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avoué la vérité, etc. Il supporta impatiemment, toit sorti que le soir. Pour moi, je puis dire sûla résistance qu'il trouva dans les cardinaux pour épargner en cela son ami; et malgré lui la proposition fut déclarée être du livre, et condamnée comme les autres. On n'hésita pas même à la qualifier d'hérétique.

rement qu'il fut conduit hors de Rome, et qu'on l'a fait embarquer pour qu'on n'en entendit jamais parler. Cela occasionne toute sorte de mauvais raisonnements. Ce qui est de fâcheux, c'est que Sa Sainteté s'imagine que M. le cardinal de Bouillon étoit de concert avec l'ambassadeur de l'empereur, afin de rendre son affaire commune, et que c'est par l'adresse de ce ministre que notre cardinal a fait ce faux pas. Je ne crois rien de tout cela; mais cette cour en est persuadée,

M. le cardinal de Bouillon alla jeudi à Frescati: il avoit achevé de parler la veille sur le dernier chapitre. Il y mena sa compagnie ordinaire, le père Charonnier; et il y ajouta M. de Barrières, qui l'accompagna pour la première fois. Il en revint dimanche au soir, pour assis-et on le dit hautement. On prétend même que ter à la congrégation d'hier.

Il est arrivé ici une affaire qui intrigue fort le cardinal de Bouillon et cette cour, qui peut même avoir quelque suite, et dont il est bon que vous soyez instruit. Voici le fait.

le Pape s'en plaindra au roi. Vous en entendrez parler apparemment; et il est impossible qu'une chose qui fait ici tant de bruit n'aille pas jusqu'à la cour. On dit ici mille et mille choses sur cela, que je laisserai rapporter à d'autres. Ce qui est certain, c'est que le cardinal de Bouillon est foible, sans prudence ni cervelle.

Il y a environ un mois qu'on attaqua l'écuyer de M. le cardinal de Bouillon. C'étoit à la vérité la nuit, mais par un si beau clair de lune, et lui J'ai vu les vers du cardinal Ottoboni, qui me étant si à découvert, que personne n'a cru que ce les envoya des premiers, et m'invita à sa musifût une méprise. On a soupçonné quelques per-que. Il voulut par-là me donner une grande sonnes le gouverneur a fait des diligences pour preuve qu'il étoit contraire à M. de Cambrai : découvrir l'auteur de l'attentat, et néanmoins mais cela n'avoit rien de commun avec ce qui se on n'a vu aucun effet de ses recherches. L'af-passoit au saint-office, et je savois ce qui en front étoit sensible pour M. le cardinal de Bouil- étoit. Aussi je pris la liberté de lui dire que je ne lon, et le devoit être : cependant on n'a pas vu doutois pas que son vœu ne fût encore plus préqu'il fît aucune démarche pour en tirer raison. cis, et que c'étoit là la pierre de touche. Ce fut Il s'est contenté de faire conduire, il y a environ une malice de la part du cardinal del Giudice, de quinze jours, dans sa maison un cocher de ma- faire remarquer au cardinal de Bouillon le sens dame la princesse Carpegna, qui s'étoit retiré de ces vers ce cardinal me l'avoua au sortir dans une église trois jours auparavant, et l'a tenu de cette musique. chez lui dans une étroite prison. Le Pape n'en a rien su, ou a fait semblant de l'ignorer quelque temps. Enfin, averti de cette entreprise faite contre son autorité, qui le blessoit d'autant plus qu'une semblable action, commise par l'ambassadeur de l'empereur, étoit la cause des brouilleries de ce ministre et de son maitre avec cette cour; le Pape, dis-je, informé du fait, et sachant que M. le cardinal de Bouillon étoit à Frescati, envoya chercher en diligence le sieur Poussin, son secrétaire, pour se plaindre de cet attentat, et le fit avec beaucoup de véhémence. M. Pous-somme, et que moi de mon côté je suis pressé de sin trouva le secret de l'apaiser, en lui disant que le prisonnier étoit déja sorti; et en même temps il sut mettre l'honneur du ministre à couvert, autant qu'il étoit en son pouvoir. Le Pape fut satisfait, et l'on assure qu'il traita très bien ce petit ministre, et parut très content de lui. Je sais, d'une personne qui eut audience de Sa Sainteté un moment après, que Sa Sainteté en dit mille biens.

