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que j'avois écrit; parcequ'il me semble qu'on découvre et fait bien mieux voir l'erreur d'un livre, lorsqu'on l'examine d'un bout à l'autre, et qu'on montre que ce n'est partout qu'un enchaînement de faux principes et de mauvaises maximes; que quand on se contenté d'en extraire quelques propositions, et qu'on le combat, s'il faut ainsi dire, par parties. Comme c'est l'esprit qui anime un auteur, et la fin qu'il se propose, qui fait connoître la bonté ou la dépravation de son livre, je crois qu'on ne connoit jamais mieux ces choses qu'en l'examinant d'un bout à l'autre. C'est là, monseigneur, ce qui m'a toujours fait penser qu'il seroit bon qu'il parût un examen suivi du livre de M. de Cambrai. Mais comme je n'aurai jamais de peine, monseià soumettre mes lumières aux vôtres, c'est ce qui fait qu'après avoir pris la liberté de vous marquer mon sentiment, il ne me reste qu'à vous assurer que je serai toujours très content de tout ce que vous ferez; puisque personne ne vous honore plus que moi, et n'est avec un plus grand respect, etc.

plus fortes: on auroit mieux fait de se servir des vôtres, qui sont beaucoup plus justes, et de suivre l'ordre des propositions extraites, et examinées en cette cour.

Il est arrivé, par un courrier extraordinaire, une lettre en réponse à vos Remarques : on la méprise, et elle ne retardera nullement le jugement. Je n'ai jamais vu tant d'aigreur et de hauteur que dans cet écrit, et si peu de bonne foi. Je crois devoir vous avertir qu'il y a plus d'un an que M. de Chanterac avoit dit, à qui vouloit l'entendre, que M. de Cambrai s'étoit confessé à vous. C'étoit alors une véritable confession sacramentelle. Il suffit de vous nommer pour témoins le père Estiennot, procureur général des bénédictins; le père Prinslet, procureur général de Citeaux, et le père Cambolas, procureur géné ral des carmes. Je ne sais comment il peut dire qu'il n'a pas eu connoissance des trois écrits que les jésuites ont ici publiés pour sa défense. Je sais qu'ils ont été décrits et copiés chez M. de Chanterac, qu'il les a distribués à tous les examinateurs qui étoient pour lors. Quand j'ai dit à Granelli que M. le cardinal de Bouillon n'avoit

BRION, des Carmes des Billettes de Paris. point vu ces écrits, il m'a répondu qu'il avoit

24 novembre 1698.

Je pars pour m'en retourner dans ma retraite; c'est ce qui me fait recourir à la plume, désespérant de pouvoir avoir l'honneur de vous voir avant mon départ.

LETTRE CCCLXXIV.

souffert que les partisans du livre dissent en sa présence et celle du Pape des choses très désavantageuses au royaume; et il ajouta : Si vedeva bene ch' egli era piu attento a defendere le falsità del suo amico, che al decoro della Francia: Mais il étoit plus attentif à défendre les erreurs de son ami, qu'à soutenir l'honneur de la France.

M. de Cambrai a tort de dire que les examinateurs qui ont été pour lui sont admirés à DE L'ABBÉ PHELIPPEAUX À BOSSUET. Rome : ils y sont entièrement décrédités. On est étonné de leur engagement et de la puissance de Sur l'effet que produisoit à Rome la censure des docteurs la cabale; et on dit publiquement qu'on ne troude Paris; une réponse de M. de Cambrai aux Remar-veroit pas encore dans toute l'Italie, cinq théoques; et le caractère des examinateurs qui s'étoient déclarés pour lui.

logiens qui eussent osé prendre un tel parti. L'archevêque de Chieti a avoué à l'abbé Pequini Les choses paroissent aller de mieux en mieux. qu'il avoit été trompé par Bernini, ci-devant asLe Pape est immobile dans la résolution qu'il a sesseur, et entièrement attaché à M. le cardinal prise de finir bientôt, et de couper toutes les ra- de Bouillon; qu'on lui avoit persuadé que le roi, cines, s'il se peut, du quiétisme. Les cardinaux le clergé, la Sorbonne défendoient unanimement achevèrent hier de parler sur l'amour pur. Le ju- la doctrine de M. de Cambrai, et que cela lui gement doctrinal des docteurs de Paris a pro-étoit dit et confirmé par des gens à qui il devoit duit ici un bon effet; et les efforts qu'on a faits pour exciter la jalousie de cette cour ont été inutiles. Les cardinaux ont vu que c'étoit un jugement préparatoire, usité en semblables occasions; et on leur avoit tant de fois dit que la Sorbonne étoit favorable au livre, qu'il étoit bon qu'on sût au vrai son sentiment. J'aurois souhaité qu'on eût qualifié plus de propositions, et que les qualifications eussent été plus précises et

