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nate, afin qu'il en pût instruire le Pape. Je ne sais si j'aurai le temps d'écrire, sur ce sujet, à M. de Paris par cet ordinaire; mais ce sera par le premier, où je pourrai encore lui mander plus précisément ce qu'on en pense. Au reste, la manière dont ce prélat se comporte à l'égard du livre de M. de Cambrai, et ce qu'il en dit à la fin, est précisément comme il le falloit pour ce pays-ci, et comme je le souhaitois.

Je fais transcrire, et on me l'a promis avant le départ du courrier, un écrit, traduit en italien, pour M. de Cambrai. L'original est francois, et fait par un jésuite françois. J'ai sujet d'être assuré que c'est le père Dez vous en jugerez. Il est plus modéré que les autres; mais on voit malgré cela qu'il part de la même main.

J'ai oublié de vous mander qu'on avoit soutenu ici publiquement à la propagande la doctrine contraire au prétendu amour pur de M. de Cambrai; et c'est ce qu'on veut dire à la fin de cet écrit.

Au reste, on mande ici de Flandre que M. de Cambrai envoie un Père de l'Oratoire porter son Ordonnance à tous les évêques de Flandre, et dans toutes les universités. Ce prêtre promet de repasser, pour prendre les réponses, qu'il espère devoir être autant d'approbations. On dit que M. Steyaert a déclaré à ce porteur qu'il n'approuvoit pas la doctrine de M. de Cambrai, et que le lendemain il avoit fait soutenir des thèses contre le prétendu amour pur.

Je ne doute pas que M. le cardinal de Bouil*lon ne se fasse valoir sur la résolution prise par le Pape et la congrégation, s'il la sait à cette heure; mais il n'y a pas la moindre part: cela a été déterminé d'un jour à l'autre, pendant qu'il étoit absent.

J'ai vu les nouvelles qualifications. Il seroit bon d'avoir ici en main l'écrit des protestants anglois, publié dans le temps de l'affaire de Molinos, et qui est cité dans la relation : cela a frappé tous les cardinaux; mais je ne le puis trouver, quoiqu'il semble avoir été condamné par le saint-office. Je vous prie encore de m'envoyer un exemplaire, en blanc, d'une belle édition de votre Exposition de la Doctrine chrétienne, pour le cardinal Casanate, à qui ce seul de vos livres manque, aussi bien que le recueil des Oraisons funèbres.

J'ai appris sur Sfondrate, que la congrégation du saint-office est comme déterminée à pousser cette affaire à présent, et à presser le Pape là-dessus. Je vois que le général des dominicains le souhaite fort: il est des examinateurs. Le cardinal Casanate m'en a parlé : je lui ai dit franchement là-dessus que si je n'appré

hendois que cette affaire retardât et embarrassât l'autre, j'en aurois bien de la joie. Il m'a assuré que l'une n'avoit rien de commun avec l'autre, et que tous les examinateurs se trouvoient différents. Je ne sais pas quelle sera la dernière décision de Sa Sainteté : je vois du pour et du contre dans cette affaire; j'espère que Dieu fera tout pour le mieux. Le père Estiennot m'a dit que M. de Paris pressoit plus ici cette affaire que M. de Reims; j'ai de la peine à le croire. Je sais bien que pour moi, j'ai fait ici valoir, tant que j'ai pu, la modération des évêques, et le respect qu'ils témoignoient pour la personne du Pape par leur silence. C'est ici où les jésuites ne s'oublieront pas : ils ont toujours de bonnes causes à soutenir.

Nous savons les fâcheuses nouvelles de Pologne: les Polonois ne méritoient pas un tel roi. Le cardinal de Bouillon en paroît très touché, mais plus par rapport à l'ambassadeur* qu'au prince de Conti. Il y a huit jours que M. le cardinal de Bouillon reçut une lettre de M. de Polignac, du 25 octobre, qui marquoit précisément tout le contraire de ce qu'on a vu, dans les circonstances les plus favorables.

L'idée qu'on avoit ici de M. le prince de Conti n'a fait qu'augmenter, par son malheur, dans l'esprit des amis et des ennemis : il n'y a qu'une voix sur son compte. On voit bien qu'il est audessus des couronnes, et qu'il n'en est pas ébloui. Un homme du commun auroit donné dans tous les piéges qu'on lui tendoit; mais son discernement a éclaté dans ces conjonctures, autant que son grand courage.

