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der quand il l'aura pour agréable. Ne craignez rien du côté de la cour.

Je vais à Meaux mercredi, pour revenir lundi prochain, être mardi à l'archevêché, pour préparer l'assemblée, et la tenir le lendemain. Tout sera fait en un jour.

Il ne faut plus disputer sur la nature et l'effet du bref. Celui contre le Missel de Voisin, donné par Alexandre VII, n'a jamais été porté au parlement, ni les lettres-patentes vues. On n'a eu, en France, aucun égard à ce bref; et l'on fut obligé, pour l'instruction des nouveaux catholiques, de répandre des milliers d'exemplaires de la messe en françois.

Je suis très content de la lettre que vous a écrite M. le prince de Monaco, et je souhaite qu'il arrive bientôt.

LETTRE CCCCLXXIV.

de l'abbé BOSSUET A SON oncle.

Sur la délibération de la dernière congrégation, touchant le changement du bref en bulle; les deux lettres de M. de Cambrai au Pape; et les démarches de l'abbé Bossuet au sujet du bref que le Saint-Père devoit adresser à ce prélat.

J'ai reçu la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire de Meaux, du 12 avril, par laquelle j'apprends votre incommodité. Quoique je voie bien que ce n'est presque rien, je suis très fâché du moindre petit mal que vous pouvez avoir; et je ne serai en repos que quand je saurai, comme je l'espère, par l'ordinaire prochain, que vous êtes entièrement guéri.

Vous avez su, par ma lettre du dernier courOn a envoyé la lettre de cachet à M. de Cambrai, comme aux autres métropolitains, en lerier, la congrégation des cardinaux, convoquée et tenue le lundi 27 avril, sur les affaires et les supposant soumis. Tâchez de désabuser le Pape conjonctures présentes. et ses ministres de l'opposition qu'ils ont pour les livres qu'on pourroit publier sur la matière. Ceux qu'on imprime par inondation pour l'erreur pervertissent tous les esprits, si l'on se tait. Malgré les décisions prononcées dans les différents temps contre les faux dogmes, les Pères ont bien senti les dangers que couroient les peuples: aussi n'ont-ils cessé de les prémunir, en parlant en faveur de la vérité contre l'er

reur.

bref en bulle, je sais que ce n'est point à présent Quoiqu'on veuille dire ici qu'on changera le l'intention du Pape ni des cardinaux. Si, dans la congrégation de lundi, le cardinal de Bouillon et le cardinal Ottoboni avoient été d'avis de ce changement, on l'auroit fait. Mais ils parlèrent, à ce qu'on m'a assuré, si fortement pour le bref, soutenant non seulement qu'il falloit à présent se donner bien de garde de faire une bulle, une au commencement; ils soutinrent, dis-je, si mais encore qu'on auroit eu tort d'en donner vivement leurs opérations, que le reste des car

dinaux s'accorda aisément à ne rien faire de

Il n'est pas vrai, comme on l'a dit, que j'aie fait supprimer un ouvrage composé contre le Probléme. Je vois bien ce qu'on veut dire. On a déguisé une vieille affaire de trois ans, et qui nouveau, pour ne pas préjudicier à l'autorité du n'étoit rien*. Si l'on savoit tout, on verroit que Pape, et afin qu'on ne puisse pas dire qu'on je sers l'Église dans les choses qu'on ne sait pas, consent ici que les bulles et les brefs ne soient pas plus que dans celles qu'on sait. Cela soit dit entre nous et pour nous seuls: retribuetur vobis reçus en France dans une certaine forme. Ils in resurrectione justorum. J'embrasse M. Phe-faire une bulle d'abord, et qu'il n'y auroit eu auconvinrent néanmoins qu'il auroit été mieux de lippeaux.

Soyez un peu attentif à ce qui se passe sur l'édition bénédictine de saint Augustin. Ayez soin de votre santé, et pensez au retour aussitôt après l'arrivée de M. l'ambassadeur. Vous avez bien raison de vous affliger : vous trouverez un grand vide dans la maison. Dieu est tout.

A Paris, ce 4 mai 1699.

*Bossuet a ici en vue son Avertissement sur le livre des Réflexions morales, dont il ne fit point usage dans le temps qu'il le composa. Voyez l'Avertissement mis en tête de la première classe des OEuvres ; ci-dessus, tom. 1. (Édit. de Vers.)

cune difficulté, si l'on y eût pensé.

nal Albani ont dit que c'étoit moi qui avois fait Je sais que le cardinal de Bouillon et le cardinaitre cette difficulté. Le Pape et les cardinaux savent bien ce qui en est, et ce que je leur ai toujours dit, dès le commencement, sur la forme du jugement. Ils voient bien à présent que j'avois raison de leur dire qu'en France on n'approuveroit ni le bref, ni le motu proprio, quoiqu'on pût être très-content de la substance du décret.

