Images de page
PDF
ePub
[ocr errors]

LETTRE CCCLXXXIV.

DE BOSSUET A SON NEVEU.

Sur le jugement qu'on portoit de la dernière Réponse de M. de Cambrai, et sa disposition à cet égard; l'opposition de M. de Paris à de nouveaux écrits; et sur les faits! qu'on apprenoit par les interrogatoires de madame Guyon.

J'ai reçu votre lettre du 25 novembre. Je suis très content du progrès de l'affaire. Il ne faut point perdre de temps, à cause du grand âge du Pape.

J'ai reçu la Réponse de M. de Cambrai sur les Remarques: je ne l'ai pas encore lue. Mon frère et M. Chasot disent que cet ouvrage ne contient que des redites: je verrai s'il est besoin que je réponde. M. le nonce paroît y répugner je prendrai dans peu mon parti. Si je suivois mon inclination, je ne laisserois jamais un méchant esprit débiter impunément tant de faussetés.

Je conviens que M. le cardinal Casanate seroit un grand et digne sujet pour la papauté : j'en parle toujours ici comme je dois. Quand on aimera fortement l'Église, il ne faudra penser qu'à lui.

M. l'archevêque de Paris est le plus opposé à ce qu'on fasse de nouveaux écrits, parceque le cardinal de Bouillon, à mon avis, aura marqué que le Pape desiroit qu'il n'en parût plus. Quand M. de Cambrai rejette sur madame de Maintenon la condamnation que nous faisons de ses erreurs, il montre ses mauvais des

seins.

M. d'Argenson interroge madame Guyon par rapport à M. de Cambrai ; et l'on a déja trouvé que c'étoit lui que madame Guyon entendoit sous le nom qui est marqué, Relation, section vi, n. 18. La liaison de cette dame avec lui est manifeste. Il est prouvé qu'elle a commis le crime avec le père La Combe.

Ce que les partisans de M. de Cambrai ont débité sur l'approbation donnée à sa doctrine par l'université d'Alcala, n'est rien. On parle de la thèse de Louvain je la fais chercher, et je ne l'ai pas encore vue.

M. de Monaco m'a parlé de vous très obligeamment. Je ne partirai pas d'ici pour Meaux sans l'entretenir à fond : j'en suis très satisfait. Il partira au commencement de l'année prochaine. J'embrassé M. Phelippeaux, et je suis

très content de sa lettre du 25 novembre.

Paris, 15 décembre 1698.

"Voyez ci-dessus, tom. vii.

LETTRE CCCLXXXV.

DE M. DE NOAILLES, ARCHEVÊQUe de paris,
A L'ABBÉ BOssuet.

Sur les espérances que lui donnoit cet abbé d'un prompt
succès; le départ prochain de M. de Monaco; et le der-
nier écrit de M. de Cambrai.

Vous n'aurez qu'un mot de moi aujourd'hui, monsieur; car j'ai très peu de temps. Je reçus hier votre lettre du 25 elle me donne bien de la joie, par les bonnes nouvelles que vous me mandez. Il y a lieu d'espérer qu'enfin la bonne doctrine triomphera; mais comme on n'est sûr de rien, surtout avec de certaines gens, que quand les choses sont entièrement faites, ne cessez point de presser et de veiller pour empêcher que les efforts et les artifices de la cabale n'obtiennent encore quelque chose de préjudiciable à l'Église.

M. de Monaco se dispose à partir incessamment: s'il ne le peut faire à la fin de ce mois, ce sera au plus tard les premiers jours de l'autre : vous pouvez l'assurer, car j'en ai eu encore des nouvelles aujourd'hui.

Le dernier écrit de M. de Cambrai est bien mauvais en toutes manières; mais, quelque tort qu'il ait, rien ne retiendra sa plume qu'une décision de Rome. Il ne faut pas compter qu'on le fasse taire à force de lui répondre; il ne voudra jamais avoir le dernier, et ne trouvera rien sans réplique. Nous en conférerons M. de Meaux et moi. Je ne l'ai pas vu depuis que j'ai lu ce bel ouvrage, qui est ici très rare je l'eus hier quelques heures. Je suis toujours comme vous savez, monsieur, à vous de tout mon cœur.