La traduction de M. de Cambrai commence à paroître ; il n'y en a encore qu'un exemplaire : on dit qu'on en fait des copies, pour en donner à chaque examinateur. Cet exemplaire a été donné, depuis trois jours, au maître du sacré palais, qui l'a remis à Massoulié. Je le sus hier au soir, et j'ai été ce matin trouver le père Massoulié j'ai vu cet exemplaire. Ce que je vais vous en écrire est un peu général; mais l'ordinaire prochain j'espère en pouvoir dire davantage. Le père Massoulié ne m'a pas voulu permettre de rien copier; ainsi je ne parle ici que de mémoire.

Ce qu'il y a d'abord à remarquer, ce sont les notes. Ce manuscrit consiste donc dans le corps du livre traduit; et à côté, à la marge, il y a des notes, par lesquelles M. de Cambrai prétend expliquer plus clairement ce qu'il a voulu dire, et rendre sa doctrine incontestable et claire : c'est la manière dont parlent ses agents.

J'ai lu, pendant une demi-heure, plusieurs de

*L'abbé de Polignac.

ses notes: voici ce que j'en ai pu tirer de plus important, et qui donne une idée du système des explications qu'elles contiennent

Premièrement, il reconnoît qu'il parle d'un état habituel, mais non invariable, dans le sens dont il en parle dans la préface.

20 Partout il ajoute toujours aux termes de proprii commodi, et de propriæ felicitatis, dont les évêques se servent dans leur Déclaration, et qui appartiennent au quatrième état, ceux de amoris interessati, propriæ mercedis, et quelquefois avec cette réduplication quatenus interessati ; comme, par exemple, dans la page 91: Un directeur peut alors, dit-il, laisser faire à cette ame un acquiescement simple à la perte de son intérêt propre, proprii commodi quatenus interessati. Cette expression, et plus précise signification, ne fait qu'un mauvais effet contre lui: car on voit par-là son intention perpétuelle de rabaisser, comme intéressé, un amour qui est amour très pur et très parfait, auquel nul théologien n'a donné le nom d'amour intéressé.

40 Dans l'article xiv, à l'endroit du trouble involontaire de Jésus-Christ, il dit: Hanc vocem tanquam alienam rejicio; et il ajoute qu'elle n'est pas dans son original; que c'est une faute d'une personne chargée de l'impression de son livre, qui l'a faite dans une bonne vue ; et qu'il a pour témoins de ce fait des gens irréprochables. On le croira, si l'on veut; mais ceux qui entendent un peu le françois, et la suite de son raisonnement, sont persuadés du contraire.

La cinquième chose que j'ai eu le temps de remarquer, c'est la note à l'article XLIV, qui me paroît (je ne puis m'empêcher de le dire) bien. insolente. Il dit, en termes exprès, que le point de son pur amour n'est pas seulement une doctrine pour les ascétiques, mais encore pour les docteurs et les pasteurs, qui le conservent, avec les autres points révélés, comme le plus précieux dépôt de la foi; que pour ce qui regarde l'économie dont ils ont usé sur cela, il s'en faut prendre à l'imperfection des hommes, qui non possunt portare modò: vous voyez le rang où il met tant de saints martyrs et autres.

3o Dans l'article dixième, il veut absolument qu'on entende que tout se passe dans l'imagina- Le père Massoulié, qui a examiné cet ouvrage, tion, et point dans l'esprit. Et en cet endroit de m'a dit que ces notes rendoient la condamnation la page 87 : « Alors une ame peut être invinci- de M. de Cambrai plus sûre; parceque les en»blement persuadée d'une persuasion réflé- droits qui paroissoient ambigus dans son livre, » chie, » etc., il dit, à la marge: Persuasio auxquels ses amis auroient pu donner un sens invincibilis non est vera persuasio, sed ima- moins mauvais, sont présentement, par son exginatio; et il assure que c'est ce qu'il dit pré-plication, hors de toute ambiguité, et qu'on sait cisément. Il traduit après, ce qu'il a dit de ce qu'il a voulu dire. C'est le jugement que jusqu'à saint François de Sales, de cette manière: Ita se cette heure en ont porté le père Massoulié et le esse reprobum sanctus Franciscus Salesius in | maître du sacré palais. Je tâcherai cette semaine, ecclesia Sancti Stephani in Gressibus opinatus si je puis, d'avoir toutes ces notes transcrites. est et à la marge, opinatus est, expressione Ils m'ont dit que, jusqu'à cette heure, la travulgari, id est, credidit; ce qui me paroît af- duction leur avoit paru fidèle, et la latinité foiblir le texte. bonne. Si je pouvois seulement avoir le tout pendant vingt-quatre heures, je verrois si la traduction est fidèle, et je marquerois les endroits où elle manque pour les notes, en quatre heures de temps elles seroient transcrites.