Quant à la congrégation qui s'est tenue sur ces objets, et sur les lettres du roi et de M. de Cambrai, je sais que c'est le Pape seul qui l'a voulue, et qui l'a fait convoquer; apparemment d'après les iettres de M. le nonce, qui lui aura témoigné

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que le changement du bref pourroit faire plaisir, cela à part, comme si le Pape n'y avait pas fait

assez d'attention, et que ce qu'il avance fût une chose incontestable; præterita omnia mitto loqui. En vérité, peut-on rien de moins humble et de plus hardi que de pareilles expressions dans la bouche d'un homme qui parle ainsi à son juge aussitôt après sa condamnation? On

au roi, qui pourtant ne le vouloit pas demander. On lut dans la congrégation sa lettre. Pour moi, loin de faire jamais instance làdessus, ni au Pape, ni aux cardinaux, je leur ai toujours déclaré que les évêques ne demandoient rien de plus, et qu'on ne songeoit qu'à suppléer au défaut de formalité, sans rien desirer davan-voit bien par-là ce qu'on doit penser de sa soutage. Je l'avois déclaré la veille au Pape d'une manière très précise et très forte, comme je vous l'ai mandé plus amplement dans ma dernière lettre.

Mais tout cela n'est rien. Le point essentiel est la démarche que les partisans de M. de Cambrai veulent faire faire au Pape en faveur du coupable, qu'on voudroit qui fût traité comme innocent.

Je vous ai déja mandé qu'on lut, dans la même congrégation, et la lettre du roi au Pape, du 6 avril, en remercîment, dont on fut très content, et la lettre de M. de Cambrai qui commence par Audila B. V. de meo libello sententia, etc., dont je vous envoie copie, en cas que M. le nonce ne vous l'ait pas communiquée. On la lut, et les partisans de M. de Cambrai l'applaudirent si fort, et dirent si hautement qu'elle méritoit une réponse honorable, que personne ne voulut s'y opposer. Ils m'ont presque tous assuré depuis qu'on ne fit pas toutes les réflexions nécessaires. La soumission sans restriction dont elle fait parade, le respect pour le Saint-Siége qu'elle étale, leur firent impression, et par-dessus tout les instances de M. le cardinal de Bouillon les entraînèrent.

Je ne sus que le mercredi qu'on préparoit un bref qui devoit être adressé à M. de Cambrai. Je me doutai du piége qu'on tendoit je fis si bien que j'eus copie de la lettre en question. Je vous avoue qu'au lieu d'en être édifié, j'en fus scandalisé au dernier point. Il ne me fut pas difficile d'en découvrir tout l'orgueil et tout le venin, et il me semble qu'il n'y a qu'à lire sans passion pour en être indigné. Bien loin d'y trouver M. de Cambrai humilié, repentant, et consolé de sortir enfin de ses ténèbres, pour découvrir la lumière, on y voit un homme outré de douleur, qui en fait gloire, qui se donne pour innocent, Jam non commemoro innocentiam; qui a la hardiesse de nommer probra (des outrages), les justes et nécessaires procédés des évêques, qui n'ont été que trop justifiés par la condamnation du Saint-Siége; qui enfin ose parler de ses explications, comme si elles mettoient sa doctrine à couvert, au lieu qu'on a jugé tout le contraire, tolque explicationes ad purgandam doctrinam scriptas. Il laisse, dit-il,

mission, qu'il n'est plus permis de croire sincère, et qui ne peut être que forcée : voilà franchement ce que j'en pense.

Comme je sus en même temps qu'on préparoit un bref très honorable pour M. de Cambrai avec une diligence incroyable, sans même vouloir attendre son mandement, je crus devoir faire faire à Sa Sainteté et aux principaux cardinaux toutes les réflexions nécessaires sur cette démarche, et leur en montrer les dangereuses conséquences. J'ai tâché de leur faire sentir combien il importoit de ne laisser rien sortir d'ici, dont M. de Cambrai pût se prévaloir. Je l'ai fait avec douceur, prenant occasion de leur parler, en leur rendant compte de ce qui se passe, et leur suggérant les réflexions qu'ils n'ont pas faites, ou qu'ils n'ont pas voulu faire, que je leur ai insinué qu'on ne manqueroit pas de faire en France; ajoutant que je craignois que cette superbe lettre n'achevât de perdre M. de Cambrai en France, quand elle y seroit vue.