Le bruit de cette affaire se répandit aussitôt dans Rome. Elle ne fait pas honneur au ministre, d'autant plus qu'on assure que le prisonnier n'é

M. de Bru, correspondant ici de M. Chabéré, m'a dit encore ce matin n'avoir ordre de me donner que 2,000 liv., que j'ai prises de lui, en même temps quatre autres mille livres d'une autre personne, et j'ai tiré une lettre de change de 4,000 liv. sur M. Souin, payable à quinze jours de vue de ces quatre mille livres mon père en paiera deux, comme vous en êtes convenus ensemble. J'ai cru cette voie plus courte et plus commode pour le paiement, puisque par-là vous aurez jusqu'à la fin du mois pour rembourser la

payer ce que je dois. M. de Bru m'a donné aussi les 2,000 liv. Vous ne croiriez pas que pour ces 6,000 livres, j'ai payé 1,400 livres ou envi‹ ron de change, et n'ai touché que 4,600 livres, le change, étant à près de 25 pour cent. C'est vraiment une opération ruineuse.

Rome, ce 10 février 1699.

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LETTRE CCCCXVIII.

DE BOSSUET A SON NEVEU.

Sur les dispositions du prince de Monaco; la manière dont le roi lui avoit parlé touchant l'affaire de M. de Cambrai; et sur le projet d'une rétractation de Fénelon, négocié par le cardinal de Bouillon.

J'ai reçu votre lettre du 27 janvier, et je viens de la lire à M. l'archevêque de Paris, qui avoit reçu de vous les mêmes détails.

M. le prince de Monaco a pris son dernier congé, et doit partir mercredi ou jeudi. J'eus avec lui samedi une longue conversation, où il témoigna toute sorte d'amitié et de confiance

cution, et je n'ai rien su, ni des qualifications ni des signatures: je dis rien, qu'après que tout a été fait. M. le nonce l'a su dès l'origine, et je le priai même, lorsque j'en fus informé, de le mander à Rome; ce qu'il m'a dit avoir fait.

Outre ces deux lettres, il y en a une troisième sur la Charité, qui m'est aussi adressée : c'est une nouvelle répétition. L'acharnement de M. de Cambrai àme mettre tout sur le dos, a pour principe, outre la haine qu'il me porte le dessein de faire voir que je suis sa partie formelle, et de me rendre en cette cause, non seulement suspect, mais encore odieux.

Si j'avois eu la moindre part à la censure, elle seroit plus juste, par conséquent plus forte, et l'on n'auroit pas omis des propositions capi

tales.

pour vous. Madame de Maintenon lui a parlé avec la dernière force. Le roi lui dit, dans le dernier adieu, qu'il avoit de grandes affaires à Rome; mais qu'il devoit assurer le Pape qu'il cardinal de Bouillon négocioit avec l'abbé de M. l'archevêque de Paris m'a dit que M. le n'en avoit point qui lui tint tant au cœur que Chanterac une rétractation de M. de Cambrai; celle de l'archevêque de Cambrai; qu'il ne le tout afin d'arrêter la décision, puis de gagner pouvoit trop inculquer que le bien de l'Église du temps pendant qu'on nous la communiquera. et de son royaume, et la gloire de Sa Sainteté, Il faut s'attendre à tous les artifices. Vous aurez demandoient une décision prompte, nette, pré-à veiller, si cela arrive, aux tentatives que fera cise, sans ambiguité, sans retour, et qui coupat la racine du mal. Il me dit qu'il vous écriroit, et qu'il pourroit recevoir encore de vos lettres à Monaco, où le roi lui permet d'être quinze jours.

Votre jugement sur le cardinal Albani est très juste. Vous faites bien de n'être pas la dupe de ses beaux discours; mais vous avez raison de dire qu'il faut en tirer le meilleur parti qu'on pourra.

La censure de nos docteurs est assurément trop foible. Au reste, ce ne sera pas un si grand mal, si l'on fait mieux à Rome, comme vous me donnez lieu de l'espérer.

Il y a trois nouvelles lettres de M. de Cambrai qui me sont adressées : deux roulent sur la censure des docteurs, avec ce titre : Lettres I et II à M. l'évêque de Meaux, sur douze propositions qu'il veut faire censurer par les docteurs de Paris *.