Dans la page 90, à côté de ces paroles: « Dans cette impression involontaire de déses» poir, elle fait le sacrifice absolu de son intérêt » propre, » etc.; il met ces paroles: Sacrificium aliquo modo dixeram absolutum, et ita restrictum volueram. Jam illud explico: immolat suam imperfectionem naturalem adjunctam spei supernaturali; sed non ipsam spem; prétendant par imperfectionem naturalem entendre qu'il sacrifie toute vue d'intérêt propre,

A Rome, ce 40 décembre 1697.

LETTRE CLXXXIV.

DE L'ABBÉ PHELIPPEAUX A BOSSUET.

Relation de M. de Meaux; le mérite des écrits du prélat; et sur plusieurs écrits faits pour M. de Cambrai.

qu'il avoue être une imperfection naturelle, Sur l'inquiétude que donnoit à l'abbé de Chanterac la sans pourtant perdre l'espérance surnaturelle qui demeure toujours; ce qui me paroît une contradiction manifeste. Car peut-on comprendre une espérance surnaturelle sans la vue de notre béatitude, de notre bonheur, qu'il immole comme imperfection? C'est unir ensemble, et l'espérance, et le désespoir; enfin c'est un galimatias inintelligible.

Je viens d'apprendre que les examinateurs ont reçu ordre de s'assembler vendredi. Vous savez qu'on a substitué au père Damascène lé général des carmes-déchaux, qu'on dit être honnête homme. M. de Cambrai a écrit au car

My

dinal Casanate, pour lui donner avis qu'il en- | l'apparence que l'auteur est le père Dez; il veut verroit une réponse au Summa Doctrinæ et à la se signaler. On m'a assuré qu'il étoit auteur de Déclaration, et le prie de ne pas presser le ju- quatre écrits; de trois latins, dont je vous en ai gement il aura écrit pareillement aux autres envoyé un entier, et un extrait du second, que cardinaux. Il a aussi écrit aux examinateurs j'ai complet: le troisième est l'italien, que je fais tout cela ne tend qu'à différer. Son député est transcrire. Je n'ai pas le quatrième : je ferai mes un peu embarrassé de ce qu'il entend dire de la diligences pour l'avoir, et pour savoir au vrai Relation, qu'il fait chercher inutilement; car quel en est l'auteur. J'aurois une grande déon n'en a point donné de copie, et on se con- mangeaison d'écrire contre ce prétendu docteur; tente de la lire. Elle ne laisse pas de faire un mais vous le ferez mieux et plus modérément bon effet, et d'effacer les idées qu'il avoit don- que je ne pourrois faire. nées il a recours à tout. Dimanche je le rencontrai venant de la chambre du père Dias, cordelier espagnol fort intrigant. Il est ennemi de ceux qui ont fait condamner la mère d'Agréda, dont il vouloit solliciter la canonisation : vous jugez bien qui lui a donné cette connois

sance."

On se donne ici un grand mouvement pour s'opposer à la canonisation de Palafox. Le général des jésuites a fait, dit-on, opposition chez le cardinal Casanate, ponent de cette affaire : cependant le roi d'Espagne en fait les instances et les frais. Les carmes déchaux se remuent fort pour cette affaire ; et l'ambassadeur d'Espagne n'a pas peu d'occupation de donner audience aux parties.

On m'a dit que M. de Cambrai avoit envoyé sa Lettre pastorale aux évêques de Flandre par un Père de l'Oratoire, qui devoit leur en demander leur sentiment. M. Steyaert a dit qu'il n'étoit pas nécessaire d'attendre son avis, qu'il n'approuvoit pas la doctrine de l'archevêque ; et le lendemain il a fait soutenir une thèse contre son système. Cet homme assurément n'est. pas janséniste, s'il ne l'est devenu depuis peu.

Après le rapport du livre du père Dez, il a été ordonné qu'il iroit per manus des cardinaux. Le général des jésuites a mandé à toutes ses maisons de faire des prières pour une grande persécution que souffroit la société : on croit que c'est pour l'affaire de Palafox.