Le petit bruit que j'ai cru devoir faire làdessus et mes remontrances ont produit leur effet. Le bref qui étoit préparé et minuté a été arrêté au moins jusqu'ici. Il s'est trouvé heureusement que, depuis six jours, M. le cardinal de Bouillon étoit allé en campagne, à trente milles d'ici, d'où il ne revint qu'hier. Pendant ce temps, le mandement de M. de Cambrai est arrivé. Il l'a fait porter au Pape par M. de Chanterac, avec une nouvelle lettre. Ce mandement est imprimé en latin et en françois je vous envoie le latin.

D'abord M. Gozzadini avoit été chargé par le Pape de dresser le bref. Le cardinal Albani en a été jaloux, et a travaillé à avoir cette commission, dans le dessein apparemment de se rendre maître de la tournure, et de servir M. de Cambrai. J'ai su tout le détail de ce qui s'est passé. là-dessus par Gozzadini lui-même, qui a été piqué de se voir éconduit, et qui m'a tout dit.

Je ne sais si le cardinal Albani n'a pas été content de la manière dont le bref étoit disposé, et ne l'a pas trouvé assez favorable. Quoi qu'il en soit, Gozzadini m'a dit qu'il voyoit bien des détours et de la politique dans cette manœuvre. J'ai su par lui qu'il y avoit une seconde lettre de

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M. de Cambrai, qui accompagnoit le mande-, ne tirât point à conséquence, et que, sans faire ment, et plus entortillée que la première. Il l'a paroître trop de mécontentement, on pouvoit eue entre les mains, et m'a déclaré avoir tout avec dignité lui montrer ce qui restoit à faire remis au cardinal Albani. Il ne m'a pas été pos- pour édifier l'Église, et consoler le père comsible de voir cette seconde lettre, ni de savoir mun des fidèles. ce qu'elle contient. Néanmoins elle existe sûrement, et le cardinal Albani n'a pas osé me la nier. Le Pape m'a avoué qu'il l'avait reçue. Je vois avec cela qu'on en fait un grand mystère. Aucun autre que le cardinal Albani ne l'a vue, excepté Gozzadini, par les mains de qui elle a d'abord passé. Les cardinaux, à qui j'en ai touché quelque chose, m'ont tous dit qu'ils n'en avoient pas entendu parler. Il n'est pas jusqu'au cardinal Spada, qui m'a juré ce matin n'en savoir rien. Mais je l'ai bien assuré de l'existence de cette lettre, et lui ai dit de plus qu'elle étoit entre les mains du cardinal Albani. Le mystère qu'on en fait m'est non seulement très suspect, mais je tiens pour certain, par ce que m'a dit Gozzadini, qu'elle est tournée de manière à embarrasser même le cardinal Albani. Je me doute qu'on y demande quelque nouvelle explication, et qu'on y parle peut-être avec plus de hauteur que dans la première.

Je présume encore que les partisans de M. de Cambrai ont dessein de faire supprimer cette seconde lettre, et d'empêcher qu'il n'en soit question dans la réponse qu'on lui fera.

Je ne vous dis pas toutes les réflexions que j'ai fait faire aux cardinaux là-dessus, en particulier au cardinal Albani. Je n'ai rien oublié; et s'ils pèchent à présent, ce ne sera pas par ignorance. Il est fâcheux que la congrégation ait d'abord consenti à une réponse; mais ils avouent presque tous qu'ils n'ont pas fait assez d'attention aux expressions de la lettre; et je vois que si la réponse passe par leurs mains, les bons cardinaux sont résolus de ne laisser rien insérer que de juste et d'honorable au Saint-Siége.

