Images de page
PDF
ePub

et françois de monseigneur l'archevêque de Cam-, absence, a pris fort votre parti. Je serai sabrai, que nous vous envoyons, et je vous dirai les réflexions qu'on a faites sur cette pièce.

Tout le monde a remarqué d'abord qu'il ne dit pas même que le livre soit de lui: il s'en est désapproprié, et il a écrit en quelque endroit, dans un de ses livres imprimés, qu'il n'y prenoit point de part. Madame Guyon en a usé de mème. On est encore plus étonné que, très sensible à son humiliation, il ne le paroisse en aucune sorte à son erreur, ni au malheur qu'il a eu de la vouloir répandre. Il dira, quand il lui plaira, qu'il n'a point avoué d'erreur; et il lui sera aussi aisé de s'excuser, qu'il a excusé madame Guyon. Car encore qu'il ne puisse pas se servir du prétexte de l'ignorance, il saura bien, s'il le veut, en trouver d'autres, et il n'en manquera jamais. La clause de son mandement, où il veut qu'on ne se souvienne de lui que pour reconnoitre sa docilité, supérieure à celle de la moindre brebis du troupeau, n'est pas moins extraordinaire. Il veut qu'on oublie tout, excepté ce qui lui est avantageux. Enfin ce mandement est trouvé fort sec, et l'on dit qu'il est d'un homme qui n'a songé qu'à se mettre à couvert de Rome, sans avoir aucune vue de l'édification publique. Les rétractations qu'on a dans l'antiquité, et, entre autres, celle de Leporius *, dictée par saint Augustin, sont d'un autre caractère.

à rece

Malgré tous les défauts de ce mandement, je crois que Rome doit s'en contenter; parce qu'après tout, l'essentiel y est ric-à-ric, et que l'obéissance est pompeusement étalée. Il faut d'ailleurs se rendre facile, pour le bien de la paix, voir les soumissions, et à finir les affaires. Ainsi ces réflexions seront pour vous et pour M. Phelippeaux seulement; mais je serai bien aise que tous deux vous vous rendiez attentifs à ce que diront à Rome les gens d'esprit.

Il est grand bruit de l'éclat de M. le cardinal de Bouillon contre vous**. M. de Paris, en mon

*La rétractation de Leporius, moine des Gaules, condamné pat Procule, évêque de Marseille, et par quelques autres évêques des Gaules, est en effet un modèle digne d'être proposé à tous ceux qui auroient eu le malheur d'errer dans la foi. Les erreurs de Leporius rouloient sur le mystère de l'Incarnation, et tendoient à întroduire deux personnes en Jésus-Christ, c'est-à-dire, qu'il établissoit le nestorianisme, avant même que Nestorius eût enfanté son hérésie. Instruit par les leçons de saint Augustin, auprès duquel il s'étoit réfugié. et touché des exhortations de ce charitable pasteur, il voulut réparer le scandale qu'il avoit donné, en confessant, dans l'amertume de son cœur, ses égarements. On peut voir la rétractation de Leporins dans Cassień, lib. 1 de Incarn. Dom. c. Iv; dans les conciles des Gaules du père Sirmond, tom. I, pag. 52 ; et dans

l'Hist. ecclésiastique de M. de Fleury, liv. xxiv, n. 49. Voyez

aussi saint Augustin, Epist. ecxix. tom. ii, col. 811.

Le cardinal de Bouillon faisoit un crime à l'abbé Bossuet, comme on l'a déja vn, d'avoir envoyé à Paris M. de Madot

pour y porter le bref. Les lettres postérieures apprendront les suites de cette tracasserie.

[ocr errors]

medi prochain à la cour, au retour du roi de Marly. Il ne faut être en peine de rien vous avez satisfait à votre devoir en nous avertissant, le reste ne roule point sur vous. Il est constant, par trop d'endroits, que M. le cardinal de Bouillon se déclaroit avec un excès qu'on ne pouvoit pas dissimuler. Dans une affaire de la nature de celleci, comme il s'agissoit de la foi et du tout pour la religion, la mollesse ou la complaisance auroit été un crime; et M. le cardinal de Bouillon, dans son cœur, ne peut vous savoir mauvais gré de n'y être pas tombé. Je suis persuadé que vous ne perdrez aucune occasion de lui rendre vos respects, et de l'apaiser, s'il se peut, avant votre départ. Je souhaite toujours que ce départ soit dans le temps que vous avez destiné.