ajouter foi; mais que dans toutes les audiences qu'il avoit du Pape, il ne cessoit de lui dire qu'il falloit condamner le livre, et finir au plus tôt cette affaire. On m'a assuré que le sacriste disoit aussi qu'il avoit été trompé par les jésuites. Ces messieurs à la fin découvriront ceux qui les ont engagés dans un si mauvais pas. Je vois bien cependant que M. de Cambrai commence à se prévaloir de la scandaleuse partialité, et que ce sera

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pour lui un moyen de chicaner ou même de C'est aussi ce qu'il y a de plus glorieux pour l'aupersister dans l'erreur.

Nous aurons demain au saint-office l'abjuration du frère Bénigne et d'un autre augustin déchaussé, dont je vous ai déja mandé l'histoire lorsqu'ils furent arrêtés. Il y a dans leur fait du quiétisme : nous entendrons demain leur procès. Le courrier extraordinaire qui a apporté la lettre de M. de Cambrai repartit samedi en diligence, apparemment pour informer le prélat de l'état présent des affaires. Il doit venir, par un nouveau courrier, des réponses au Schola et Mystici in tuto: on avoit cru qu'elles étoient déja arrivées; mais on s'étoit trompé.

On fait espérer la fin de l'affaire vers Noël; je ne le puis croire: si cela est fini vers le carême, je serai content.

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teur dans cette pièce : car il me semble qu'il n'a jamais donné plus d'avantage contre lui surtout qu'il le fait dans sa Reponse. Il y soutient, il y défend madame Guyon et le sens inconnu de son livre, plus scandaleusement que jamais. Il y parle avec une insolence outrée de toutes les personnes qui ne suivent pas aveuglément sa cabale. Personne ne doute qu'il n'ait voulu laisser entendre en plusieurs endroits le roi et madame de Maintenon, surtout pages 6 et 8. Sa hardiesse, son arrogance et ses impostures s'y découvrent plus que jamais. M. le cardinal de Bouillon, en m'en parlant la première fois, quoiqu'il admirât cet ouvrage, et dit que c'étoit le plus grand effort de l'esprit humain, fut obligé de m'avouer que M. de Cambrai étoit hors des gonds, et qu'il défendoit plus que jamais madame Guyon. Pour moi, je n'y trouve que le caractère d'un charlatan, d'un déclamateur, et du plus dangereux de

Je vous remercie de la bonté que vous avez eue d'écrire à messieurs du chapitre pour me tenir présent: M. Ledieu m'a mandé qu'ils l'avoient accordé. Je suis avec un profond res-tous les hommes. pect, etc.

A Rome, ce 25 novembre 1698.

LETTRE CCCLXXV.

DE L'ABBÉ BOSSUET A SON oncle.

Sur l'étonnante célérité avec laquelle M. de Cambrai venoit de publier sa Réponse aux Remarques de M. de

Meaux; la nécessité de le réfuter; l'état de l'affaire; et

la manière dont les cardinaux avoient parlé dans les

congrégations qui s'étoient tenues.

J'ai reçu la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire de Meaux, le 27 de ce mois. Vous aurez su que notre courrier est arrivé ici avec votre réponse, cinq jours plus tard qu'il ne devoit. Il étoit parti de Paris le 18 octobre au matin, et il n'est arrivé à Rome que le 31 du même mois, au matin. Les prétextes qu'il m'a apportés sont tous d'un homme de mauvaise foi il n'en faut plus parler.

