Images de page
PDF
ePub

doit prendre garde que cela ne donne prétexte à quelque nouvel examen.

Dorénavant, il faut que le roi fasse continuellement de nouvelles instances pour accélérer le jugement.

• LETTRE CCCXCV.

DE BOSSUET A SON NEVEU.

Sur une thèse soutenue à Douai par les carmes déchaussés, en faveur des Maximes de M. de Cambrai; sur un nouveau livre que préparoit M. de Cambrai; et sur la manière d'entendre les mystiques.

Je vous souhaite une heureuse année. Je vous

prie de la souhaiter de ma part à nos amis, et, si c'est la coutume, au Pape même : Dominus vivificet eum, et beatum illum faciat in terra.

Amen, amen.

Le paquet ci-joint seroit parti par le courrier extraordinaire, sans un retardement survenu à celui de Meaux.

Si quelqu'un étoit assez habile pour m'indiquer quelque moyen pour avoir de l'argent, sans m'adresser à vous et à mon père, assurément vous n'entendriez pas parler de mes besoins; mais je n'ai ici aucune ressource. Pour vous faire voir une partie de ce que je suis obligé de dépenser ici par rapport à cette affaire, je pourrois vous envoyer un mémoire de reliùres, copies d'écritures, ports de lettres et de paquets, étrennes réglées ici deux fois l'année aux valets des cardinaux, des prélats et autres, dont j'ai affaire, qui monteroit, sans exagération, depuis que je suis dans ce pays, à plus de quatre mille par les carmes déchaussés, de concert avec francs, sans compter les frais des espions et des M. de Cambrai, qui même a gagné quelques régals que je suis obligé de faire, et qui font docteurs de cette université, et qui s'applique beaucoup ici, comme on vous le peut dire. Ju- extrêmement à ménager les religieux. Ajoutez gez des autres dépenses pour vivre, etc. Cepen- que M. d'Arras *, évêque diocésain, quoique dant ce sont des dépenses auxquelles on est consans s'expliquer ouvertement, est tout Cambrétraint, à moins que de tout abandonner, et de sien dans le cœur ; et que, s'il y a quelque évêque ne vouloir pas réussir, ni faire honneur aux per-rêts de M. de Cambrai, c'est celui-là, quoiqu'il qu'on puisse soupçonner de favoriser les intésonnes à qui l'on appartient.

Le Pape est en parfaite santé. Il voit bien à présent que la confiance que vouloit avoir en lui M. le cardinal de Bouillon étoit une grimace. III avoit un peu donné dans le piége; mais à la fin je pense qu'il me croira.

J'espère que nous recevrons bientôt des nouvelles sur les courriers dépêchés, et que le roi parlera haut et ferme; il le faut. Il doit voir mieux que jamais la fureur de la cabale.

Je ne sais si je vous ai mandé par le dernier courrier les bruits qu'on répand ici de la résolution où l'on dit qu'est le roi de déclarer son mariage, et que le fils du roi vouloit se retirer de la cour. Plusieurs cardinaux m'ont demandé ce qu'il falloit penser de ces bruits. Vous vous imaginez bien ce que je leur ai répondu. Tout cela est débité pour faire croire qu'il y a à la cour un parti fort opposé au roi et à madame

de Maintenon.

Vous ferez bien de lier amitié avec T., qui est honnête homme, qui a de l'esprit, et qui reviendra ici. M. de Paris fera tout ce qu'il pourra pour le gagner.

Rome, 30 décembre 1698.

Je vous envoie une thèse soutenue à Douai

soit de nos amis. Nous l'avons vu fort politique par rapport à M. de Cambrai son métropolitain. est, au reste, homme de mérite, et un peu théologien, mais court.

Les bons Pères, après M. de Cambrai, se servent de l'autorité de l'opuscule LXIII de saint Thomas, qui constamment n'est pas de lui. Voyez la note au lecteur devant l'opuscule XLI.