J'ai cru devoir faire connoître au cardinal Albani que tout retomberoit sur lui, si l'on faisoit quelque chose de mal; et qu'au moins, pour qu'il pût se disculper, il falloit que le tout fût de nouveau examiné par MM. les cardinaux. Il est convenu que cela devoit être, et m'a assuré que cela seroit aussi. Comme il étoit question d'arrêter le coup, je lui ai fait sentir que rien ne pressoit pour faire une réponse. Je lui ai même insinué, comme aux autres cardinaux, qu'il n'y avoit pas de nécessité de répondre à M. de Cambrai par un bref, et qu'on avoit mille autres moyens de lui faire savoir qu'on recevoit sa soumission, telle qu'il la donnoit; que M. le nonce était suffisant pour cela, et qu'enfin, si l'on vouloit écrire, on le devoit faire d'une manière qui

Je vois manifestement que le but du cardinal Albani, et celui du cardinal de Bouillon (car l'un et l'autre me l'ont fait assez connoître), est de faire insinuer, dans la réponse à M. de Cambrai, qu'on n'a pas prétendu condamner ses intentions, ni toucher à ses explications et au sens de l'auteur. C'est là-dessus que j'ai parlé fortement, en montrant l'illusion de cette conduite. Ces deux Eminences ont été obligées de convenir avec moi, au moins de paroles, qu'on avoit condamné le sens du livre et des propositions, non seulement à certains égards, mais sur tous les points de vue, puisqu'on avoit ajouté et attentá sententiarum connexione. J'ai conclu qu'il me paroissoit, après cela, ridicule de dire que le sens du livre n'étoit pas le sens de l'auteur, et d'un auteur qui avoit su, autant que personne, ce qu'il vouloit dire, assurément bien capable d'expliquer nettement ses pensées, et qui avouoit aussi que le sens obvius et naturalis étoit le sens unique de son livre.

Ils n'ont eu rien à répondre à cette démonstration, et tous les autres cardinaux m'ont avoué que ces raisons étoient péremptoires. Cependant, telle est l'intention des cardinaux Albani et Bouillon; et hier encore, le cardinal de Bouillon me dit clairement que le Pape, en condamnant le livre de M. de Cambrai, n'avoit pas prétendu condamner le sens de l'auteur, ni ses explications; et par-là il prétendoit excuser l'article de sa lettre au Pape, qui relève son innocence, et sauver ses explications. Voyez un peu où l'on en seroit, si on entroit dans de pareilles idées. Il est pourtant très à craindre qu'on n'arrache ici quelque chose qui les favorise. Je ferai tout de mon mieux, tant que j'y serai, pour l'empêcher; mais je suis bien éloigné de répondre que je réussirai, quoique je n'oublie rien à cet effet. Malheureusement je trouve toujours de certains pas faits, qui rendent le succès des démarches d'une difficulté incroyable.

L'esprit du Pape et de cette cour est généralement de recevoir, pour argent comptant, tout ce que fera M. de Cambrai, et de lui montrer une grande douceur. Ils disent, che bisogna serrar gli occhi, ed abbracciarlo. Je fis rire le Pape, quand je lui répondis qu'il falloit donc si bien l'embrasser, et si bien le serrer, qu'il ne pût échapper, et qu'on fit, si l'on pouvoit, crever l'apostume qu'il conservoit dans le cœur ; que c'étoit le sca' moyen de le guérir. Le Pape

est convenu avec moi qu'il voyoit très bien qu'il n'étoit pas persuadé d'avoir erré. Le cardinal Albani m'a parlé de même, et je puis dire que tous les cardinaux pensent ainsi. Néanmoins j'aperçois une envie extrême de le bien traiter. Le Pape s'imagine qu'après l'avoir bien ménagé, son esprit s'apaisera, et que tout sera fini; ce qu'il souhaite fort. Mais la chose n'est pas aussi facile qu'il le pense, surtout tant qu'on paroîtra appréhender M. de Cambrai.

Je vis le Pape dimanche, et lui parlai de mon mieux, et avec toute la modération possible: je ne manquai néanmoins pas de lui faire connoître tout ce qu'il devoit savoir. Il ne me parut pas plus content qu'il ne faut de M. de Cambrai; avec cela je sentis qu'il étoit porté à lui tout passer. Je vois bien qu'il est très pressé par la cabale.