Je sais que la plupart des cardinaux ont déclaré à M. de Chanterac qu'ils ne liroient pas cet ouvrage. MM. les cardinaux Spada, Casanate, Marescotti, Carpegna et Ferrari me l'ont dit à moi-même. Ils ont lu le vôtre avec plaisir, et ils m'en ont parlé très avantageusement. Les partisans de M. de Cambrai ne laissent pas de faire valoir extrêmement contre vous sa nouvelle Réponse. J'avoue que la manière dont elle est écrite, le caractère de l'auteur, et la cabale horrible dont il est appuyé, m'ont fait changer de sentiment sur ce que je crus vous devoir témoigner dans ma dernière lettre, qu'il seroit peut-être à propos de ne plus écrire. A présent je suis convaincu que vous ne devez rien laisser sans réponse, et qu'il convient que M. de Cambrai vous trouve toujours prêt à faire triompher la vérité, et à dévoiler l'imposture et le mensonge. Il faut le suivre dans tous ses retranchements, et ne lui laisser aucun moyen de pouvoir échapper. C'est une bête féroce qu'il faut poursuivre, pour l'honneur de l'épiscopat et de la véM. de Cambrai a été mieux servi. Sa Réponse rité, jusqu'à ce qu'on l'ait terrassée, et mise à vos Remarques est arrivée ici en dix jours, et hors d'état de ne plus faire aucun mal. Il donne seroit venue en huit sans une rivière débordée. plus que jamais prise sur lui dans ce dernier L'ouvrage a été composé aussi vite, et, je l'a- ouvrage. Si j'étois à votre place, je ferois une révoue, avec une diligence incroyable : je ne doute ponse sous le titre d'éclaircissements, et je l'acpas que vous ne l'ayez eu à Paris aussitôt ou cablerois. Saint Augustin n'a-t-il pas poursuivi plus tôt que nous. Il y a apparence qu'on lui a Julien jusqu'à la mort? Il faut toujours continuer envoyé vos Remarques feuille à feuille de chez à parler avec autorité, avec force, d'un style séAnisson. Cet ouvrage arriva ici mercredi der-rieux et accablant. MM. de Paris et de Chartres nier, c'est-à-dire le 19 de ce mois. Le vôtre n'avoient l'avantage que M. de Cambrai tire de été achevé d'imprimer que vers le 17 d'octobre. La diligence de la composition, de l'impression et de l'envoi, est assurément extraordinaire.

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leur silence sur les faits les plus faux, qu'il présente comme avoués par eux. Il est vrai, et je le répète encore, qu'il n'est plus nécessaire d'é

Venons à ce qui se passe. On tint hier la seconde congrégation; et je pense que le reste des cardinaux, qui n'avoient pas parlé dans la pre

crire par rapport au jugement de l'affaire, et, quelque nouvel ouvrage, faites-le court, et armême par rapport à cette cour-ci; c'est ce que rêtez-vous à ce qui mérite réponse, ou demande j'ai déclaré hautement au Pape et aux cardinaux, des éclaircissements. encore tout nouvellement mais par rapport à la France, par rapport à la cabale, et pour délivrer l'Église du plus grand ennemi qu'elle ait jamais eu, je crois qu'en conscience, ni les évê-mière, l'auront fait dans celle-ci. Les cardinaux ques ni le roi ne peuvent laisser M. de Cambrai en repos. Le coup accablant pour lui sera la condamnation de son livre et de sa doctrine par le Saint-Siége, qui ne tardera pas long-temps. Si vous écrivez sur ce dernier ouvrage, comme je crois que vous le devez faire, il sera bon que ce ne soit pas en forme de lettre: il me semble qu'il n'est pas décent de se traiter mal par let-personne de l'auteur; mais on se contente de tre. Au reste, plus cet adversaire est enragé et parler fortement contre la doctrine. outré contre vous, plus il faut que vous paroissiez le mépriser, et que sans injures vous l'accabliez par les choses mêmes. Il ne veut plus payer que d'esprit.

N'ayant pu aller aux pieds de Sa Sainteté, j'ai vu M. le cardinal Spada et M. l'assesseur, à qui j'ai fait plaisir de les assurer que tout ce qui pouvoit s'écrire actuellement de part et d'autre n'étoit point nécessaire pour le jugement de l'affaire, qui dépendoit du seul texte du livre déféré devant le Saint-Siége. C'est ce qu'on entend fort bien à présent..

Il me semble qu'on embarrasseroit fort M. de Cambrai, si on lui demandoit quel est donc le sens caché et bon qu'a eu en vue madame Guyon dans ses livres, et qu'il dit qu'il s'est fait expliquer terme par terme, parole par parole. Il le doit savoir, pour l'excuser si positivement; et s'il ose jamais le déclarer, il se trouvera que c'est ce qu'il a voulu exprimer dans son livre des Maximes. Vous voyez les conséquences de ce raisonnement.