Au fond, cet opuscule est pour nous. L'endroit que cite la thèse, cap. 2, n. 3, où l'auteur dit, Diligetur Deus propter Deum, n'est pas exclusif du motif de la béatitude: diligit Deum non solùm, etc., et ob hoc multò fortiùs, etc. De plus, ce qu'il dit: Diligit multò fortius, quod simpliciter in se bonus, largus et misericors, etc., montre que la charité a égard aux attributs qu'on nomme relatifs, quoiqu'on les regarde comme absolus; et ils le sont en effet, comme je l'ai remarqué, Schola in tuto, prop. 16, 17, 18.

|
Le même auteur remarque aussi, ibidem,
qu'il y a d'autres motifs d'accroître l'amour,
que la seule excellence de la nature divine.
Ainsi le dessein de cet auteur est de dire seu-
lement que la charité ne se porte pas à Dieu
comme communicatif finaliter, et c'est ce qu'il
marque expressément cap. 1, n. 3, ni même

[ocr errors][merged small]

principaliter, comme il le répète sans cesse cap. 4, n. 3, cap. 6, n. 3, etc.

Cela étant, la glose de la thèse sur le nequaquam, exclusive du motivum secundarium, est une addition à l'auteur contre son intention; et il faut entendre, selon les autres textes, nequaquam finaliter, et nequaquam principaliter. Au | surplus, l'exclusion du motif secundarium est directement contre le vrai sens de saint Thomas, dans l'endroit rapporté au Schola in tuto, n. 84, 85.

La thèse cite encore le passage de saint Thomas où il dit que la charité ne desire pas que aliquid ex Deo sibi proveniat, 2a 2æ, quæst. 23, art. 6; à quoi j'ai répondu très précisément, Schola in tuto, n. 130, 131.

Dieu; car M. de Cambrai n'ose dire qu'ils n'en avoient point de souci; et, pour sauver cet inconvénient, il leur fait seulement mépriser l'amour naturel, dont aucun d'eux n'a parlé. Il faut donc entendre qu'ils n'en avoient point de souci finaliter, principaliter, etc.; à quoi la décision du concile de Trente, sess. vi, cap. 11, a un rapport manifeste: Cùm hoc ut imprimis glorificetur Deus, mercedem quoque intuentur æternam.

Nous attendons avec impatience ce qu'auront produit les lettres du roi au Pape et à M. le cardinal de Bouillon.

M. de Monaco part au premier jour; il sera bien averti et bien instruit.

Pour l'argent, mon frère en veut bien payer Ainsi la thèse qui exclut le motif secunda- 2,000 livres, dont vous aurez ordre par cet orrium, et par conséquent qui veut que la béati- dinaire. Pour moi, ou ce sera par cet ordinaire, tude non sit ullum motivum, est qualifiable à quoi on travaille actuellement, mais au plus comme contraire à la parole de Dieu écrite et tard pour l'ordinaire prochain. Après cela, rounon écrite; puisqu'il est constant que la bonté lez doucement. On ne prétend pas que vous dicommunicative et bienfaisante de Dieu est tou-minuiez ce qui est essentiel pour vous soutenir; jours rapportée, dans l'Écriture et dans les Pères, comme un vrai motif d'aimer.

Ce qu'ajoute la thèse, à la fin, de ratio essentialis, est une équivoqué que j'ai souvent démêlée, où l'on prend essentialis pour spécifique. C'est l'erreur perpétuelle de M. de Cambrai. Entre le spécifique et l'accidentel il y a le propre, qu'on nomme essentiel et inséparable, comme je l'ai remarqué, Schola in tuto, n. 147.

On auroit donc belle prise contre cette thèse; mais nous ne ferons rien, pour ne point occasionner de diversion, qui est où tend M. de Cambrai.

Sur le quatenus de la consultation des soixante docteurs, vous avez fort bien remarqué qu'il est expressif de la raison précise de censurer, et non indicatif d'un autre sens excusable. Après tout, quand le Saint-Siége parlera, il faut qu'il parle plus précisément.

M. de Cambrai prépare un dernier livre, où il fera un parallèle de ses propositions avec celles des mystiques. Il trouvera bien un air confus de ressemblance, dont Molinos et plusieurs autres ont abusé; mais jamais précisément les mêmes choses, sacrifice absolu, persuasion réfléchie, exclusion du motif de l'intérêt propre, etc. Si l'on ne s'élève une fois au-dessus des mystiques, même bons, non pas pour les condamner, mais pour ne prendre point pour règle leurs locutions peu exactes et ordinairement outrées, tout est perdu. C'est une illusion dangereuse de pousser à bout ceux qui ont dit dans leurs excès qu'ils n'avoient de souci, ni de leur salut, ni de leur perfection, etc., mais seulement de la gloire de

mais cette année est si mauvaise, et nous sommes si chargés de pauvres, qu'on ne peut pas ce qu'on veut. J'embrasse M. Phelippeaux.