[blocks in formation]

personne et sur tout le reste; et les efforts que M. le cardinal de Bouillon a faits pour persuader n'ont pas tout-à-fait eu le succès qu'il desiroit. Ce qui lui réussit parfaitement, c'est en interrompant, en parlant hors de son rang, et plus d'une fois, d'allonger les congrégations, et de marquer ainsi sa bonne volonté. M. le cardinal de Bouillon n'a pu, de tous les cardinaux, entraîner à son avis que le cardinal Ottoboni, qui m'a trompé net; c'est-à-dire, qu'il entre dans

père pas d'en apprendre, et de joindre à cette, textes, on avoit eu aussi soin de prévenir sur la lettre ce qu'il faudra là-dessus. Voici ce qui s'est passé depuis ma dernière du 10, envoyée par M. l'abbé Feydé et M. le grand-duc, que je suppose arrivée avant que vous receviez celle-ci. Le Pape m'avoit promis de parler jeudi 11 fortement à la congrégation. La nuit du 10 au 11, le Pape se trouva un peu incommodé d'un rhume de cerveau. Il vouloit venir à la congrégation, mais on l'en empêcha: ce rhume lui continue, mais sans autre incommodité. Il donna vendredi et samedi ses audiences accoutumées avant-la justification de quelques sens de l'auteur, et hier monseigneur Giori le vit. Cela a empêché qu'il approuve les difficultés et les vues propole Pape de pouvoir faire par lui-même ce qu'il sées par M. le cardinal de Bouillon. Son théoavoit eu la bonté de me promettre; mais j'ai su logien, qui m'avoit assuré de son suffrage, a été, qu'il avoit donné ordre au cardinal Spada de à ce qu'on m'a dit, gagné par M. le cardinal de dire ce qu'il faut, et on m'a déclaré qu'on avoit Bouillon, qui lui a promis un évêché. Je l'ai dépris des mesures pour remédier aux longueurs: couvert ; et depuis deux jours j'ai fait jouer une au moins c'est ce qu'on veut que je croie. Si batterie par M. l'abbé Feydé, qui a des moyens les remèdes sont efficaces, je ne puis l'assurer: plus efficaces pour faire parvenir à cette dignité il paroit seulement que le Pape et les principaux que M. le cardinal de Bouillon. Ainsi j'espère cardinaux ont bonne intention. quelque changement; d'autant plus que le cardinal Ottoboni a été un peu intimidé, et qu'il ne se voit appuyé que de M. le cardinal de Bouillon, qu'il sent être au fond moins que rien.

Il est plus que certain que M. le cardinal de Bouillon fait du pis qu'il peut. Il voit à présent qu'une définition ne peut être que tragique pour M. de Cambrai; et tout son esprit est en conséquence tourné à trouver des expédients pourallonger, à faire naître des difficultés, à perdre le temps en vains discours, sans conclure, à parler hors de son rang, même jusqu'à interrompre les autres. Comme la matière est délicate, subtile, difficile pour ce pays-ci, on prend l'autorité de décider à tort et à travers; parceque la langue ne peut trouver des expressions telles qu'on les voudroit. Mais ce qui est de pis, on propose du travail pour plus de deux ans ; que dis-je? pour plus de cent ans, sous prétexte de couper, dit-on, la racine du mal. On soutient qu'il ne faut pas se contenter de répondre sur le livre; mais qu'il faut donner des règles de langage, examiner de nouveau les mystiques, ce qu'il y a à retrancher et à approuver dans leurs livres, faire une exposition de la doctrine de l'Église sur tous les points qui ont quelque rapport au quiétisme, et aux matières agitées. D'un autre côté, si l'on feint de paroître zélé contre la mauvaise doctrine en général, on l'est encore plus pour faire valoir les prétendues bonnes intentions de M. de Cambrai; pour soutenir que les propositions du livre sont susceptibles de plusieurs sens, qu'elles ne sont pas univoques, voilà le terme; qu'ainsi on ne les peut condamner absolument. Enfin, on s'épuise à mettre en œuvre mille autres belles raisons, que vous avez sans doute entendu dire mille fois.