M. le cardinal de Bouillon me parla sur le chapitre de la confession peu avantageusement pour vous et pour M. de Cambrai en même temps, donnant tort à l'un et à l'autre. Je lui répondis si fortement là-dessus, qu'il n'eut pas un mot à me répliquer. Son but est d'excuser M. de Cambrai tout autant qu'il le peut.

Il est de la dernière conséquence que vous fassiez bien entendre à M. le nonce et au roi, de quelle nécessité il est qu'on ne laisse pas M. de Cambrai écrire le dernier, qu'on découvre tous ses mensonges et qu'on dissipe tous ses artifices. Il s'agit de défendre la vérité, la doctrine de l'Église et l'honneur de saints évêques. De ce côté-ci, je n'oublie rien pour faire sentir l'obligation que l'Église catholique doit vous avoir, et aux évêques, d'éclaircir et soutenir des vérités aussi importantes. Si vous composez

Noris et Ferrari devoient parler. Je n'ai pu encore savoir précisément ce qui s'est passé ; mais je puis assurer que tout aura été bien. Le cinquième état sera traité d'illusoire, d'erroné, de faux, peut-être d'impie et d'hérétique. Sans M. le cardinal de Bouillon, qu'on ne veut pas choquer ouvertement, on auroit fort maltraité la

J'ai su que M. le cardinal de Bouillon avoit eu quelque dessein de se retirer: mais les jésuites et les amis de M. de Cambrai, du côté de Paris, l'ont engagé à aller jusqu'au bout, pour parer quelques coups, et au moins tenir en respect les cardinaux et le Pape. Je sais, à n'en pouvoir douter, que M. le cardinal de Bouillon a loué extrêmement le personnel de M. de Cambrai et ses bonnes intentions, et qu'il a biaisé sur le reste, ne pouvant néanmoins approuver le sens rigoureux des propositions. On ignore encore quelles qualifications il leur a données: on croit qu'il ne les remettra qu'au Pape, quand tous auront expliqué leurs sentiments. C'est là le point, le reste n'est rien. Le cardinal Carpegna a parlé dans la première congrégation très fortement et très brièvement; le cardinal Nerli, comme il m'avoit promis; le cardinal Casanate, divinement, et son discours fit grande impression; le cardinal Marescotti avec vigueur et rigueur. Voilà tous ceux qui parlèrent dans la première congrégation, et M. le cardinal de Bouillon le fit très longuement. Le mercredi 19, à l'assemblée de la Minerve, on ne put s'occuper de cette affaire : on jugea deux quiétistes, qui doivent demain faire abjuration semi-publique, où je ne manquerai pas d'assister. C'est le fameux père Bénigne, qu'on consultoit ici comme un saint, et un père Paul, de l'observance des Petits-Pères, tels que ceux de la place des Victoires. On leur devoit faire faire abjuration à la Minerve, comme à Molinos; mais en considération de leur ordre, ils la feront au palais du saint-office.

Hier se tint notre congrégation, dont je ne sais pas le détail; mais, encore une fois, la queue aura suivi la tête. Le cardinal Noris assurément n'aura pas épargné l'amour pur, qui est, selon moi, le seul point qui pouvoit faire quelque difficulté, et sur lequel la cabale infernale a fait le plus d'efforts pour en empêcher la con

lettres: mais elle ne laisse pas d'avoir son effet, de confirmer tout ce que nous avons dit, et de faire marcher les pusillanimes avec plus de confiance. Nous avons affecté de publier ici que l'on ne regardoit cette pièce que comme un té

voient souffrir l'idée que M. de Cambrai avoit voulu donner de leurs sentiments; mais que cet acte n'étoit point nécessaire, et que nous ne doutions pas que le Saint-Siége ne frappât encore plus fortement. Je vous l'ai toujours bien dit, qu'il falloit les laisser commencer, et que quand une fois ils seroient échauffés, ils n'épar

damnation. Aussi, comme vous l'avez vu par mes précédentes, n'ai-je eu aucun repos, que je ne fusse comme assuré que cette doctrine seroit expressément proscrite. Je leur ai parlé si fortement là-dessus, qu'ils ont bien vu que nous ne serions pas contents d'eux s'ils passoient légère-moignage de docteurs particuliers, qui ne poument sur cet article, et que nous compterions qu'ils donneroient gain de cause à M. de Cambrai. La vérité leur a paru clairement démontrée dans votre doctrine et dans vos ouvrages, et l'illusion et la fausseté dans ceux de M. de Cambrai. Ils sont convaincus de la mauvaise foi de cet auteur, et du péril que court la religion, si son système est épargné enfin les impres-gneroient pas M. de Cambrai. Il étoit question sions de la cabale se sont dissipées, et je ne vois plus aucune ressource pour M. de Cambrai. J'ose dire à présent la victoire assurée, si Sa Sainteté vit encore deux mois; et peut-être l'affaire sera-t-elle terminée plus tôt. Le Pape est plus résolu que jamais, et M. le cardinal de Bouillon ne prend plus d'autre parti avec lui que de parler doucement; car Sa Sainteté le prévient sur tout.