Paris, ce 5 janvier 1699.

LETTRE CCCXCVI.

DE L'ABBÉ PHELIPPEAUX A BOSSUET.
Sur les derniers écrits de M. de Cambrai.

Permettez-moi de vous souhaiter, dans ce commencement d'année, toutes les bénédictions temporelles et spirituelles que votre piété et votre zèle méritent. Je viens d'achever la lecture des quatre livres que M. de Chanterac a distribués, et qui lui sont venus par un courrier extraordinaire. Le premier est une lettre en réponse au Schola in tuto, qui contient 71 pages. Elle est pitoyable; il ne répond à rien de ce qui est contenu dans votre livre. Il devoit prouver que les trente-six axiomes qui en sont le fondement, ou sont faux, ou ne sont point contraires à sa doctrine. Il rebat tout ce qu'il avoit déjà dit sur les hypothèses impossibles, et ne s'appuie que sur une calomnie visible, qui est que vous dites que la béatitude est la seule, l'unique et la totale raison d'aimer. Il me semble que vous n'avez point assez relevé cet article, qui revient dans tous ses livres. Le second est une réponse à Quæstiuncula, contenant 55 pages; ce sont des redites.

Le troisième écrit a pour titre : Préjugés décisifs pour M. l'archevêque de Cambrai contre

fois ne fait qu'une note plus ou moins étendue. Au reste, tout ce qu'il dit dans tous ces derniers écrits n'est que ce qu'ont allégué Alfaro et le sacriste dans le temps de l'examen. Je doute fort que les cardinaux lisent ces derniers ouvrages.

Hier il n'y eut point de congrégation à cause de la chapelle; elle s'est tenue aujourd'hui, malgré la fête. On dit que les dernières lettres du roi y ont contribué. Le Pape a promis de donner encore la congrégation qui se tient le mercredi, ce qui avancera le jugement: ainsi les cardinaux pourront finir vers la fin de janvier. M. l'abbé vous mandera le détail. On a aujourd'hui commencé le quatrième des sept articles qu'on discute dans l'examen. Je suis avec un très profond respect, etc.

Rome, le mardi 6 janvier 4699.

M. l'évêque de Meaux. Il prétend réduire toute rum propugnantur, contient soixante-deux pasa doctrine à cinq questions, qu'il suppose ad-ges; ce sont les trente-huit propositions des examises par MM. de Chartres et de Paris. Ces minateurs. Les passages qu'il apporte pour prouquestions ne touchent point le fond de la ma- ver l'amour pur sont les mêmes que ceux de son tière. Première question: la charité dans ses Instruction pastorale; après chaque proposition actes propres, et dans son motif essentiel, n'est-il apporte différents témoignages, et quelqueelle pas indépendante du motif de la béatitude? 2. N'y a-t-il pas un amour naturel de nous-mêmes, qui est le principe de certains actes moins parfaits que les actes surnaturels, sans être vicieux? 3. N'y a-t-il pas en cette vie un état habituel et non invariable de perfection, où cet amour purement naturel n'agit plus d'ordinaire tout seul, et où il ne produit des actes que quand la grace le prévient, le forme, le perfectionne, et l'élève à l'ordre surnaturel? 4. N'y a-t-il pas en cette vie un état habituel et non invariable de perfection, où la charité, indépendante du motif de la béatitude, prévient d'ordinaire les actes surnaturels des vertus inférieures, en sorte qu'elle les commande expressément chacun en particulier, qu'elle les ennoblit, les perfectionne, les relève, en y ajoutant son propre motif? 5. N'est-il pas vrai que la passiveté dans laquelle les mystiques retranchent l'activité, c'est-à-dire les actes inquiets et empressés, laisse la volonté passive dans l'usage de son libre arbitre; en sorte qu'elle peut résister à l'attrait de la grace? Il prétend que c'est cela seul qui compose son système; que « cinq examinateurs ont » déclaré à Sa Sainteté que le texte du livre, » pris dans son tout, ne pouvoit signifier qu'une » doctrine très pure; que ce texte doit passer » pour correct et pour clair dans le sens catho-être l'a-t-il fait à dessein de tromper. Son livre » lique, puisque ce sens coneilie sans peine tou»tes les diverses parties du texte. » La conclusion porte : « Quand même il y auroit dans >>mon livre des ambiguités, qui n'y sont pas, et » que l'équivoque n'en seroit levée par aucun » autre endroit, M. de Meaux auroit dû m'invi» ter charitablement à m'expliquer sur ces en» droits. » Il ajoute : « Que croira-t-on d'un li» vre dont les défenses très correctes sont déja >> encore plus répandues que le livre même » dans toute l'Europe? Ces défenses ne peuvent plus être séparées du livre qu'elles justifient; » elles ne font plus avec ce livre qu'un seul ou» vrage, indivisible dans son tout... Quiconque >> demanderoit encore de nouvelles explications » d'un livre déja tant de fois expliqué, pour en >> changer tant soit peu le texte, paroîtroit son» ger moins à mettre la pure doctrine en sû» reté, qu'à flétrir l'auteur. » Ce libelle n'a que douze pages.