Pour le cardinal Albani, il est certain qu'il a ménagé M. le cardinal de Bouillon et M. de Cambrai, mais néanmoins d'une manière assez adroite pour ne pas donner beaucoup de prise sur lui. Il n'a approuvé en rien le livre; mais il a un peu biaisé sur les propositions, sur les divers sens, sur les difficultés de cette affaire; enfin il n'a pas parlé net. Je le lui ai fait reprocher par le père Roslet. Il s'est récrié fortement làdessus, disant qu'il avoit bien des ennemis; mais qu'on verroit à la fin, s'il étoit chargé de faire la bulle. J'avoue franchement que sans le père Roslet, à qui cet adroit politique promet, par, rapport à M. de Paris, monts et merveilles sur cette affaire, je craindrois de lui extrêmement : mais que dire quand le père Roslet en répond? Ce qu'il ne peut excuser, c'est son ambition, qui l'empêche de s'opposer franchement à M. le cardinal de Bouillon et à ses mauvais desseins. Il en dit au père Roslet tout ce qu'on en peut dire de désavantageux, et puis dans l'occasion ilappréhende de déplaire à cette Eminence. Cependant une parole que m'a dite le cardinal Casanate, qui est qu'il espéroit qu'il iroit bien, me met un peu l'esprit en repos sur son sujet. Mais j'avoue que je vois trop de finesses dans cet esprit, pour m'y fier absolument. J'ai pris la liberté de dire au cardinal Albani lui-même, en deux circonstances, qu'on ne devoit se fler ici qu'aux actions, et non aux paroles. Il a toujours évité, le Comme on avoit prévu une partie de ces pré-plus qu'il a pu, de me parler, sous prétexte qu'il

ment.

savoit tout par le père Roslet, et me faisant as- | roi ne frappe fort, on croira ici, plus qu'en surer qu'il seroit le plus fort de la congrégation tout autre lieu, qu'on peut l'offenser impunécontre le livre, ajoutant qu'il en agissoit ainsi pour ne pas donner d'ombrage: c'est sa manière, il a fallu s'en tenir là. J'ai résolu d'avoir avec lui une conversation vigoureuse, sans manquer à rien. Il faut avouer que le père Roslet fait tout ce qui est possible auprès de lui; mais l'un est François, et l'autre bien Italien.

Pour moi, dès le premier moment que je vis M. de Cambrai résolu de venir à Rome malgré le roi, je fus persuadé que sa partie étoit faite avec les jésuites et M. le cardinal de Bouillon. Sans cela, qui auroit jamais pu s'imaginer que M. de Cambrai refusât toute voie de conciliation, pour se rendre à Rome; voyant le roi si ouvertement déclaré contre lui, qui écrivoit avec tant de force, qui témoignoit si hautement sa résolution et ses sentiments, et qui auroit eu à Rome un ministre fidèle, et de plus cardinal du saint-office? Il faut donc compter comme indubitable que, dès que M. le cardinal de Bouillon vint à Rome, la cabale étoit assurée de lui, et qu'ils avoient fait dès ce temps ligue offensive et défensive envers et contre tous. La suite l'a assez démontré, et on ne le voit que trop. Ce scroit se flatter, que de s'imaginer que les dispositions puissent changer. Si vous demandez après cela quel remède on peut apporter à ce grand mal, j'avoue que je ne vois que deux partis à prendre ou bien de continuer à ménager, comme on a fait, M. le cardinal de Bouillon, en tâchant de le faire revenir par la douceur, et au pis, d'espérer qu'à la fin le Pape se déterminera malgré les efforts de la cabale : ou, si l'on craint que par ses intrigues elle ne réussisse à éloigner la décision de cette affaire, on pourroit faire envisager à M. le cardinal de Bouillon le coup prêt à l'accabler, lui déclarer qu'on s'en prendra à lui du plus petit retardement; et, pour lui prouver que ces menaces sont sérieuses, commencer à les exécuter. Voilà sur ce qui re

On ne peut douter de l'ardeur de la cabale, et il seroit difficile de se tromper sur celle des protecteurs de M. de Cambrai, qui se manifeste plus que jamais. Il n'est que trop certain que le père Charonnier soutient, plus que personne, M. le cardinal de Bouillon dans ses premiers engagements. C'est lui sûrement qui fait tous ses discours et que ne doit-on pas attendre d'un pareil jésuite? Il est connu en France; il commence à se faire connoître ici pour un homme sans religion. Deux personnages sages, du monde à la vérité, mais dont je suis sûr comme de moi-même pour la probité, m'ont certifié que le père Charonnier disoit assez hautement que, pourvu qu'on vécut bien moralement, toute religion étoit bonne et probable. En vérité, je le dis devant Dieu, le père Charonnier est l'opprobre du genre humain. Il perd le pauvre cardinal de Bouillon. Je suis persuadé que le plus grand service qu'on pourroit rendre à l'état et à cette Éminence, ce seroit d'ordonner à M. le cardinal de Bouillon de le renvoyer. Il n'y a que le roi qui le puisse faire. Ce que ce jésuite a dit contre ce prince et madame de Maintenon ne se peut imaginer. Ils sont bien d'accord là-dessus, lui et M. le cardinal de Bouillon. En vérité, pour peu qu'on ait de reli-garde M. le cardinal de Bouillon. gion et d'inclination pour le roi, on frémit en voyant de pareils personnages.