Je n'ai pas encore de réponse de la cour sur ce que j'y ai mandé touchant votre indult. Il faut attendre que j'y sois pour agir moi-même. Il seroit principalement à propos de faire agir M. l'ambassadeur; mais comme il a la goutte à Monaco, on ne croit pas que vous l'ayez si tòt qu'on pensoit.

Je souhaite que mes lettres à MM. les cardinaux Casanate, d'Aguirre et Spada soient rendues, et que vous leur ayez bien fait mes compliments sincères et respectueux.

Vous entendrez bientôt dire qu'on aura fait pour la nouvelle constitution tout ce qu'il y a de plus fort, avec le respect convenable pour le Saint-Siége, et en conservant tous les droits de l'épiscopat.

On dit, mais en termes généraux, que M. le nonce nous veut accommoder avec M. de Cambrai. Nous verrons: mais assurément je ne souffrirai point d'égalité, par rapport à la défense

d'écrire.

La paresse, plutôt que l'incommodité, me fait écrire d'une maiñ étrangère. Du reste, j'ai fait tout l'office tant du jeudi saint que d'aujourd'hui, en me dispensant des matines et de prêcher.

A Meaux, ce 19 avril 1699.

LETTRE CCCCLXV.

DE L'ABBÉ BOSSUET A SON ONCLE. Sur la satisfaction qu'avoit le Pape du bon accueil qu'on avoit fait en France à son décret; le contentement du cardinal Gasanate, et le chagrin du cardinal de Bouillon.

J'ai reçu mercredi, 15 de ce mois, la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire de Versailles le 30 mars; et, dans le moment, M. Phelippeaux fit retenir date pour lui, pour le bénéfice que vous desirez lui procurer. Je ne

doute pas qu'il ne vous en écrive et remercie | aujourd'hui. La chose sera difficile; mais je n'y oublierai rien de mon côté, et j'emploierai tout ce que je saurai pour qu'il puisse profiter de la grace que vous voulez bien lui faire. Il arriva, le mardi 14, un courrier extraordinaire dépêché pour bénéfice. On ne peut pas encore savoir si quelque religieux aura pris date par ce courrier. Votre lettre du 2 avril, venue par le courrier de M. le cardinal de Bouillon, qui arriva, comme vous l'avez vu par ma dernière lettre, le samedi 9 de ce mois, ne m'a été rendue que le vendredi saint, 17 de ce mois; M. le cardinal de Bouillon n'ayant pas voulu qu'on portât plus tôt le paquet adressé au correspondant de M. Chabéré. Si cette lettre m'avoit été rendue à l'arrivée du courrier, la date de M. Phelippeaux seroit certainement antérieure à toute autre. On aura l'œil à tout ce qui se passera, et on fera toutes les démarches nécessaires.

Rien ne manque à ma joie, puisque le roi, vous et tous les évêques en France continuez d'être contents de la décision. Ces dispositions causent ici une satisfaction incroyable, et au Pape plus qu'à personne.

roi et les évêques étoient très disposés à autoriser un bref qui contenoit une décision si importante pour l'Église. Je crus ne devoir pas assurer positivement qu'on trouveroit les moyens de réparer les défauts, et qu'on passeroit par-dessus les formalités, afin de laisser la liberté de déterminer ce qu'on jugera le plus à propos. Ce n'est pas une chose nouvelle qu'on change un bref en bulle. On m'a assuré que la condamnation de Molinos se fit d'abord par un bref; je l'ai cherché, mais je ne l'ai pas encore trouvé. Enfin, tout ce que vous ferez sera bien fait; et je suppose que si on trouve les moyens d'autoriser ce bref, ce ne sera pas aux dépens ni de l'autorité royale et épiscopale, ni des libertés et usages du royaume.