Le quatrième, intitulé Libelli propositiones ab adversariis impugnatæ, testimoniis sancto

P. S. M. de Cambrai a omis dans son livre la quatrième proposition, la dixième et la onzième, qui se trouvent dans l'extrait des examinateurs; la quinzième proposition qu'il a mise dans son livre n'est point parmi les propositions manuscrites; les propositions 23, 24, 26, 30, sont encore omises. Il a changé l'ordre que les examinateurs avoient donné aux propositions; peut

ne contient que trente-deux propositions: il a uni la trente-septième avec la cinquième. Il dira peut-être qu'on lui a envoyé un exemplaire en cette forme. Je n'ai pu encore avoir le livre à moi; il est rare.

LETTRE CCCXCVII.

DE L'ABBÉ BOSSUET A SON ONCLE.

Sur les effets que produisoit la lettre du roi au cardinal de Bouillon; les discours de ce cardinal dans les congrégations; les causes de l'embarras du Pape ; le zèle du cardinal Casanate; ses dispositions à l'égard de la France; l'impression que la lettre du roi avoit faite sur le Pape, et les matières discutées dans les dernières congrégations.

J'ai reçu la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire de Paris, le 15 décembre, par l'ordinaire. Depuis, c'est-à-dire samedi, il est arrivé un courrier extraordinaire de M. de Torcy à M. le cardinal de Bouillon, qui lui a

25.

porté ses lettres à Frescati, où ce cardinal étoit, allé le mercredi matin avec sa compagnie ordinaire, le père Charonnier et un autre jésuite, et d'où il comptoit revenir hier; mais l'arrivée du courrier l'en fit repartir dimanche, et il eut audience de Sa Sainteté dès le jour même. Il lui porta une lettre du roi au sujet de l'affaire de M. de Cambrai, très belle et très pressante: je n'ai pas encore pu en avoir copie. Je ne sais l'effet que produiront ces nouvelles instances; mais je ne doute pas qu'il ne soit avantageux. Ces lettres serviront toujours à réveiller le Pape et cette cour: elles animeront ceux qui ont de bonnes intentions, fortifieront peut-être les foibles qui n'auroient pas voulu se déclarer, par complaisance pour le cardinal de Bouillon, et feront voir aux malintentionnés qu'il n'y a point à espérer de changement dans l'esprit du roi, qui connoît ici le vrai intérêt de l'Église et de son royaume, et qui ne peut être surpris par leurs artifices.

Je ne sais pas le particulier des dépêches de Sa Majesté; mais par ce qu'ont dit le Pape et le cardinal Spada, par l'abattement du cardinal de Bouillon et les mauvais discours qu'il a tenus, je juge que ce cardinal est très mortifié, et qu'apparemment on lui aura fait sentir le juste mécontentement qu'on a de sa conduite, et qu'on est instruit de ses artifices. Je vis hier cette Éminence, et elle eut peine à cacher son dépit on ne parla de rien qui eût rapport à M. de Cambrai; mais je compris fort bien son chagrin, dont je fis semblant de ne pas m'apercevoir. Je ne doute pas que ces nouveaux coups n'aient été frappés d'après les lettres du 10 du mois passé, envoyées par la voie de Florence. Quoi qu'il en soit, les lettres sont arrivées très à propos; et elles n'auroient pas servi de beaucoup, si l'on avoit attendu plus tard: car il est principalement question de presser les opérations, et de faire voir à cette cour qu'il faut finir, étant moralement certain que la fin ne peut être que bonne, puisque nous avons assurément le Pape et tous les cardinaux pour nous. En effet, je ne regarde le cardinal de Bouillon et le cardinal Ottoboni que comme des chiens qui aboient, et qui ne font du mal que par le retardement qu'ils apportent, surtout le cardinal de Bouillon, qui ne fait que rebattre perpétuellement les mêmes choses sur l'amour pur, sur la charité et les divers sens, n'osant jamais conclure. On m'assura encore hier de bon lieu que cette Éminence, la dernière fois qu'elle parla, s'étudia dans son discours, dont je vous ai rendu compte par må lettre du 29 de décembre, à faire valoir pendant plus d'une