Sa Sainteté, en mon particulier, me donna de si grandes marques de bonté, et du contentement qu'elle avoit de ma conduite, qu'elle voulut bien me dire, en propres termes, qu'elle se croyoit dans l'obligation de le faire témoigner au roi par M. le nonce; et il ne sera pas impossible qu'elle ne le fasse dès cet ordinaire. J'avoue que j'en suis pénétré de reconnoissance. Le Saint-Père me parla avec tant de confiance, sur une infinité de choses, que je crus pouvoir m'informer de lui-même de la vérité d'un bruit qui court, depuis quelques jours, dans Rome, que Sa Sainteté veut rappeler M. le nonce de France. Ses amis en ont été en peine, et on m'a prié de sonder le Pape là-dessus ; ce que je fis le plus heureusement du monde et le plus naturellement. Le Pape me parla à cœur ouvert, et m'avoua franchement que son absence de son évêché lui faisoit de la peine. Il me dit que, pour cette raison, il rappeloit le nonce d'Espagne, qu'il vient de nommer à l'archevêché de Milan. Je tâchai de lui faire comprendre que, dans certaines occasions, il falloit préférer le bien général à un bien particulier; qu'on pouvoit suppléer la personne d'un évêque dans un diocèse; mais qu'un nonce aussi agréable à la France et au roi que M. Delfini, qui maintenoit si bien l'union entre les deux puissances, étoit vi nécessaire à l'Église, qu'on pouvoit dire que ee bien général devoit l'emporter sur le bien particulier de le rendre à son diocèse. Je lui rapportai l'exemple de M. le cardinal de Janson. Je vis bien que ces réflexions lui faisoient impression, et il me dit que cela ne seroit pas pour le moment; mais néanmoins je compris parfaitement qu'on ne doit pas être sans appréhension là-dessus. J'ai cru être obligé d'avertir M. le cardinal de Bouillon des dispositions du

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Pape sur ce sujet, sachant l'estime que le roi et les évêques font de M. le nonce. J'en ai aussi averti un ami de M. le nonce, et vous pouvez lui en témoigner ce que vous jugerez à propos. Il m'a paru que M. le cardinal de Bouillon étoit bien disposé en sa faveur.

Il n'y a pas lieu, selon moi, de douter que la conduite de M. de Cambrai et ses lettres ne lui soient inspirées par le cardinal de Bouillon et ses adhérents, pour brouiller de nouveau. Voyez la finesse de la cabale: on publie en France le mandement de M. de Cambrai, qui, quoique sec et sans repentir, ne laisse pas de pouvoir passer, parcequ'il y condamne son livre dans la même forme que le bref; et en même temps il écrit ici des lettres qui renferment tout le venin de son esprit et de son cœur, et on fait les derniers efforts pour lui procurer de Rome une approbation et une réponse honorable. Je suis bien sûr que, quand ces lettres paroîtront en France, elles n'y plairont pas, et gâteront tout ce qu'il a pu faire, dont on se contentoit, quelque médiocre qu'il soit. On voit bien qu'il a été forcé de se soumettre, de peur d'être excommunié par le Pape, et d'être enfermé par l'autorité royale, comme un hérétique et un perturbateur du repos public.

Je vous envoie un billet de M. Giori, qui est bien scandalisé de tout ceci, et qui parle clair. On ne peut exalter davantage la lettre de M. de Cambrai, que l'a exaltée publiquement ici M. le cardinal de Bouillon. Il fut tout étonné du commentaire que j'en fis à lui-même tête à tête. La conversation fut douce; mais je ne lui laissai rien ignorer sur les dispositions de la France, et sur le tort que M. de Cambrai se feroit immanquablement par de telles lettres, et sur le préjudice que l'on causeroit au SaintSiége, si l'on faisoit, en faveur de ce prélat, quelque chose qui pût lui donner occasion de remuer. Il souffroit un peu, mais j'allai toujours mon chemin. Je me plaignis de même du bref et du motu proprio, lui marquant tous les défauts du décret. Alors il fut un peu plus vif, et me dit très naturellement que j'étois mal informé, et qu'il falloit un bref et non une bulle. Je ne laissai pas de lui montrer le contraire, par bien des exemples; sur quoi il ne me parut pas fort au fait. A l'égard du motu proprio, il me dit à la lettre des pauvretés, et demeura muet à mes raisons. Au surplus, nous sortîmes les meilleurs amis du monde.

Le cardinal Casanate, qui n'avoit pas voulu s'opposer seul au torrent, dans la dernière congrégation, au sujet de la réponse à M. de Cambrai, a été persuadé par mes raisons: et si l'on

remet l'affaire sur le tapis, j'espère qu'il fera | patience: je ne donnerai aucune de mes lettres son devoir.

Le cardinal Marescotti n'assista pas à la congrégation. Je l'ai vu : il ne me paroit pas être d'avis qu'on fasse un bref approbatif. Il comprend fort bien l'orgueil et la hardiesse du coupable.

Le cardinal Nerli n'a pas assisté à la congrégation, non plus que le cardinal Ottoboni.

