guerre et renversement. Et comme le Fils de Dieu, ou plutôt ses enfants, indivisiblement avec lui, seront répandus par toute la terre; il faut que le prince de ce monde remue toute la terre de divers signes et misères plus elles seront fortes, plus la fin sera proche. Et comme Jésus-Christ naquit dans la paix de tout le monde, il ne naîtra, pour ainsi dire, spirituellement que dans la paix générale, qui sera durable pour du temps. L'Évangile sera prêché par toute la terre: mais comme les vertus du ciel seront ébranlées, croyez que vous le serez vous-même pour des moments, et que le démon, attaquant le ciel de votre esprit, vous portera à vouloir tout quitter; mais Dieu, qui vous a destiné pour lui, vous fera voir la tromperie. Je vous avertis de n'écouter votre raisonnement et vos réflexions que le moins que vous le pourrez ; et j'ai un fort | instinct de vous dire de garder cette lettre, même de la cacheter de votre main, afin que vous voyiez que les choses vous ont été prédites, lorsqu'elles arriveront. Ne dites pas que vous ne voulez pas d'assurance; car il ne s'agit pas de cela, mais de la gloire de Dieu. Rien ne pourra vous en donner alors.

Ce 28 février 1683.

LETTRE II.

CHARTREUX, SON FRÈRE.

Sur les prétendus effets merveilleux que Dieu produisit en

Je ne sais ce que j'écris. Allons, il n'est plus temps, ni pour vous ni pour moi, d'être malade: DE MADAME GUYON A DOM GRÉGOIRE BOUVIER, levons-nous; car le prince de ce monde approche. De même qu'à la venue de Jésus-Christ il s'étoit fait quantité de meurtres des prophètes, elle et par elle : ses sentiments sur l'abandon. il y avoit eu tant de guerres, que le peuple juif Vous ne devez pas douter, mon très cher Frère, avoit été comme anéanti ; ainsi la véritable piété, qui est le culte intérieur, sera presque détruite; que ce ne soit avec beaucoup de plaisir que je et ce culte sera persécuté en la personne des reçois de vos nouvelles; mais je vous dirai simprophètes, c'est-à-dire, de ceux qui l'ont ensei-plement que votre dernière m'en a donné plus gné, et la désolation sera grande sur la terre. Durant ce temps, la femme * sera enceinte, c'est à-dire, pleine de cet esprit intérieur, et le dragon

Dans sa Vie, pag. 503, elle vit qu'elle étoit cette femme. Cela arriva en 1685. La lettre au père La Combe est rapportée à la page 489: elle ne suit pas les jours, mais les années. Elle parle de ce qui lui arriva le jour de la Purification, le père La Combe étant alors avec elle: elle avoit eu vingt-deux jours de fièvre continue; et, le jour de la Purification, elle étoit retombée plus dangereusement que jamais. Lui lisant cette lettre, et lui parlant de cette femme délaissée, elle n'hésita point de dire qu'elle l'étoit : elle détermina le temps de l'accomplissement de sa prédiction au siècle qui court, sans déterminer si ce seroit la fin de celui-ci, on au commencement de l'autre. Madame la duchesse de Chevreuse m'a dit que la paix et le commencement du changement arriveroit en 1693. M. de Chevreuse n'en est pas disconvenu. (Note de Bossuet.)

que nulle autre elle a le goût du cœur; vous êtes le seul de ma famille qui goûtiez la conduite de Dieu sur moi. Elle est en effet trop impénétrable pour être comprise par la raison : le cœur la goûte, et la raison s'y perd. Vous ne sauriez dire le bien que notre Seigneur fait faire à Grenoble pour l'intérieur. Ah! qu'il fait bon s'abandonner à lui, et qu'il récompense bien, pour un moment de perte en lui, ce qu'il a fallu souffrir pour y arriver! Mais quand il n'y auroit point d'autre récompense que celle de faire sa volonté sans réserve et sans résistance, oh! qu'on seroit très bien récompensé! Il faut que je verse mon cœur dans le vôtre, et que je vous dise que je trouve partout cette volonté essentielle de Dieu,