Au reste, on ne peut pas me donner plus de témoignages de bonté, et, si je l'ose dire, d'amitié, que le fit Sa Sainteté. J'en fus d'autant plus aise, que je craignois que la manière forte avec laquelle j'avois été obligé de lui parler très souvent n'eût fait quelque mauvaise impression sur son esprit contre moi; mais je puis assurer à présent qu'il n'en est pas ainsi. Il me paroît au contraire que, reconnoissant de jour en jour la vérité de tout ce que je lui disois, la fausseté des discours de nos adversaires, et voyant le peu de fondement qu'il y avoit aux craintes qu'on vouloit lui donner de la condamnation de M. de Cambrai, il est plus content de moi et de mon procédé que je ne le mérite. Vous croyez bien que je fais mon devoir auprès des cardinaux.

et

Le cardinal Casanate est plus charmé qu'aucun qu'on soit satisfait en France de la décision et de sa conduite. Je l'ai vu ce matin; il est fort scandalisé et des derniers livres de M. de Cambrai, et de ce qui lui en revient. Il appréhende bien que sa soumission ne soit qu'extérieure et forcée; et il m'a dit franchement ce matin qu'il étoit bien dangereux de laisser ce prélat dans le poste qu'il occupe, et qu'il ne doutoit point que le roi n'y mit ordre. Vous pouvez compter qu'il vous estime et vous aime véritablement.

J'allai samedi, comme il me l'avoit ordonné, lui rendre compte de ce que vous m'écriviez. Je lui lus les articles de votre lettre du 30, qui pouvoient lui faire plaisir; et j'eus avec le SaintPère, sur le passé, le présent et l'avenir, relativement à l'affaire de M. de Cambrai, une conversation aussi consolante pour moi et pour vous que l'on pût desirer. Le Pape est à présent très persuadé qu'il n'y a que l'amour de la vérité et de la religion, et la nécessité de réprimer une secte naissante, qui vous ait porté à vous élever contre M. de Cambrai, et qui vous ait engagé à faire ce que vous avez fait. Il vous donna toutes les louanges que vous méritez. Il me dit que c'étoit M. de Cambrai qui avoit voulu se perdre, et troubler le repos de l'Église, en refusant toutes les voies de douceur, et toutes les conférences que vous lui aviez proposées, et en continuant à écrire avec l'emportement et l'obstination qu'il avoit montrés jusqu'au | bout. Il espère néanmoins qu'il obéira, et prend Le cardinal de Bouillon continue à paroître pour une bonne marque ce qu'on sait qu'il dit | peu content de ce qu'on a fait ici, et de la joie à son peuple le jour de l'Annonciation. que chacun témoigne. Il dit qu'il croit que M. de Cambrai se soumettra extérieurement, mais qu'avant deux ans on verra le feu rallumé plus vivement, et qu'on a mis un méchant emplâtre à cette plaie. Ce cardinal se fait mépriser, et tout le monde se moque de lui. Il est peu satisfait de la Gazette de France du 28, sur deux articles. Le premier, qui regarde l'ambassadeur de l'empereur, où il est dit qu'il ne se trouva

Je lui ai lu l'article de votre lettre du 30 et du 2 avril. Il a grande impatience de savoir que son nonce ait présenté au roi le bref en forme. Il me répéta qu'il étoit très fâché que ce ne fût pas une bulle, qu'il en auroit donné cent pour une; mais qu'on ne lui en avoit pas parlé, ni fait faire les réflexions convenables là-dessus. Il fut très content de ce que je lui dis, que le

Je parie que le père Dez voudra persuader à présent qu'il a toujours condamné le livre des Maximes.

Le cardinal Nerli a raconté à M. le cardinal Casanate et au cardinal Marescotti la manière dont il avoit traité le général des jésuites.