Par rapport au Pape, le roi pourroit donner un mémoire au nonce, dans lequel on marqueTous les cardinaux assistèrent hier à la con- roit que Sa Majesté est avertie des efforts que grégation. On m'a dit (et c'est le général de la l'on fait pour rendre inefficaces les bonnes inMinerve), que ceux qui veulent trouver plusieurs tentions de Sa Sainteté, relativement à la prompte sens dans les propositions, pour avoir prétexte décision de l'affaire du livre ; que les protecteurs d'embrouiller par-là, se servent de la censure déclarés de M. de Cambrai avoient déja assez fait de Sorbonne, disant que ces docteurs y avoient paroître leur crédit sur l'esprit du Pape, quand reconnu eux-mêmes ces divers sens, et avoient ils l'ont obligé à augmenter le nombre des examis des quatenus; qu'ainsi ces propositions minateurs, dans le temps où l'on devoit espérer pouvoient avoir un sens contraire ne voulant une décision prompte et absolument nécessaire, pas voir que le quatenus, dans cette censure, dé-demandée par Sa Majesté avec tant d'instance, signe le sens obvius et naturalis, et le détermine.

L'ingratitude de M. le cardinal de Bouillon à l'égard du roi, qui lui avoit confié ce qu'il y a dans le monde de plus important, et lui avoit pardonné avec une générosité sans exemple, étonne ici tout le monde. Mais après cela, si le

et promise par Sa Sainteté ; que par-là ils avoient su mettre la division dans ces assemblées, et causer un scandale dont les hérétiques triomphoient en prenant occasion de tourner en dérision le Saint-Siége, dont aussi les mal intentionnés de son royaume se servoient pour y mettre la division et le trouble, et semer impuné

peut-être s'empêcher d'appliquer un remède convenable et prompt à un mal qui infecte le royaume de toutes parts; que le roi se montrât piqué du peu de considération qu'il paroît que cette cour-ci a pour sa personne, pour le bien de l'Église et de son royaume, en faisant sentir que cette conduite n'est pas propre à l'engager, ni lui, ni les évêques, à s'adresser jamais à Rome dans les affaires qui surviendront. On ne manque pas de bien prêcher ici cet évangile; mais un pareil discours dans la bouche du roi feroit tout un autre effet. Surtout il est à propos d'observer que la doctrine du livre est manifestement très mauvaise, très pernicieuse ; qu'on n'hésite pas là-dessus en France, et qu'on s'attend que la décision du Saint-Siége sera conforme au jugement qu'on porte de tous côtés du

ment de nouvelles doctrines; que les mêmes protecteurs du livre, également ennemis de son état et du Saint-Siége, n'avoient pas moins fait paroître leur pouvoir et leur malice dans tout le cours des différents examens de ce livre, surtout en empêchant Sa Sainteté d'ajouter, comme elle l'avoit résolu, un ou plusieurs examinateurs au mois de mars, qui auroient pu lever le partage, et faire connoître plus clairement la vérité; que Sa Majesté étoit bien informée qu'on continuoit les mêmes artifices auprès de Sa Sainteté et de MM. les cardinaux, pour tâcher de tirer à des longueurs infinies, et d'éterniser une affaire qui devroit être finie il y a long-temps, pour l'honneur du Pape et du Saint-Siége, que les évêques et les universités de son royaume auroient terminée bientôt, si Sa Majesté le leur avoit voulu permettre ; qu'elle l'avoit empêché jusque-livre. là, espérant que Sa Sainteté auroit quelque Comme ceux qui ont dû donner leur avis dans égard à ses prières, et au péril imminent de la la congrégation d'hier sur l'article de l'indifféreligion; qu'enfin tout ce qu'il savoit qu'on re-rence ont déja bien parlé sur la matière de l'amuoit à Rome en faveur d'une aussi pernicieuse doctrine, reconnue pour telle par toutes les personnes les plus éclairées de son royaume, lui faisoit appréhender avec raison que Sa Sainteté ne se laissât surprendre de nouveau, quoique avec la meilleure intention, aux artifices de la cabale; qu'il croyoit être de son devoir de lui présenter là-dessus le tort que cela feroit à sa réputation, etc.; qu'il n'étoit question que d'un petit livre, et d'une doctrine déja condamnée par ses prédécesseurs, et dont on voyoit les funestes effets dans toutes les parties du monde, jusque sous les yeux de Sa Sainteté ; qu'enfin Sa Majesté lui demandoit un remède prompt et efficace à un si grand mal, une décision qui pût être reçue dans son royaume; sinon qu'il ne pouvoit s'empêcher de lui déclarer qu'il prendroit un plus long retardement pour un refus, etc.; et qu'au lieu d'attendre une décision qui ne viendroit peut-être plus à temps, il se croiroit obligé, pour garantir son royaume d'une pareille peste, d'employer les moyens que Dieu lui avoit mis en main, etc.