grosse heure les nouvelles autorités qu'il apporta, des directeurs de madame de Maintenon, du Combat spirituel, et de M. de Chartres sur l'amour pur, et cela lorsqu'il étoit question de parler sur les dernières épreuves. On a raison de compter pour temps perdu un temps si mal employé, et avec tant d'affectation de mauvaise volonté.

Je ne sais comment le cardinal Spada aura écrit au nonce. Je crains un peu qu'il ne l'ait fait fort superficiellement, et toujours en excusant le cardinal de Bouillon; car c'est le caractère du cardinal Spada. Je m'en suis aperçu plus d'une fois; et en dernier lieu il me l'a fait assez connoître, lorsque, sur les plaintes que je prenois la liberté de lui faire de ce que le cardinal de Bouillon parloit sans laisser son vou, il m'assura que ce cardinal avoit commencé la veille à voter précisément sur les qualifications des propositions. Et cependant il est certain encore à présent qu'il n'a laissé jusqu'ici de qualification sur aucune proposition : j'ose avancer que je le sais du cardinal Albani, du cardinal Casanate précisément, du commissaire du saint-office, et que pas un seul des autres cardinaux ne m'a dit le contraire, quand je le leur ai demandé. Plusieurs même, comme le cardinal Panciatici qui est assez franc, et le cardinal Carpegna, me l'ont assez fait entendre.

Hier le cardinal Casanate me dit que tous alloient bien, excepté le cardinal de Bouillon. Quant au cardinal Ottoboni, il ajouta que c'étoit moins que rien. Et sur le cardinal Albani, il me fit entendre qu'il tâtonnoit, mais qu'à la fin il feroit comme les autres. C'est une vérité plus que certaine, que tout le mal vient du cardinal de Bouillon. Il fait des difficultés sur tout: cela est cause que le Pape et les cardinaux vont avec plus de précaution et de lenteur. Ainsi, au lieu de faciliter les choses, le cardinal de Bouillon ne cherche qu'à les embarrasser ; et j'ose dire que c'est une espèce de miracle que les esprits se soutiennent comme ils font. C'est à la bonté de la cause qu'on doit l'attribuer, et à la fermeté du roi, qui montre véritablement à toute la terre, en cette occasion, combien la religion lui tient au cœur.

J'espère que les lettres que vous recevrez du 16 décembre, par le courrier de M. de Torcy, vous confirmeront les dispositions de ce pays-ci. Ces lettres contiennent une plus ample explication de celles du 10, et vous pouvez compter que tout ce que je vous ai mandé est la pure vérité d'un bout à l'autre : il y a même plus à augmenter dans mon récit qu'à y diminuer. Pour moi, en mon particulier, je me fais une religion de ne

rien écrire que ce dont je ne puis douter. J'ose dire que je passe une infinité de choses sous silence, ou parcequ'elles me paroissent petites, ou parceque ce ne sont que des ouï dire, dont je n'ai pas la dernière certitude : il y a assez de faits certains, sans y en mêler d'autres.

Tout l'artifice, en un mot, de nos adversaires tend à tâcher d'établir sur les propositions de M. de Cambrai deux sens, dont l'un soit excusable. Pour l'amour pur, on s'efforce de le défendre du mieux qu'on peut, en se servant de tous les méchants arguments dont ce prélat a fait usage: mais tout le monde est ferme, et je vois qu'on le sera jusqu'à la fin, de manière que je ne doute presque pas que nos adversaires ne soient obligés de céder et de souscrire à la condamnation, quoique tout leur but soit de l'empêcher.