Si M. de Monaco ne venoit pas ici avant la fin de mai, cela romproit bien mes mesures. Mais, quoi qu'il puisse arriver, je prendrai mes résolutions d'après ce que vous me manderez.

que deux cardinaux à la fête que ce ministre ' n'est pas vrai. Il n'a point tenu le propos que donna. Il s'imagine que le gazetier a voulu le vous rapportez dans votre lettre. désigner comme étant l'un de ces deux cardinaux. Le second article qui lui déplaît est ce que la Gazette dit du cardinal Casanate. Le cardinal de Bouillon prétend prouver par cet article, qu'il suppose venir de mes relations, qu'elles sont fausses ou peu exactes; et il soutient que jamais le cardinal Casanate n'a été nommé par le Pape pour rédiger le décret, bien qu'il fût destiné in petto: et c'est précisément ce que j'ai toujours mandé, si vous vous en souvenez, quoique monseigneur Giori et nombre de gens bien informés m'aient toujours assuré que ce cardinal avoit été nommé d'abord avec les deux cardinaux théologiens Noris et Ferrari. Vous vous souviendrez que je vous envoyai une lettre de monseigneur Giori qui le marquoit précisément, et que je vous écrivis en même temps que je le croyois bien destiné, mais qu'il n'y avoit rien de déclaré là-dessus. Ce qui est vrai, c'est que le cardinal Spada avoit dit au cardinal Casanate que le Pape l'avoit destiné pour le travail. Voilà les bagatelles qu'on prétend relever.

J'ai jugé à propos de faire parler au cardinal de Bouillon, qui a aussi trouvé bon de nier ce qu'on lui avoit fait dire sur mon sujet. J'ai donc été chez lui à l'ordinaire, et il n'a été question de rien. Je suis bien aise que les choses se passent ainsi. M. le cardinal de Bouillon n'osera jamais avoir aucun éclaircissement avec moi.

M. le cardinal de Bouillon voudroit faire récompenser ici tous ceux qui se sont déclarés pour M. de Cambrai, et il commence par Zeccadoro, pour qui il veut absolument obtenir des graces du Pape, employant à cet effet le nom du roi. Cela seroit d'un bien pernicieux exemple. Les évêques et le roi n'ont pas eu, en cette occasion, un plus grand ennemi. Je l'ai trouvé partout dans mon chemin, et je puis rendre un témoignage assuré de sa mauvaise conduite. Le cardinal de Bouillon a encore résolu d'empêcher le procureur général des augustins d'être général de son ordre. Il n'y a rien ici que l'assistant de France ne fasse dans cette vue il veut soulever contre lui tous les François de Rome. L'ambassadeur n'arrivera pas assez à temps pour leur parler avant qu'ils aillent à Boulogne, où se tient le chapitre général, dans le mois de mai. Il faudroit que M. l'archevêque et les ministres envoyassent leurs ordres en droiture à Boulogne sur cela, au moins qu'ils parlassent aux supérieurs à Paris d'une manière à se faire obéir.

Rome, ce 21 avril 1699.

LETTRE CCCCLXVI.

Le mystère du vœu cacheté est une autre petite finesse qui ne lui réussira pas mieux que tant d'autres qu'il a mises en œuvre. Le père Roslet ne m'en avoit rien dit. Je lui en parlai avant-hier, comme sachant le fait de Rome. Il me dit que le cardinal de Bouillon lui avoit demandé le secret; qu'il n'étoit pas vrai qu'il eût mis son cachet avant la condamnation, puisque ce fut après le décret signé par le Pape; du reste, qu'il n'avoit eu aucune connoissance de ce Sur la manière dont on devoit procéder à l'acceptation du que cet écrit contenoit. Vous ne me mandez point si vous avez vu cet écrit. Il a pu être envoyé au roi par le courrier extraordinaire qui a porté le bref. On a fort bien répondu à cela,

et suivant la vérité.

Je n'entends pas bien la difficulté qu'on fait sur ce que le bref n'est pas adressé aux évêques. Ne suffit-il pas qu'il le soit au roi, et que le roi l'adresse après aux prélats? La lettre de M. de Cambrai à M. le nonce marque bien le caractère de l'esprit du personnage.