mour pur, je ne doute pas que cette congrégation ne se soit assez bien passée; mais ce qui cause tout le mal, ce sont ceux qui commencent et qui finissent, qui sont d'intelligence, et qui trouveront peut-être moyen d'embrouiller la matière. Sur quoi je puis assurer que M. le cardinal de Bouillon n'oubliera rien; et il est difficile, si on le laisse faire, qu'il ne fasse du mal; quand il ne feroit que celui d'allonger, qui en est certainement un très grand. Il est en son pouvoir d'incidenter sans fin; et il n'y manquera pas, s'il continue à ne pas se soucier de déplaire au roi. Au reste, il n'y a pas de temps à perdre, si l'on veut faire avancer cette cour-ci. Jugez des longueurs et des difficultés que M. le cardinal de Bouillon peut seul occasionner, quand il s'agira de dresser la bulle qui doit passer per manus. Je ne puis m'empêcher de dire que ce sera un miracle si la bulle est telle qu'on la souhaite et qu'on devroit l'espérer, en cas que M. le cardinal de Bouillon continue ses manœuvres, et que la crainte du roi ne lui fasse pas prendre le parti de se retirer. Vous croyez bien qu'on ne Je n'ai pu me dispenser de vous communiquer laissera pas de poursuivre avec courage le jugeces idées; mais je pense qu'il est absolument né-ment, et que nous n'oublierons rien, comme cessaire de marquer quelque chose de fort, de précis, sur les protecteurs de M. de Cambrai, sur la facilité du Pape, sur la faveur que trouve ici un archevêque auteur du scandale, perturbateur du repos de l'Église et de son pays; en un mot, quelque chose qui pique le Pape, qui mortifie les malintentionnés, qui anime ceux qui servent bien, et qui montre la verge.

Je voudrois qu'on ne menaçât pas précisé ment, mais qu'on fit entendre qu'on ne pourroit

nous avons toujours fait, pour obtenir une prompte et bonne décision. Mais enfin il est à propos qu'on sache que ce qui ne feroit aucune difficulté, et ce qui passeroit tout d'une voix, en souffrira de très grandes par la seule présence du cardinal de Bouillon. Je ne laisse pas de très bien espérer de la fin; mais pour répondre qu'elle arrive bientôt, cela ne se peut, tant que M. le cardinal de Bouillon assistera aux congrégations.

Il revint hier assez abattu de la congrégation. Son cher père Charonnier s'enferma avec lui très long-temps. L'abbé de Chanterac aura déja été averti de tout. M. le cardinal de Bouillon a fait mettre la congrégation au lundi, afin que je ne pusse pas être aussi aisément instruit de ce qui s'y passe, et que je ne sois pas en état d'écrire le mardi suivant: il croit par-là gagner une huitaine. Je ne doute pas que le cardinal de Bouillon n'ait déja fait entendre au roi que la décision ne pourra être précise, et laissera à M. de Cambrai des prétextes pour échapper. J'en vois bien la raison; c'est qu'il veut qu'on ne lui impute pas le mal qu'il a dessein de faire.

Les avertissements que le roi a fait donner depuis peu sur l'article de l'infaillibilité me paroissent de plus en plus très à propos. Je sais que le cardinal de Bouillon en est très fâché, et c'est marque qu'ils étoient fort nécessaires.