La première commence ainsi : « Je ne puis >> vous regarder autrement que comme la source » de tous les desseins qu'on a formés contre moi, » et je prends l'Église à témoin de celui qui >> vient d'éclater, etc. » Partout il me dit : vous tronquez, vous altérez, etc.; comme si j'étois l'auteur de la censure; au lieu qu'il est vrai que je n'ai eu aucune part, ni au conseil ni à l'exé

Bossuet répondit à ces trois lettres dans l'Avertissement sur les signatures des docteurs, qu'il a placé à la tête des Passages éclaircis. Voyez tom. VIII. (Edit. de Vers

M. de Cambrai pour me faire exclure, comme son ennemi. C'est ce qui ne se fit jamais. Saint Cyrille, qui s'étoit déclaré dénonciateur de Nestorius auprès du Pape, loin d'être exclu du jugement, y présida. Cela est capital, et donneroit lieu à tout éluder. D'ailleurs, j'ai seul la clef de cette affaire : c'est où il faut être attentif plus qu'à tout le reste. Le courrier de l'abbé de Chanterac est chargé de l'instruction qu'on envoie à M. de Cambrai pour cette rétractation.

Le livre de Vargas * n'est composé que de lettres atroces contre le concile de Trente, avec une préface de Le Vassor l'apostat, qui soutient Molinos contre le zèle de l'Église romaine, et qui prétend qu'il ne falloit pas crier à l'hérétique contre M. de Cambrai, auteur d'une spiritualité raffinée, dont le nouveau Testament ne dit mot, parceque, quelque inconnue qu'elle ait été aux apôtres, elle ne fait aucun mal; et que si elle est hérétique, il y a long-temps que cette hérésie a cours dans l'Église romaine. Le Vassor ajoute que M. de Paris et M. de Meaux ont dérogé aux libertés gallicanes, en permettant que cette affaire fût portée à Rome, et que le roi s'est

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sulte espagnol, concernant le concile de Trente, dont l'abbé *Les Lettres et Mémoires de François Vargas, jurisconBossuet demandoit un exemplaire à son oncle, mis en françois,

et publiés à Amsterdam avec plusieurs autres lettres et mémoires de Pierre Malvenda, et de quelques autres évêques espagnols, an commencement de 1699, par Michel Le Vassor, d'abord prêtre de l'Oratoire, et depuis ministre anglican, connu principalement par sa mauvaise histoire de Louis XIII.

laissé trop engager à cette poursuite. Cet igno- | mois. Cette espérance me fait grand plaisir; cerant malicieux abuse du nom de libertés gallicanes. Je vous donne ce petit extrait en attendant le livre, dont je vous enverrai un exemplaire aussitôt que je le pourrai.

Il est certain que les Anglois ont traduit le livre des Maximes avec de grands éloges, et que les Hollandois impriment un recueil des ouvrages des deux partis, avec une préface en faveur de M. de Cambrai.

On agira efficacement pour le procureur général des augustins *. Le principal du collége de Bourgogne, Colombet, frère de l'assistant, est celui à qui la tête a tourné pour avoir trop travaillé pour M. de Cambrai.

Vous jugez bien de l'impatience que j'ai d'a- | voir de vos nouvelles. Consolez-vous, et songez que vous servez Dieu et son Église. Ne vous laissez point abattre par la douleur, quoiqu'elle soit juste.

J'embrasse M. Phelippeaux de tout mon

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pendant il ne faut s'assurer de rien, que le jugement ne soit prononcé. Continuez vos sollicitations avec la même attention et la même vigueur : surtout prenez garde qu'on ne soit attendri de cette nouvelle lettre de M. de Cambrai. Vous savez combien il est adroit et pathétique.

Le père Roslet me mande sa conversation avec le cardinal Albani : je lui réponds de ne s'y pas fier, à moins qu'il ne rende ses actions conformes à ses discours.

Le cardinal Casanate fera mieux la bulle.

qu'aucun autre; mais il n'y aura pas d'inconvénient qu'on lui donne les cardinaux Noris et Ferrari pour y travailler avec lui: pourvu que le cardinal Albani n'en soit pas, nous serons bien. La négligence du cardinal de Bouillon à assister à la cérémonie de ce nouveau jubilé n'est pas excusable: il est étonnant qu'il garde si peu

de mesures.

Je ne manquerai pas de dire au roi ce que vous me mandez de M. le prince Vaïni, et de faire de mon mieux pour le Père procureur général des augustins : j'en parlerai fortement.

Je crains que les paquets que je vous ai envoyés, et que vous n'avez pas reçus, ne soient ceux qui contenoient cent quarante-six signatures de docteurs tout à la fois : il seroit fâcheux qu'elles fussent supprimées; il y auroit pourtant remède. Si la censure ne paroît pas assez forte, dites, s'il vous plait, que c'est par modestie et

DE M. DE NOAILLES, ARCHEVÊQUE DE PARIS, par respect pour le Saint-Siége qu'on ne l'a pas

A L'ABBÉ BOSSUET.