Ce qu'on fait dire au cardinal d'Aguirre

*Il en est parlé dans la lettre ccccxLv1, ci-dessus,

DE BOSSUET A SON NEVEU.

bref contre le livre des Maximes.

Je ne vous annoncerai point de lettres reçues. Il n'est point venu d'ordinaire, et l'on croit qu'il a manqué, pour cette fois, par quelque accident qui ne m'est point connu.

roi a résolu pour la réception de la constitution, Je ne puis mieux vous instruire de ce que le qu'en vous envoyant la lettre de Sa Majesté à M. de Paris *. Il y en aura une pareille à tous les métropolitains. Celle de M. de Paris lui a déja été adressée, et il nous a convoqués pour

Cette lettre du roi est insérée dans la Relation de l'assem. blée de 1700, ci-dessus, tom. vii. (Edit. de Vers.)}

le 13 mai. Tout se fera de la manière la plus jour en jour, et c'est à quoi je tâche de ne rien convenable. oublier.

Le tour qu'on prend de n'expédier de lettrespatentes qu'après l'avis des évêques, est toutà-fait ecclésiastique; et jamais rien n'aura été reçu avec plus de solennité. Vous verrez, par la lettre du roi, qu'on tient M. de Cambrai pour bien soumis; et on le doit, afin de voir la fin de cette affaire. Sur ce fondement, on lui adressera la constitution, comme aux autres métropolitains, avec une très légère différence.

A Paris, ce 27 avril 1699.

LETTRE CCCCLXVII.

DE L'ABBÉ BOSSUET A SON ONCLE.

Sur la cause des défauts du bref; la conversation de cet

abbé avec le cardinal Spada; l'audience qu'il avoit eue

du Pape; les sentiments de ce pontife pour Bossuet; la congrégation qu'il avoit indiquée relativement au bref, et ce qu'on y avoit résolu.

J'ai reçu la lettre que yous m'avez fait l'honneur de m'écrire de Versailles, du 6 de ce mois. Vous aurez vu dans toutes mes lettres à qui l'on s'en doit prendre, si l'on a négligé ici les moyens qui pouvoient contribuer à rendre le succès complet. On a voulu tout affoiblir; et, par la précipitation extrême avec laquelle l'affaire a été poussée les derniers jours, on m'a ôté la facilité de remédier à ce qui manque. Mais il est inutile de répéter ce que vous savez déja. Venons à ce qui se passe.

Samedi dernier, après avoir reçu les lettres, j'allai d'abord chez le cardinal Spada, qui avoit reçu les dépêches de M. le nonce; ainsi je ne lui appris, je pense, rien de nouveau, en lui lisant les articles de votre lettre, qu'il étoit bon qu'il vit. Je lui fis bien remarquer ce qui regarde les défenses d'écrire. Il excusa là-dessus M. le nonce, et les ordres qu'il avoit reçus, disant qu'on ne prétendoit rien défendre; mais seulement qu'on croyoit que rien n'obligeoit encore à écrire, et qu'on souhaitoit la paix, si cela étoit possible. Je fis bien valoir vos sentiments de douceur et de charité, auxquels vous ne donneriez point de bornes; votre intention et celle des bons évêques étant seulement de faire régner et triompher doucement et modeştement la vérité, sans mêler la moindre insulte envers la personne de M. de Cambrai. Aussi, loin de désapprouver ici cette conduite, on ne cessera d'y applaudir. Mais ce qui obligea à faire écrire sur ce sujet à M. le nonce, c'est la terreur qu'on inspiroit de M. de Cambrai et de sa puissante cabale. Comme ils voient qu'on leur a donné de fausses craintes, ils se rassurent de