non hors de lui, mais en lui-même; en sorte | par cet esprit d'abandon à sa divine conduite qu'il m'a mise dans l'impossibilité de faire autre intérieure et extérieure. Oh! que si nous savions chose que ce qu'il veut de moment en moment, bien cesser d'agir, pour laisser agir Dieu en nous, sans que je puisse me regarder moi-même, ni que nous serions heureux ! et nous abandonner aucune créature; mais tout se fait en Dieu. Si pour l'extérieur à tous les mouvements de la je voulois me regarder, je ne puis plus me trou- Providence. Toutes nos peines ne viennent que ver, et ne sais plus ce que c'est de moi ni de ce que nous voulons, pour l'intérieur ou l'exde mien tout est à Dieu, et tout est Dieu. térieur, quelque chose que nous n'avons pas, C'est ce qui fait que, n'ayant rien de propre, il ou que nous ne voulons pas quelque chose que veut bien se servir de ce néant où il habite, pour nous avons. Mais celui qui ne veut rien que ce s'attirer une quantité d'ames de toutes conditions qu'il a, tel qu'il soit ; qui est aussi content de sa et états dans l'intérieur; et vous ne sauriez croire pauvreté intérieure que des plus grandes rile nombre des personnes de mérite, d'âge, prê- chesses; qui n'a pas de volonté, de penchant, de tres, religieux, qui veulent bien chercher Dieu desir, d'inclination pour quoi que ce soit, quelde tout leur cœur dans leur intérieur où il habite, que révélées pussent-elles être, celui-là est paret agréer ce que Dieu leur fait dire par une petite faitement heureux. C'est, mon très cher Frère, femmelette. Ils ne l'ont pas plutôt fait avec l'état où je vous souhaite. La mort et la vie est docilité, que Dieu, pour confirmer ce qu'elle égale à une telle ame. Je vous porterois enleur dit, leur fait expérimenter sa présence vie, si je pouvois vouloir autre chose que la vod'une manière très intime. Notre Seigneur me lonté de Dieu, de ce que votre âge et votre infirfait parler le jour et écrire la nuit ; et quoique mité vous disposent à vous aller unir encore je n'aie point de santé, il fournit à tout. plus étroitement à votre Dieu, et que vous allez voir celui qui est plus aimable que toutes les vies. Pour moi, qui suis indigne d'un si grand bien, je me contente de la volonté de mon Dieu, qui est plus pour moi que tout le paradis.

Je vous dis ceci dans le secret, ne sachant pas pourquoi le Maître me le fait dire. Il m'a fait écrire le sens mystique de la Bible, sans autre livre que cette même Bible. En moins de six mois, l'ancien Testament a été achevé, qui est un ouvrage de plus d'une rame de papier, et en des maladies continuelles, sans que l'interruption interrompit le sens, et sans qu'il me fùt nécessaire de le relire. Où j'en suis demeurée, je continue, et tout s'est trouvé dans une suite admirable, sans rature, que quelques mots mal écrits; mais dans un sens si propre et si beau, qu'il ne se peut rien de plus. Je n'avois point d'autre part à cet ouvrage que le mouvement de la main; ce qui est aisé à voir, étant des choses si sublimes, que je n'aurois pas pu les apprendre. Je vous dis ceci sous le sceau de la confession. Il a fallu obéir à Dieu selon tout ce qu'il a voulu, sans que nul intérêt de famille, de biens, d'enfants, ni quoi que ce puisse être, me puisse détourner.

Je n'ai parlé de ceci à personne. J'ai voulu quelquefois écrire mes dispositions d'abandon à Dieu, au père de La Motte*; il n'y est point entré : il prend tout du côté de la tromperie. Je demeure abandonnée à Dieu, aussi contente d'être trompée que de ne l'être pas; parceque je n'ai point d'intérêt qui me soit propre : et quand je serois assurée d'être damnée, je ne me voudrois désister un moment de faire la volonté de Dieu; parceque je voudrois le servir pour lui-même,

* Son beau-frère, qu étoit supérieur des barnabites de Paris.

Ce 12 décembre 1689.

LETTRE III.

DE MADAME GUYON A BOSSUET.

Elle lui témoigne une grande opposition à toute erreur, et une parfaite soumission au jugement qu'il portoit de ses écrits.

Je ferai exactement, monseigneur, tout ce que vous me marquez', et je ne verrai personne, ni n'écrirai point de lettre, comme j'ai commencé de faire depuis six semaines. Je n'aurai nulle peine à croire que je suis trompée, ayant bien mérité que Dieu me laissat à l'esprit d'illusion: mais il me semble que mon cœur me rend témoignage qu'il ne me laisse point à celui d'erreur; car il me semble qu'il me donne une telle démission d'esprit pour tout, et une si grande foi pour tout ce qui est de l'Église, que je condamnerois au feu ma personne, aussi bien que mes écrits, si je trouvois en moi le moindre arrêt à aucune pensée particulière.

Lorsque j'appelle un consentement passif, je veux dire un consentement que le même Dieu qui le demande fait faire. J'avois cru, jusqu'à présent, que Dieu étoit également auteur d'un certain silence qu'il opère dans l'ame, et de certains actes qu'il fait faire, où il paroît à la créa

Voyez la Relation du Quiétisme, sect. 11, n. 9.

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