Sur l'espérance d'une prochaine conclusion; la lettre de M. de Cambrai au Pape; la censure des docteurs de

Sorbonne, et le mécontentement qu'en témoignoit M. de Cambrai.

Je reçus hier, monsieur, votre lettre du 27. Je suis surpris et même fâché de ce que j'y vois que vous n'en aviez point reçu de moi, non plus que le père Roslet. Je n'ai pas manqué un seul courrier de vous écrire à l'un ou à l'autre ; ainsi il faut que mes lettres aient été retenues. Tâchez de savoir ce qui en est, afin que nous prenions des mesures pour empêcher que cela n'arrive davantage.

J'ai conféré ce matin à Versailles la lettre que vous m'avez écrite, avec celle qu'a reçue M. de Meaux : nous y avons trouvé à peu près les mêmes choses, par conséquent que l'affaire va bien, et qu'elle finira heureusement dans ce

Il se nommoit Nicolas Serrani, et avoit été un des examinateurs du livre des Maximes, contre lequel il s'étoit fortement déclaré.

chargée davantage. M. de Cambrai ne la trouve pas trop foible; car il n'a jamais crié si haut qu'il fait depuis cette censure. Croyez-moi toujours, monsieur, à vous autant que j'y suis.

Il n'est point vrai que madame Guyon soit morte; elle se porte au contraire très bien : c'est une femme qui la servoit qui mourut il y a cinq ou six semaines. M. de Monaco part demain.

Comptez sur un aussi grand secret de ma part que vous pouvez le desirer.

16 février 1699.

LETTRE CCCCXX.

DE L'ABBÉ Bossuet a son oncle. Sur l'inutilité des nouvelles tentatives du cardinal de Bouillon pour sauver M. de Cambrai; le résultat des dernières congrégations ; la manière dont les qualifications pourroient étre prononcées dans la bulle; et sur une audience que cet abbé avoit eue du Pape,

J'ai reçu en même temps, par le courrier ordinaire, les deux lettres que vous m'avez fait l'hon

puyé, et qu'on poussoit à bout. Il voulut aussi intéresser le Saint-Siége pour un évêque prêt à se sacrifier pour son autorité, ses maximes, etc. Enfin, il conclut en disant qu'il n'y avoit que le scul intérêt de la vérité qui le faisoit parler, puisqu'on savoit que la cour n'étoit pas favorable à M. de Cambrai.

On le laissa dire tout ce qu'il voulut sur toutes ces considérations et sur les propositions du livre, qu'il soutenoit qu'on pouvoit entendre dans un bon sens, conforme à celui de sainte Thérèse, de saint François de Sales, etc.; prétendant qu'il étoit de la dernière conséquence, et de l'honneur du Saint-Siége, de déclarer les diffé

neur de m'écrire: l'une du 27 janvier, et l'autre du 22, que vous croyiez qui devoit arriver par un extraordinaire qui n'est pas parti, mais qui m'a été rendue sûrement. J'ai reçu en même temps le paquet de la Réponse aux préjugés, que j'ai distribuée aussitôt aux cardinaux et dans Rome. Cet écrit est venu fort à propos, et a été bien reçu, étant fort court, et paroissant dans une circonstance où la quantité des libelles de M. de Cambrai, remplis d'une hardiesse et d'une effronterie étonnante, d'un ton de hauteur insupportable, a fait sentir ici le caractère de l'auteur, et la nécessité qu'il y a de lui tenir tête. La disposition est d'autant meilleure, que MM. les cardinaux connoissent à présent par eux-rents sens des propositions, pour ne pas confonmêmes la pernicieuse doctrine du livre des Maximes, et ne peuvent qu'être bien aises qu'on instruise le public, qu'on lui dévoile de plus en plus l'esprit dangereux de M. de Cambrai. Je n'ai pas jugé à propos de présenter votre écrit au Pape, quoique j'aie eu aujourd'hui de lui une audience dont je vous rendrai compte.

J'ai dit partout que ce petit ouvrage n'étoit fait que pour la France, et avoit pour but d'empêcher que les peuples ne fussent séduits par le nombre des libelles que M. de Cambrai répand de tous côtés, et que son parti ne triomphât du silence qu'on garderoit dans ces circonstances.