Si le roi continue à parler fortement au nonce sur les cabales, et particulièrement sur le scandale que cause la division des qualificateurs, sur l'addition des trois derniers dans un temps où tout alloit être fini, sur le sacriste qui s'étoit déclaré partie avant que d'être juge, sur l'archevêque de Chieti qui d'abord avoit fait un vœu contre le livre, et que le père Alfaro, aussi bien que la cabale, ont fait ensuite changer, en lui inspirant des vues de politique; si, dis-je, le roi insiste là-dessus, cela fera des merveilles. Car enfin le seul argument des Cambrésiens est à présent la division des examinateurs : ils n'ont plus exactement autre chose à dire, et le Pape n'est embarrassé que par cette seule raison. Il ne fait que répéter: Cinque, cinque! come fare me? Il n'y a pas encore long-temps que Sa Sainteté appela le commissaire du saint-office, et pendant un quart d'heure il ne dit autre chose que ces mots, Cinque, cinque. Le commissaire lui représenta que les cardinaux n'étoient pas ainsi partagés ; et ensuite, que c'étoit en lui que résidoit spécialement le pouvoir de décider. Ainsi, il faut de la part de la France remontrer le peu de cas qu'on doit faire des cinq examinateurs opposés, dont trois auroient dû être exclus selon toutes les règles divines et humaines; et faire voir au Pape tout doucement qu'il a commis une faute considérable, en accordant l'adjonction des nouveaux examinateurs, qui ont fait tout le mal, et rejeter néanmoins cette faute sur la cabale qui l'a trompé. Mais en même temps il est nécessaire de lui faire voir qu'il ne convient pas à l'Église romaine de paroître embarrassée sur une matière de cette nature, qui regarde la foi, qui a déja été décidée contre Molinos et les autres quiétistes; ni sur un livre condamné unanimement par les évêques et les

docteurs de France, dont le suffrage a bien au moins autant de poids que celui des cinq qualificateurs, qui se sont rendus suspects avec autant de fondement, depuis le premier jusqu'au dernier, en osant excuser la doctrine de M. de Cambrai.

Les jésuites vantent ici beaucoup l'éloquence de M. le cardinal de Bouillon, sa facilité à s'énoncer dans les congrégations, disant qu'il parle véritablement en maître. Ils ne tiendroient pas de pareils discours, s'ils entendoient ce que rapportent ceux qui sont présents aux assemblées, qui assurent que ce cardinal ne débite fort longuement que des pauvretés, et ne fait que des chicanes; qui disent qu'il joue parmi les cardinaux le personnage du sacriste parmi les examinateurs. Pour moi qui sais que tout ce qu'il dit est écrit, et qu'il ne fait que lire ce que lui a préparé le père Charonnier, qui n'écrit pas mal en latin; pour moi qui n'ignore pas combien ce Père est superficiel en tout, et principalement sur ces matières, dont je me suis entretenu quelquefois avec lui, je ne trouve plus de difficulté à admirer ce qui n'est rien moins qu'admirable. Ce n'est pas que le cardinal de Bouillon ne prétende décider comme un oracle, et ne soit fort mécontent de ceux qui osent le contredire. Mais il ne laisse pas d'en trouver; et générale ment les airs de hauteur et de mépris qu'il prend ne lui siéent guère, et ne lui attirent pas des applaudissements. Les cardinaux Casanate et Nerli sont ceux qui parlent le plus fortement contre tout ce qu'il dit, sans aucun ménagement. Le cardinal Nerli traite hautement d'illusion dangereuse l'amour du cinquième état, et l'appelle l'amore filosofico. Dans toutes les chapelles, ils se font remarquer les uns aux autres toutes les prières de l'Église et de leur bréviaire, dont l'esprit est tout opposé à la doctrine de M. de Cambrai. Plusieurs cardinaux, qui ne sont pas du saint-office, m'ont assuré ce fait.

Le cardinal Casanate est, Dieu merci, en meilleure santé. Rien n'est capable de le détourner du chemin de la vérité: c'est l'homme le plus droit que je connoisse, qui estime le plus l'Église de France et sa doctrine, et qui a un respect infini pour le roi. Il me disoit l'autre jour que sans le roi la religion couroit grand risque, que le Saint-Siége n'avoit pas de plus ferme appui, et qu'il falloit ne pas aimer la religion et le Saint-Siége pour n'en pas convenir. Nous parlâmes une fois de l'affaire de la régale. Je crois qu'on pourroit très aisément se rapprocher là-dessus; et je suis persuadé que si l'on pouvoit faire entrer dans la négociation le cardinal Casanate, on ne trouveroit pas beaucoup

« PrécédentContinuer »