Le personnage de M. le cardinal de Bouillon fait pitié. Sa foiblesse, sa malice, son impuissance le jettent dans une mélancolie dont tout le monde s'aperçoit.

M. le cardinal Casanate parla hier au Pape, et le Pape lui dit qu'il vouloit l'entretenir in camera sur cette affaire. C'est un digne homme on ne lui rend pas justice en France, si l'on s'oppose à le faire pape. Nos cardinaux ne sont guère pour lui; car ils sont tous jésuites, plus ou moins. Il faut que vous vous ménagiez beaucoup là-dessus : néanmoins il est bon que vous agissiez auprès du roi et de madame de Maintenon, pour leur faire connoître la nécessité d'avoir un pape de mérite, qui aime l'Église, qui soit savant, et qui puisse abattre les jésuites, qui perdront tout un jour. Ce qui fait apercevoir plus clairement à tout le monde que les affaires de M. de Cambrai vont mal, c'est la rage de tous ses partisans, qui disent qu'on ne peut résister au roi. Non, assurément, l'on ne peut résister au roi, quand il a la vérité pour lui; et c'est la plus grande gloire qu'il puisse jamais avoir, le plus beau fleuron de sa couronne, d'être le défenseur de la religion et le protecteur des bons évêques.

Venons à la censure des docteurs. La manière dont l'affaire a été conduite ici, de notre part, a remédié à toutes les mauvaises impressions qu'on a voulu donner d'abord. Il est vrai que, dans les circonstances présentes, et surtout depuis un mois ou deux, cette pièce n'étoit pas nécessaire; vous l'aurez vu par mes précédentes

de les laisser insanguinari, et vous verrez que la fin sera plus forte qu'ils ne l'ont d'abord cru eux-mêmes. C'est à quoi il faut avoir l'œil.

Le Pape voit à présent que tout le mal vient d'avoir ajouté ses deux évêques. M. de Chieti, l'un des deux, avoit témoigné vouloir se rétracter mais les amis de M. de Cambrai l'en ont empêché, à ce qu'on prétend. J'eus hier un entretien avec lui assez vigoureux, dans lequel je lui parlai avec sincérité et respect jamais homme n'a été si embarrassé; je ne sais ce que cela produira.

On dit que l'université de Louvain a refusé net à M. de Cambrai l'approbation qu'il desiroit; qu'il a néanmoins arraché de quelques docteurs de Flandre inconnus quelque chose d'ambigu.

On sait ici la condamnation d'Ekard, dominicain, et l'on en a fait bon usage.

M. Madot, pour qui yous voulez bien vous intéresser, n'est pas aimé de M. le cardinal de Bouillon, à cause qu'il paroît être de mes amis; mais il s'en moque.

M. de Villeroi est extrêmement chéri içi de tous ceux qui le connoissent, de moi en particulier, qu'il a toujours honoré d'une bienveillance particulière; je vous supplie de lui vouloir faire un peu ma cour.

La Réponse de M. de Cambrai aux écrits latins n'est pas encore arrivée; mais on la promet incessamment : elle viendra tard.

On ne peut trop à la cour presser le nouvel ambassadeur de venir: tout est ici dans la confusion. Sur l'article de l'écrit, où il s'agit de la confession de M. de Cambrai, vous avez pour témoins de la fausseté du fait M. de Paris et M. Tronson. Qu'y a-t-il à dire à cela?

Pour le trente-quatrième article ajouté, c'est une bagatelle en soi; mais il me semble que M. de Paris convient dans ses apostilles qu'il fut ajouté; tout dépend des circonstances. Ces apostilles n'ont été montrées ici à personne.