Nous n'avons point encore reçu ici l'écrit du théologien de M. de Chartres, que l'on distribuera sans dire que c'est vous qui en êtes l'auteur cela fera bien mieux.

Venons aux affaires essentielles. Je vous dirai donc que ma première pensée ces jours-ci étoit de dépêcher un courrier, pour informer de tout | ce qui s'est passé dans la dernière congrégation et depuis; mais ayant fait réflexion qu'il falloit un remède présent, et qu'il ne pouvoit venir que de ce pays-ci, j'ai cru que cette dépêche n'étoit pas absolument nécessaire, et qu'il n'importoit pas qu'on sût huit jours plus tôt ou plus tard les nouveaux et extraordinaires efforts qu'on a faits pour sauver M. de Cambrai, en déshonorant la France et le Saint-Siége. Les auteurs de ce complot n'ont pas réussi, Dieu merci : la vigueur de nos amis a soutenu le bon parti, et l'a emporté. Voici ce qui s'est passé mercredi 11 de ce mois.

Les trois derniers cardinaux parlèrent sur le dernier chapitre. Après qu'ils eurent fini, le cardinal de Bouillon fit une harangue, dans laquelle il rassembla tout ce qui pouvoit le plus contribuer à faire épargner M. de Cambrai, relevant sa piété, son savoir, etc. Il joignit à cela des considérations politiques, exagéra ce qu'il y avoit à craindre d'un homme innocent, éloquent, ap

dre les bons mystiques avec les mauvais. Après quoi MM. les cardinaux résolurent, avant que de parler devant le Pape, de tenir les congrégations nécessaires et préliminaires pour convenir de modo tenendi. Et pressés par Sa Sainteté, qui veut absolument finir, ils arrêtèrent de s'assembler le vendredi suivant, 13 de ce mois, hier lundi 16, et demain mercredi 18 du mois, afin de pouvoir commencer à parler devant le Pape dès jeudi prochain.

M. le cardinal de Bouillon prétend avoir obtenu comme par force la congrégation du vendredi, et croit qu'on doit lui en avoir une obligation éternelle : il m'en a parlé à peu près dans ces termes. On sait bien à quoi s'en tenir. Si l'on veut l'en croire, on lui sera redevable de tout, et personne n'aura frappé plus fortement que lui M. de Cambrai. Ce qu'il y a de certain, c'est que, comme l'ont dit les cardinaux Panciatici, Carpegna et Casanate, il fait beaucoup de bruit et très peu d'effet.

La matière qui devoit se traiter dans les dernières congrégations des cardinaux étoit de la dernière conséquence. Les partisans de M. de Cambrai, qui sont en très petit nombre parmi les cardinaux, prétendoient le sauver, au moins en partie, par la difficulté qu'on trouveroit dans l'exécution de ce qu'il y avoit à faire. D'abord les propositions sont trop longues, et ont été extraites à l'avantage de M. de Cambrai; néanmoins ce sont celles qu'on a examinées et qualifiées. Si on les refait, si on les change, c'est un nouveau travail, sujet à mille chicanes : ce ne sont plus, diront les fauteurs de M. de Cambrai, lés mêmes propositions qualifiées. Les qualifier de nouveau, c'est recommencer tout l'ouvrage. Vous vous imaginez aisément tous les tours artificieux et plausibles qu'on peut donner à ces difficultés, dans la vue d'embrouiller l'affaire. De plus, on allègue que, quant aux qualifications de ces propositions, chaque cardinal a,

il

est vrai, donné les siennes; mais que tous ne conviennent pas dans les mêmes qualifications; et que, par exemple, le plus grand nombre ne s'accorde pas à taxer d'hérétique ou d'erronée telle proposition. Voilà un nouvel embarras, et qui augmente encore par les instances qu'ils font pour qu'on distingue les sens des propositions, prétendant trouver l'exemple et le fondement de cette distinction dans la censure des docteurs de Sorbonne. Tous ces incidents leur faisoient espérer qu'ils rendroient l'affaire interminable, ou qu'au moins ils gagneroient quelque chose, et obtiendroient des modifications.