J'eus, vendredi dernier, une conversation de près de quatre heures tête à tête avec M. le cardinal de Bouillon, où j'ai approfondi avec lui les principaux points, tant sur le livre que sur les faits. Il y fut parlé des intentions du roi; il y fut question des jésuites. J'ai fait voir clairement à M. le cardinal de Bouillon l'état des choses d'une manière bien forte: jamais homme n'a été plus embarrassé, et n'a jamais montré plus de mauvaise intention et de souplesse. Il ne pèche pas par ignorance; car il voit tout et sait tout: mais, à quelque prix que ce soit, il veut défendre le livre et l'excuser. Encore une fois, il faut toucher fortement.

son écrit qu'ici; et cela me paroît bizarre, extravagant, et d'un mauvaise foi publique. J'ai bien fait de vous l'envoyer; car peut-être ne l'auriez-vous pas sans cette précaution.

J'apprends que les jésuites font tout ce qu'on peut s'imaginer pour embrouiller l'esprit du Pape, quí change de situation de jour à autre. Il dit dernièrement à une personne qu'il étoit bon, dans une affaire aussi importante, d'aller doucement. Il faut que le roi parle efficacement au nonce. Je ne sais si le roi ne pourroit pas témoigner son ressentiment aux jésuites, et au père de La Chaise en particulier, de l'acharnement avec lequel ces Pères continuent à faire tout ce qui peut lui déplaire. Ne seroit-il pas aussi à propos que Sa Majesté fit connoître à la famille du cardinal de Bouillon son mécontentement de la conduite de ce cardinal?

La défense de M. de Cambrai se réduit à présent aux deux sens de son livre, le naturel, et celui qu'il a pu avoir en vue. Mais pour le vouloir excuser, il faudroit premièrement recevoir ses explications et les approuver, ce que ne peut jamais faire l'Église romaine. Ainsi il n'est question que de finir une contestation, où l'on demande la condamnation des propositions d'un livre in sensu obvio et naturali, ut jacent ex antecedentibus et consequentibus.

Je viens d'apprendre que la congrégation d'hier se passa assez heureusement. Le cardinal Casanate parla fortement, brièvement et bien; le cardinal Marescotti sur le même ton; les cardinaux Spada et Panciatici firent de même, ainsi que le cardinal Ferrari : le cardinal Noris ne put parler. Quelques uns veulent que le cardinal Noris n'aille pas tout-à-fait bien; mais je crois savoir le contraire. La première congrégation est à craindre cependant les cardinaux Ottoboni et Albani, favorables au cardinal de Bouillon, sont un peu intimidés.

Je vous envoie une dernière feuille corrigée de la Réponse de M. de Cambrai, avec un errata, envoyée depuis peu à l'abbé de Chanterac. Il n'y a de remarquable que l'errata, premièrement parcequ'il porte en titre : Fautes à corriger dans quelques exemplaires. Done il y a des exemplaires différents les uns des autres. En second lieu, dans la seconde faute à corriger, au Le cardinal Imperiali est fort jésuite. Ce carlieu de représenté tout court, ce qui s'entendoit dinal se trouve parent du prince de Monaco : il naturellement du roi et des puissances, et ce est nécessaire qu'on avertisse cet ambassadeur de que tout le monde a trouvé de la dernière insc- s'en défier sur tout. J'ai raison de croire que cette lence, il a corrigé, et mis représenté aux au- Éminence est gagnée par le cardinal de Bouillon, tres prélats. Vous voyez l'artifice : il aura d'a- et influe beaucoup dans le mauvais parti que bord fait entendre tout ce qu'il aura voulu, et prend le cardinal Ottoboni. Tous les cardinaux puis dans un errata, donné après coup, il sub-croient ici qu'il aura grand pouvoir sur l'esprit stituera ce qu'il lui plaira. Il n'y a rien du reste de l'ambassadeur : il faut que ce ministre y de considérable. Les exemplaires distribués ne prenne garde. seront point changés, et restent sans cet errata. Au reste, je suis étonné qu'au 24 de novembre vous n'eussiez pas encore vu à Paris cette insolente Réponse: il y a du mystère là-dessous. M. de Cambrai a peur sans doute que vous ne répondiez à temps, ou bien il ne veut distribuer

J'ai changé d'avis ce matin sur le courrier de M. le cardinal de Bouillon. M. l'abbé de La Trémouille et moi dépêchons, à moitié frais, un courrier à Gênes, qui portera nos paquets au courrier de M. de Torcy, qui y est resté malade; M. l'abbé de La Trémouille pour ses affaires de famille,

« PrécédentContinuer »