Quant au bref, on répond toujours la même chose, c'est-à-dire, qu'on n'y a pas pensé, et qu'il n'y a eu aucune mauvaise intention à cet égard. Pour le bref particulier qu'on auroit dû écrire au roi, le cardinal Spada avoue qu'il eût été convenable de le faire; mais il s'excuse sur l'inadvertance, unique cause de cette omission. Si l'on n'a pas notifié le jugement à M. de Cambrai, c'est qu'on a cru qu'il suffisoit que le Pape lui-même en eût donné connoissance, et fait part à son agent ici. On avoit bien pensé à lui écrire là-dessus, mais on avoit craint de s'engager par-là, et de faire quelque chose dont il tirât avantage, la circonstance étant délicate, et moi-même lui ayant témoigné que cette démarche pouvoit avoir des suites dangereuses. Il est vrai que je lui représentai qu'il me paroissoit peu honorable au Pape d'écrire, comme les partisans de M. de Cambrai le vouloient, à cet archevêque, pour l'exhorter à se soumettre. Mais cela n'empêchoit pas de donner ordre au nonce en France de lui notifier la décision prononcée sur son livre. Ils voient bien leur négligence, et c'est assez qu'ils la sentent. Comme vous prétendez suppléer à tout, et que ni le roi ni les évêques ne demandent rien à cette cour, je me suis borné à faire connoitre la bonne volonté des évêques, et leur respect pour le Saint-Siége.

M. le cardinal Spada alla chez le Pape, et lui rendit compte de ses dépêches et de ma conversation. Sa Sainteté me fit appeler, sachant que j'attendois sa commodité, Aussitôt qu'elle me vit, elle ne me laissa pas le temps de parler, et commença à me demander de vos nouvelles:comment se portoit ce grand évêque, ce défenseur de la foi? mais dans les termes les plus forts que vous puissiez jamais vous imaginer, jusqu'à me dire que votre conservation et votre santé étoient nécessaires au bien de l'Eglise; qu'il prioit Dieu continuellement pour vous, et vous portoit dans son cœur, etc. Après quoi le Pape me demanda ce qu'on disoit en France; si on continuoit toujours à être content. Je lui dis ce qu'il falloit là-dessus, l'assurant du parfait contentement de tous les états, quant au fond. Sur les formalités, je lui représentai avec respect ce qu'on croyoit qui eût été convenable. Il me demanda ce qu'on souhaitoit qu'il fit; et je lui répondis que je ne savois pas les ordres que pouvoit avoir M. le cardinal de Bouillon; mais qu'il me paroissoit, par les lettres de M. de Paris et de vous, qu'on espéroit trouver les moyens de ne pas laisser tomber à terre un décret aussi nécessaire, sans fatiguer davantage le Saint-Siége. Je ne laissai pas de lui re

présenter de quel poids auroit été une bulle. Sa Sainteté me parut vraiment affligée de n'en avoir pas fait une : et après m'avoir dit que c'étoit principalement à certaine personne à l'en avertir, voulant sans doute parler du cardinal de Bouillon, elle m'ajouta, en riant, qu'elle avoit envie de s'en prendre à moi; qu'à la moindre instance que je lui eusse faite là-dessus, elle l'auroit donnée. A cela je pris la liberté de lui répondre que j'avois bien alors à penser à d'autres objets qu'à des formalités, sur lesquelles je ne croyois pas qu'il y eût la moindre difficulté; que je lui avouois que, dans ce moment critique, je ne m'occupois qu'à sauver l'essentiel, en représentant là-dessus à Sa Sainteté que je voyois attendrie par la cabale, ce qui convenoit à sa gloire, à celle du Saint-Siége, à l'état de la France, et aux intentions du plus grand roi du monde. Cependant je suppliai le Saint-Père de se souvenir que toujours je lui avois parlé de bulle, que lui-même m'avoit toujours donné à entendre qu'il ne comptoit pas faire autre chose. Quant au détail dans lequel je n'étois pas entré fort avant avec lui, je lui dis que je m'en étois expliqué très souvent avec le cardinal Albani, et que j'avois déclaré expressément qu'on demandoit une bulle, et nommément six jours avant la conclusion, que j'étois sûr que ce cardinal ne le nieroit pas. Sur quoi il me répliqua que je devois le lui dire à lui-même, et qu'il faut lui tout dire; qu'on ne seroit pas dans cette peine, si je lui avois parlé clairement là-dessus. Je lui témoignai en riant que je voulois bien prendre sur moi une partie de la faute, mais qu'il devoit aussi en bonne justice, en jeter l'autre partie sur ses ministres. Sa Sainteté me dit: Il faut m'excuser comme vous n'êtes pas obligé de savoir nos usages, je ne suis pas obligé de savoir ceux de France; mais je vous prie de croire qu'il n'y a eu aucune mauvaise intention de ma part. Il me paroît que les défauts de son bref le peinent, et qu'il auroit bien voulu trouver quelque expédient pour y remédier. Je crus qu'il étoit bon de le laisser dans cette disposition. Après quoi le Pape agréa que je lui lusse certains endroits de votre lettre, relatifs à la manière de recevoir le bref. Je passai l'article des défenses d'écrire, ayant bien connu, par l'attention qu'il avoit à vous louer, que M. le cardinal Spada lui en avoit rendu compte; et cela me suffisoit.