Quant aux intentions personnelles de madame

Guyon, les protestations qu'elle feroit pourroient bien empêcher qu'on ne les condamnât formellement, mais non pas obliger de l'excuser précisément contre la teneur du texte et le sens propre et unique qui règne partout dans ses écrits. En un mot, on peut bien supposer, quand une personne est docile, et ignorante surtout qu'elle n'est pas hérétique formellement, mais non pas qu'elle n'ait pas cru les erreurs qu'elle a expressément enseignées et impri

mées.

Au reste, il me semble avoir ouï dire que cette femme avoit eu l'insolence d'ajouter quelque chose à ce que vous lui aviez donné, et de falsifier ainsi l'acte. Ne seroit-ce pas sur cela que M. de Cambrai voudroit excuser l'acte faux qu'il ayoit produit? Je n'ai parlé à personne de ce que je vous dis là, et n'en ai qu'une idée très confuse.

Le Pape, les cardinaux, tout Rome est témoin de ce que M. l'abbé de Chanterac a assuré ici publiquement, que M. de Cambrai n'avoit vu madame Guyon que trois fois en sa vie. Cet abbé a avoué depuis qu'il avoit été trompé par M. de Cambrai le fait est notoire ici, vous pouvez l'avancer hardiment. Sa Sainteté et tous les cardinaux me l'ont dit ainsi; cent autres personnes me l'ont confirmé, M. de La Trémouille, madame des Ursins, enfin tout le monde.

?

Pour les écrits composés par les jésuites en faveur de M. de Cambrai, ils ne sont que trop certains on trouveroit ici, si l'on vouloit, plusieurs témoins qui les ont vu écrire chez M. de Chanterac. Les jésuites les distribuoient. M. de Chanterac les a donnés à tous les examinateurs, et à bien d'autres.

Je suis persuadé que messieurs les cardinaux auront fini vers Noël les qualifications des propositions après cela on fera la bulle. Je suis encore persuadé qu'on ne peut plus perdre de temps.

C'est le père Charonnier qui fait le vœu de M.le cardinal de Bouillon: jugez ce que ce peut

être.

Rome, ce 25 novembre 4698.

LETTRE CCCLXXVI.

DE BOSSUET A SON NEVEU.

Il lui témoigne la satisfaction qu'il avoit de sa conduite; lui demande les actes du procès de Molinos, et lui donne quelques avis.

J'ai reçu, aujourd'hui seulement, votre lettre du 11 de novembre, et la nouvelle des deux audiences très importantes que vous avez eues de Sa Sainteté, dont je rendrai compte, et dont j'espère qu'on sera bien aise. Le Mandatum * vous est venu bien à propos. Il n'y a rien à ajouter aux diligences que vous faites. On enverra les livres que vous demandez; mais ce ne peut être que par l'ordinaire qui suivra celui-ci.

Vous ne sauriez trop répéter à Leurs Éminences, et au Pape, dans l'occasion, que si l'on mollit le moins du monde, on aura, au lieu d'un homme soumis, un ostentateur, un triomphateur et un insultateur.

Je sais ce qui s'est trouvé dans les registres secrets du saint-office sur la doctrine de Molinos *, conforme à la Cambrésienne: ne laissez pas de m'en envoyer les actes, les plus authenques qu'il se pourra.

Je suis bien aise que le Pape ait repoussé si vivement la demande que lui faisoit M. de Chanterac pour allonger l'affaire. On m'a envoyé un extrait des vœux des examinateurs qui nous sont contraires, qui est fait par les amis de M. de Toureil.

Je crois vous avoir mandé que l'original de mon portrait est à Florence, par les ordres du grand-duc, qui l'a demandé. Je vous ai rendu compte de M. de Madot. Son frère l'abbé doit prêcher, et je tâcherai de l'entendre. Je ferai ici la cour de M. l'agent de Florence, en sorte que cela retourne aux oreilles de son maître.

Je ferai bien votre cour à M. le nonce. Vous avez raison de croire qu'il est ici en vénération, et que sa conduite y est au gré de tout le monde. Je vous ai mandé, par mes précédentes, combien elle est obligeante pour vous et pour moi.

Nous avons vu ici M. Raguenet et M. Langlois. Ce dernier a beaucoup d'esprit. Il faut prendre le bon de tout le monde. M. l'abbé Fiot, qui est présent, veut bien vous assurer de son amitié.

"Il se trouve ci-dessus, après la lettre du 18 octobre 1698. **Le saint-office ne jugea pas à propos de rendre publiques toutes les abominations et les obscénités qu'on avoit décou vertes dans l'instruction du procès de Molinos,

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