Vous avez tellement ramassé tout ce que le livre de M. de Cambrai a de mauvais, et dans vos observations et dans vos écrits nouvellement arrivés, que vous ne laissez rien à grapiller aux autres par-là toutes mes animadversions deviennent inutiles. J'avois pourtant fait sentir que l'amour de soi, renfermé dans l'amour de la béatitude, étoit bon; et que d'en nier la bonté, c'étoit donner dans l'erreur des manichéens. J'avois amassé les passages de saint Augustin, de saint Thomas, de saint Bernard et des scolastiques, pour prouver que l'amour justifiant et renfermant le desir de la béatitude n'est point mercenaire; que les saints les plus parfaits étoient ceux, comme dit Estius, que l'Écriture nous représente avoir été les plus touchés de la possession de Dieu. J'avois remarqué cet endroit où il dit qu'il n'y a point de tradition plus évidente que celle de son amour pur: ce qui étant ou faux, ou du moins contesté, donnoit occasion aux hérétiques de se moquer des traditions les plus authentiques. Je l'attaquois fort sur ses traditions secrètes : j'insistois surtout sur l'indifférence et sur le dixième article, sur l'unique motif qu'il admet, savoir, la volonté Comme l'écrit italien ne vient pas et qu'il est de Dieu; ce qui me paroît avoir des suites fâ-fort tard, je vous envoie ce que j'avois mis au cheuses. Vos écrits sont venus: il a fallu les traduire et les faire copier, et j'ai cru que mon travail ne serviroit que pour des réponses particulières, s'il en falloit faire; mais vous épuisez la matière.

La Lettre pastorale de M. de Cambrai fait un nouveau système. L'Instruction de M. de Paris est excellente, et fera ici un bon effet. Je croyois vous envoyer un troisième écrit italien, intitulé, Reflezioni d'un Dottore di Sorbona: le copiste me l'avoit promis; mais il est tard, et je désespère de l'avoir pour cet ordinaire. Il y a bien de

Le procureur des Missions étrangères de France a obtenu des bulles d'un nouvel évêché pour un des leurs. Ces messieurs sont fort obligés à cet agent, et ne lui rendent pas assez de justice, si le bruit qui a couru de sa révocation étoit vrai. On a grand intérêt de l'éloigner d'ici; mais ce n'est pas ses confrères.

net de mon ouvrage, qui étoit assez long; mais l'Ordonnance de M. de Paris et vos observations seront beaucoup meilleures : je m'en servirai, s'il y a nécessité de le faire. On verra clair dans cette matière, et il n'y a'que les retardements à craindre.

L'écrit italien vient d'arriver à dix heures du soir : il a été composé en françois, et traduit par un Italien, l'abbé Mico. Le scribe a dit à un de mes amis qu'un jésuite l'avoit apporté en disant: Je ne suis pas quiétiste, mais je ne puis souffrir qu'on opprime ce pauvre archevêque,

Selon toutes les apparences, d'après la peinture qu'on m'en a faite, c'est le père Dez. La copie n'étant pas tout-à-fait achevée, je vous enverrai le reste par le premier ordinaire.

Ce 10 décembre 1697.

LETTRE CLXXXV.

DE BOSSUET A SON NEveu.

Sur des Remarques abrégées qu'il devoit faire imprimer contre M. de Cambrai; et sur l'improbation univer

selle que témoignoient pour le livre et l'Instruction de

ce prélat les évêques et les docteurs.

J'ai reçu votre lettre du 26 je commencerai par le chevalier de La Grotte. Sa pension est assurée de deux cents écus, tant qu'il sera en pays de connoissance : à mon retour, j'entrerai dans le détail.

Je pars demain, et ne reviendrai à Versailles que le 27, jour de saint Jean, pour le serment * et les autres choses. On nous a donné pour aumôniers ordinaires M. l'abbé de Castries, à qui vous ferez votre compliment; MM. de La Boulidière, de la Roche-Jacquelin, de Levis, de la maison de Mirepoix, et de Montmorel, frère de l'abbé des Alleurs. Le sacre de M. de Metz est dimanche prochain aux Feuillants, où il est en retraite, par M. le cardinal de Coislin, et MM. de

Verdun et de Carcassonne.

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M. de Reims vous écrira apparemment sur la remontrance insolente contre son Ordonnance**, par un qui se dit jésuite; mais sans nom d'auteurini d'imprimeur, sans aveu, sans permissions: cela réussit très mal.