Je dois vous dire, devant Dieu et en conscience, que si l'on ne trouve pas le moyen de retirer de Rome le cardinal de Bouillon, et bientôt, l'Église en souffrira beaucoup; car ce cardinal empêche tout le bien et soutient tout le mal. Je le dis sans passion: il est incorrigible.

On n'a pas voulu accorder à M. Phelippeaux la grace qu'il demandoit pour le bénéfice que vous desiriez lui procurer. Il est ici presque impossible de faire passer un bénéfice régulier en commende; pour la continuation d'une commende, cela est plus aisé.

On dit ici, et le père Roslet me l'a assuré, que le parlement ne recevroit jamais le bref. Cela n'a rien de commun avec l'acceptation des évêques. Je ne puis m'empêcher d'approuver la conduite du parlement, si l'on ne trouve point d'exemple de bref motu proprio qu'il ait reçu. Mais cette difficulté peut ne pas arrêter les évêques. Je ne puis m'empêcher de dire que l'on leur fournit une belle occasion de montrer leur autorité. Ne pourroient-ils pas, dans leurs délibérations, proscrire avec le livre tous les écrits faits pour le justifier? Le roi peut et doit, ce me semble, les défendre comme le livre; et les évêques, se fondant sur la décision du Pape, sont en droit de les déclarer contenir une doctrine mauvaise et dangereuse, par cela seul qu'ils sont faits pour soutenir un livre pernicieux, etc. On trouvera ici très bon tout ce qu'on fera là-dessus: au moins ne le pourra-t-on blâmer; et il me paroit absolument nécessaire, dans les circonstances présentes, de prendre ce parti.

Pour les mandements, les évêques les feront dans leurs diocèses comme ils les jugeront convenables. Ils feront bien, et seront ici très approuvés, d'y combattre la fausse spiritualité, et d'y donner des règles sur les mystiques, qui en empêchent l'abus.

On m'a assuré que les jésuites, et en particulier un certain père Semeri, François, ne se tiennent pas pour bien battus sur le livre de M. de Cambrai, auquel ils veulent donner un

bon sens.

J'attends M. de Monaco avec la dernière im

sur mon indult, qu'il ne soit venu, à moins que je ne voie qu'il retarde trop. Pour la lettre à M. le cardinal de Bouillon, je n'ai garde de la lui donner. Je dois être comme assuré qu'il me traverseroit de tout son pouvoir; et ce ne sera pas lui qui me fera réussir ni auprès du Pape, ni auprès du cardinal Panciatici, de qui tout dépend. Son entremise, au contraire, seroit le vrai moyen de me faire refuser la grace que je sollicite. Il n'y auroit que le cas où le roi lui ordonneroit d'en parler au Pape, où il pourroit ne pas me nuire; mais je souhaiterois fort que les ordres pussent s'adresser à l'ambassadeur, qu'on attend incessamment.

L'affaire de MM. des Missions contre les jésuites, sur les idolâtries chinoises, est enclouée. Le cardinal Casanate a cédé au cardinal Noris et au cardinal Ferrari, qui ne cherchent qu'à allonger. Ils ont donné à l'affaire un tour qui doit occasionner des longueurs infinies. Plus je fais réflexion sur ce que je vois, plus je trouve que c'est une espèce de miracle que la condamnation de M. de Cambrai. On m'a dit que M. le cardinal de Bouillon avoit déclaré qu'il ne comprenoit pas comment elle s'étoit consommée.

Il y a un plaisant article, dans la Gazette de Rotterdam, contre les deux cardinaux *, partisans de M. de Cambrai. Celle de La Haie est toujours favorable à M. de Cambrai. Le gazetier entretient ici correspondance avec le père Charonnier, et avec Certes, valet de chambre du cardinal de Bouillon. Le pauvre M. de Madot n'est pas bien à la cour de M. le cardinal de Bouillon.

Il est de conséquence que vous communiquiez ma lettre à M. de Paris, et, je pense, à madame de Maintenon. Je dis toujours tout ce que je sais au père Roslet, qui en rend compte à M. de Paris; mais il est bon qu'il le sache encore par moi-même.

Rome, ce 5 mai 1699.

LETTRE CCCCLXXV.

Du P. Cloche, général des DOMINICAINS,

A BOSSUET.

Sur les services qu'il avoit rendus à la vérité dans l'affaire de M. de Cambrai, et sur un écrit contre saint Augustin et saint Thomas.

J'ai une extrême consolation que les religieux de mon ordre, dans une affaire aussi importante que celle qu'a occasionné l'examen du livre de

* Le cardinal de Bouillon et le cardinal Albani.

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