Je lui rapportai ensuite que les partisans de M. de Cambrai disoient qu'il sembloit que Rome eût peur du coup qu'elle avoit frappé, et craignoit M. de Cambrai comme un homme qui pouvoit exciter des partialités dans le royaume;

et qu'à présent la cour de Rome ne pensoit qu'à affoiblir ce qu'elle avoit fait. Sa Sainteté, sur cela, m'assura qu'elle n'avoit agi qu'après une mure délibération; qu'elle étoit bien résolue de soutenir son décret, et que rien ne seroit capable d'ébranler sa résolution. J'ai toujours cru qu'il étoit de la dernière importance d'appuyer sur ces articles, de piquer le Pape d'honneur aussi bien que cette cour, et de leur bien faire connoitre la foiblesse du parti de M. de Cambrai; et à cet égard on me croit plus que jamais, depuis qu'on a su la manière dont la cour, la ville, le roi, les évêques avoient reçu la condamnation des erreurs de M. de Cambrai.

Je lus à Sa Sainteté la lettre de M. de Cambrai à M. d'Arras, que vous m'avez envoyée. Elle remarqua fort bien l'expression de porter sa croix, et me dit qu'il pensoit sans doute mieux qu'il ne s'exprimoit. Je vis bien que lettre lui paroissoit sèche; et je ne pus m'empêcher de lui dire que je ne doutois pas que M.de Cambrai ne se servit des termes de soumission et d'obéissance dans les mandements qu'il faisoit pour son diocèse, et dans les lettres qu'il écrivoit ici; mais que je ne pouvois m'empêcher de craindre qu'il ne dit pas une parole qui tendît à avouer qu'il s'étoit trompé, et qu'il avoit enseigné des erreurs : ce qui me paroissoit être essentiel pour juger şi véritablement son esprit et son cœur étoient soumis, s'il étoit véritablement revenu de ses préventions et avoit abandonné ses sentiments. En un mot, j'observai qu'il falloit qu'il dit son Confiteor, s'il vouloit recevoir l'absolution. Sa Sainteté en convint; et je vois bien qu'on remarque tout ici, qu'on ne se laissera pas tromper par les soumissions apparentes que pourra faire M, de Cambrai : quod Deus omen avertat.

Je trouvai occasion de parler de M. le nonce et de l'obligation que la France et le Saint-Siége lui avoient. Je ne puis vous exprimer la joie que Sa Sainteté eut de ce que je lui dis là-dessus, et de quelle manière elle s'expliqua sur ce prélat. Cela passe tout ce que j'en puis dire. La conversation roula sur lui pendant un quart d'heure, et ce fut à qui en diroit plus de bieu.

J'avois vu, il y a quinze jours, Sa Sainteté si bien disposée et și pleine d'estime pour madame de Maintenon, que je crus ne lui pas déplaire de l'en entretenir de nouveau. Par la manière dont elle me parla de sa vertu et de son mérite, je jugeai bien que je lui avois fait plaisir. Elle me dit : C'est une dame que Dieu a réservée pour le bien de la religion et de la vraie piété. Le Pape est véritablement pénétré d'estime et d'affection pour elle. Comme je sais les impressions

« PrécédentContinuer »