J'ai fait ce matin vos compliments à M. de Paris, qui m'a montré une lettre d'un père minime, qui écrit de bon sens, et qui mande qu'il se concerte avec vous; ce que j'approuve beaucoup, et que je vous prie de continuer. Il lui parle de la nouvelle congrégation, pour laquelle on avoit fait une tentative inutile, et lui marque que vous m'en écrivez..

Je trouve bien long d'imprimer mes Remarques: j'en ferai un extrait en latin, où je répondrai en abrégé aux notes et aux explications de l'Instruction pastorale, et je serrerai la matière. Quant à la dissension entre les évêques, il n'y en a point. Nous avons leurs lettres, contraires

* Il devoit prêter serment en qualité de premier aumônier de

la duchesse de Bourgogne.

** M. Le Tellier lui-même avoue, dans ses lettres à l'abbé Bossuet, que la Remontrance est assez bien écrite, qu'il y a de bons endroits, et un respect extérieur. L'auteur de cette pièce étoit le père Daniel; et on l'a imprimée dans le Recueil de ses divers ouvrages, tom. 11, pag. 431 et suiv. (Edit. de Vers.)

| au livre et à l'Instruction pastorale M. de Cambrai n'en a pas un seul pour lui, et vous pouvez le mettre en fait : j'en dis autant des docteurs. Si l'affaire n'étoit pas portée au Pape, on prendroit ici d'autres moyens pour réprimer une erreur si dangereuse: mais M. de Cambrai s'étant adressé lui-même au Pape, on seroit dans le dernier étonnement si Rome ne condamnoit pas un livre par lequel tout Molinos revient.

Vous aurez des exemplaires de la lettre des cinq évêques sur Sfondrate. Nous sommes convenus qu'on ne feroit rien à présent sur cela, et qu'on songeroit uniquement à terminer l'affaire

de M. de Cambrai.

Je reçois à l'instant une lettre pleine d'amitiés de M. le cardinal de Bouillon, sur ma charge de premier aumônier. Je vous prie de l'assurer de mes respects.

Je serois bien aise d'avoir l'écrit du père Dez*, s'il se peut.

Je ne sais si je vous ai mandé que j'avois vu un avis du père Serri, qui est admirable, sur le livre de M. de Cambrai.

Tout ce que M. de Cambrai expose, dans son Instruction pastorale, sur la doctrine, est déguisé. Il omet les articles les plus importants. II coule sur madame Guyon, qu'il veut défendre à quelque prix que ce soit, et l'enveloppe avec les mystiques des siècles passés, auxquels il veut faire accroire que nous en voulons dans nos censures. La traduction latine de son livre est un grossier artifice : elle est aussi vraie que les passages de saint François de Sales, dont il en a supposé, tronqué, altéré et pris à contre-sens plus de vingt.

A Paris, ce 17 décembre 1697.

LETTRE CLXXXVI.

DE L'ABBÉ BOSSUET A SON ONcle.

Sur les conférences des examinateurs, qui étoient reprises.

J'ai reçu la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire de Versailles, le 25 novembre. J'espère que mes dernières lettres vous auront un peu plus contenté que les précédentes. Les conférences recommencées me paroissent un coup de partie. De plus, j'ai raison de croire. qu'on ne les discontinuera pas, et même qu'on les rendra plus fréquentes qu'une fois la semaine: avec cela on ne peut répondre de rien. Les cambraisiens sont ici un peu étonnés de

* Il s'agit de l'écrit italien de ce Père contre la Déclaration des trois évêques· ̧

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dinal Casanate, pour lui donner avis qu'il enverroit une réponse au Summa Doctrinæ et à la Déclaration, et le prie de ne pas presser le jugement il aura écrit pareillement aux autres cardinaux. Il a aussi écrit aux examinateurs : tout cela ne tend qu'à différer. Son député est un peu embarrassé de ce qu'il entend dire de la Relation, qu'il fait chercher inutilement; car on n'en a point donné de copie, et on se contente de la lire. Elle ne laisse pas de faire un bon effet, et d'effacer les idées qu'il avoit données il a recours à tout. Dimanche je le rencontrai venant de la chambre du père Dias, cordelier espagnol fort intrigant. Il est ennemi de ceux qui ont fait condamner la mère d'Agréda, dont il vouloit solliciter la canonisation: vous jugez bien qui lui a donné cette connois