ment nécessaire et de justice, en cas qu'on voulut qualifier les propositions, soit respectivement, soit privativement. Il ajouta qu'à la vérité cela ne pouvoit se faire si vite, dans l'état où étoient les propositions; mais qu'il falloit s'occuper de ce travail; insinuant que si l'on ne le vouloit pas, on pouvoit se tirer de cet embarras en condamnant le livre en général, comme contenant des propositions équivoques, ambiguës, dangereuses, et qui en un certain sens étoient erronées, etc. Voilà où il espéroit en venir; mais il trouva à qui parler; et en un mot, dans la congrégation de vendredi, qui dura cinq grosses heures, et dans celle d'hier, il a eu le chagrin de voir l'avis des cardinaux bien intentionnés prévaloir au sien. On rejeta donc la distinction des sens; on résolut de condamner et qualifier les propositions de M. de Cambrai, comme on a toujours condamné et qualifié les propositions erronées, hérétiques et mauvaises, sans entrer dans aucune modification qui pût donner lieu à l'auteur de dire qu'on ne les avoit pas condamnées dans son sens. On a arrêté de réduire les propositions comme elles doivent l'être, pour en faire voir tout le vice et le venin, et on y appliquera les qualifications déja prononcées. Sans perdre de temps on parlera en bref devant le Pape, qui après fera dresser la bulle en conformité, et chargera qui il jugera à propos de tout ce qui restera à faire.

Je fus heureusement, dès le mercredi matin, averti de tout ce qui se passoit. Je sus que le cardinal Casanate étoit un peu inquiet : il m'avoit fait dire que ce moment étoit tempus tenebrarum; qu'on s'assembleroit le vendredi, et qu'il n'y avoit pas de temps à perdre pour soutenir et confirmer les esprits. Je me mis aussitôt en marche pour aller visiter les principaux cardinaux; et les premiers qui voulurent bien me parler s'ouvrirent franchement à moi sur le fond de tout ce que je viens de vous exposer. J'entrai avec eux dans tout le particulier des difficultés je levai celles qui les embarrassoient, et je les laissai fermement résolus de n'épargner en rien M. de Cambrai. Mais aucun ne me marqua une plus forte détermination que le cardinal Carpegna, qui devoit prendre la parole après le cardinal de Bouillon, et qui me dit franchement - qu'il s'agissoit ici de l'honneur du Saint-Siége, à quoi il falloit sacrifier toute considération humaine, voulant parler de l'amitié du cardinal de Bouillon. Assuré de lui et de son théologien, je vis le cardinal Nerli, que je trouvai tout tremblant, qui me demanda s'il n'y avoit rien à craindre du parti de M. de Cambrai, qu'on disoit puissant. Je fis mon possible pour le rassurer, et il me parut revenu de ses craintes; mais vous savez ce qui me le fait un peu appréhender. Je fis parler comme il falloit au cardinal Marescotti par le commissaire du saint-office. Je vis le cardinal Spada, que j'avois disposé avec douceur à suivre le cardinal Casanate. Pour le cardinal Panciatici, je fus bien vite assuré de ses bonnes dispositions. A l'égard des théologiens, je sus qu'ils étoient déterminés à bien faire. Je fis avertir le cardinal Casanate du succès de toutes mes démarches.

On tint le vendredi la congrégation qui devoit examiner les différents chefs dont je viens de vous parler, et ce qui restoit à faire. Le cardinal de Bouillon recommença avec plus de force que jamais ses débats, insista fortement sur la distinction des sens, comme sur une chose absolu

Je sus hier du cardinal Casanate que tout alloit bien; mais il ajouta ces propres paroles: Qu'on avoit fait le diable, et qu'on avoit même poussé jusqu'à manquer d'honnêteté, jusqu'à dire des choses dures; qu'on vouloit faire la loi; mais qu'on avoit tenu ferme, et qu'avec un peu de patience la vérité triompheroit pleinement, et dans peu. Tout ce que je vous dis là va être bientôt public.

Le cardinal de Bouillon a dit à M. l'abbé de La Trémouille, et à bien des gens, que son avis étoit et seroit toujours de distinguer dans les propositions le bon sens d'avec le mauvais; que la Sorbonne en avoit donné l'exemple par son quatenus, qui indiquoit qu'il pouvoit y avoir un autre sens. Je savois la difficulté il y a longtemps; et dans les conférences que j'ai eues avec les cardinaux, je les ai fait convenir qu'il falloit faire une qualification plus précise, en disant Hæc propositio, quæ excludit, etc., ou quia, ou le participe excludens, ce qui détermineroit précisément que le sens de la proposition est le sens du livre. La plupart avoient pensé à mettre tanquam, mais je leur ai fait voir que cela n'étoit pas si précis; et il m'a paru qu'ils se sont rendus. Ce qui est de certain, c'est

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