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sance.*

Vous avez tellement ramassé tout ce que le livre de M. de Cambrai a de mauvais, et dans vos observations et dans vos écrits nouvellement arrivés, que vous ne laissez rien à grapiller aux autres par-là toutes mes animadversions deviennent inutiles. J'avois pourtant fait sentir que l'amour de soi, renfermé dans l'amour de la béatitude, étoit bon; et que d'en nier la bonté, c'étoit donner dans l'erreur des manichéens. J'avois amassé les passages de saint Augustin, de saint Thomas, de saint Bernard et des scolastiques, pour prouver que l'amour justifiant et renfermant le desir de la béatitude n'est point mercenaire; que les saints les plus parfaits étoient ceux, comme dit Estius, que l'Écriture nous représente avoir été les plus touchés de la possession de Dieu. J'avois remarqué cet endroit où il dit qu'il n'y a point de tradition plus évidente que celle de son amour pur: ce qui étant ou faux, ou du moins contesté, donnoit occasion aux hérétiques de se moquer des traditions les plus authentiques. Je l'attaquois fort sur ses traditions secrètes : j'insistois surtout sur l'indifférence et sur le dixième article, sur l'unique motif qu'il admet, savoir, la volonté de Dieu; ce qui me paroît avoir des suites få cheuses. Vos écrits sont venus: il a fallu les traduire et les faire copier, et j'ai cru que mon travail ne serviroit que pour des réponses particulières, s'il en falloit faire; mais vous épuisez la matière.

La Lettre pastorale de M. de Cambrai fait un nouveau système. L'Instruction de M. de Paris est excellente, et fera ici un bon effet. Je croyois vous envoyer un troisième écrit italien, intitulé, Reflezioni d'un Dollore di Sorbona: le copiste me l'avoit promis; mais il est tard, et je désespère de l'avoir pour cet ordinaire. Il y a bien de

l'apparence que l'auteur est le père Dez; il veut se signaler. On m'a assuré qu'il étoit auteur de quatre écrits; de trois latins, dont je vous en ai envoyé un entier, et un extrait du second, que j'ai complet : le troisième est l'italien, que je fais transcrire. Je n'ai pas le quatrième : je ferai mes diligences pour l'avoir, et pour savoir au vrai quel en est l'auteur. J'aurois une grande démangeaison d'écrire contre ce prétendu docteur; mais vous le ferez mieux et plus modérément que je ne pourrois faire.

On se donne ici un grand mouvement pour s'opposer à la canonisation de Palafox. Le général des jésuites a fait, dit-on, opposition chez le cardinal Casanate, ponent de cette affaire : cependant le roi d'Espagne en fait les instances et les frais. Les carmes déchaux se remuent fort pour cette affaire; et l'ambassadeur d'Espagne n'a pas peu d'occupation de donner audience aux parties.

On m'a dit que M. de Cambrai avoit envoyé sa Lettre pastorale aux évêques de Flandre par un Père de l'Oratoire, qui devoit leur en demander leur sentiment. M. Steyaert a dit qu'il n'étoit pas nécessaire d'attendre son avis, qu'il n'approuvoit pas la doctrine de l'archevêque; et le lendemain il a fait soutenir une thèse contre son système. Cet homme assurément n'est. pas janséniste, s'il ne l'est devenu depuis peu.

Après le rapport du livre du père Dez, il a été ordonné qu'il iroit per manus des cardinaux. Le général des jésuites a mandé à toutes ses maisons de faire des prières pour une grande persécution que souffroit la société : on croit que c'est pour l'affaire de Palafox.

Le procureur des Missions étrangères de France a obtenu des bulles d'un nouvel évêché pour un des leurs. Ces messieurs sont fort obligés à cet agent, et ne lui rendent pas assez de justice, si le bruit qui a couru de sa révocation étoit vrai. On a grand intérêt de l'éloigner d'ici; mais ce n'est pas ses confrères.

Comme l'écrit italien ne vient pas et qu'il est fort tard, je vous envoie ce que j'avois mis au net de mon ouvrage, qui étoit assez long; mais l'Ordonnance de M. de Paris et vos observations seront beaucoup meilleures : je m'en servirai, s'il y a nécessité de le faire. On verra clair dans cette matière, et il n'y a'que les retardements à craindre.

L'écrit italien vient d'arriver à dix heures du soir : il a été composé en françois, et traduit par un Italien, l'abbé Mico. Le scribe a dit à un de mes amis qu'un jésuite l'avoit apporté en disant Je ne suis pas quiétiste, mais je ne puis souffrir qu'on opprime ce pauvre archevêque,

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