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Ulysse semblent déchaînés pour ramener l'hiver et pour troubler l'océan. Il faut espérer que ce mauvais temps sera fini avant que le prince d'Orange puisse être prêt. On dit qu'il y a en Angleterre beaucoup de gens qui seront ravis de se défaire de lui. Pour vous, monseigneur, nous courons risque de n'avoir pas si tôt l'honneur de vous voir, car le pauvre Versailles ne vous sera plus rien en l'absence du roi ce sera une raison ajoutée à tant d'autres pour souhaiter son prompt retour. M. l'abbé de Maulevrier assure que M. l'abbé Bossuet se porte bien, et travaille à ses affaires; n'en soyez pas en peine.

A Versailles, ce 4 mai 1692.

LETTRE XXIX. DU MÊME.

Sur les changements que Bossuet desiroit faire dans certains usages de l'abbaye de Jouarre.

J'ai reçu, monseigneur, la réponse de madame de Soubise* : elle me mande qu'elle me fera une réponse précise après que madame sa fille aura vu ma lettre. J'ai oublié de vous dire qu'elle vouloit fort deux ans au lieu d'un; et je ne doute pas qu'elle ne le demande plus que jamais, si elle vous donne une sûreté par écrit. C'est à vous, monseigneur, à examiner si vous pourriez user de cette condescendance, ayant cette sûreté par écrit. Réponse précise, s'il vous plaît, là-dessus.

Il me paroît qu'elle voudroit fort, avant que de conclure sur les fèves, savoir quelle sera la fin de votre visite commencée à Jouarre. Elle craint que vous n'ayez d'autres choses à demander, qui tirent à conséquence contre madame l'abbesse: elle me presse de vous demander instamment que vous vous déclariez làdessus, afin qu'elle sache à quoi s'en tenir pour le tout, et qu'on ne soit pas à recommencer sur d'autres articles, après avoir passé celui des fèves. Examinez donc, s'il vous plaît, monseigneur,

Cette lettre regarde l'établissement du scrutin dans l'abbaye de Jouarre, pour toutes les délibérations capitulaires, et principalement pour les réceptions des filles. Madame de Soubise, craignant que cette voie secrète ne diminuât l'autorité de madame l'abbesse de Jouarre sa fille, chercha tous les moyens de l'empêcher, et employa tous les amis de M. l'évêque de Meaux "pour tirer cette affaire en longueur, en la mettant en négociation. Voilà pourquoi M. l'abbé de Fénelon en entendit parler. Mais cela n'empêcha aucunement le dessein de M. l'évêque de Meaux, et le scrutin fut établi à Jouarre sans aucune opposition, en l'année 1695, au mois de janvier, à la réception de madame de Soubise, sœur de madame l'abbesse. Note de l'abbé Ledieu, secrétaire de Bossuet. Voyez la lettre de Bossuet à l'abbesse de Jouarre. (Édit. de Vers.)

si vous pouvez vous expliquer sur toutes les choses que vous croyez avoir à régler pour faire la clôture de votre visite, et pour être content de la discipline entière de la maison. Cet article demande, aussi bien que l'autre, une réponse prompte et décisive en tout cela je ne veux que vous témoigner mon zèle et mon respect, etc.

A Versailles, ce 16 décembre 1694.

LETTRE XXX.

DE M. GERBAIS, docteur de sorbonne *.
Il le sollicite en faveur de M. Dupin.

Je vous cherchai deux fois la semaine dernière à Paris, mais sans avoir le bonheur de vous rencontrer: c'étoit, monseigneur, pour pouvoir vous entretenir au sujet de M. Dupin notre confrère, qui est désolé d'avoir eu le malheur de vous déplaire en ce qu'il a écrit du sentiment ou plutôt des manières de parler de certains Pères des premiers siècles, sur la matière du péché originel. Il prétendoit, monseiavoir gneur, en faisant la critique de ces Pères, suffisamment mis à couvert le dogme, ayant dit que c'étoit cependant le sentiment et la doctrine commune de l'Église, que les enfants naissoient coupables. Mais si vous jugez que cela ne suffise pas, et qu'on puisse faire un mauvais usage de ses critiques, nonobstant cette précaution, il se soumet à réparer et à réformer ce qui pourroit être pris contre ses intentions, et à donner des éclaircissements dont vous serez vous-même l'arbitre.

Il m'a prié, monseigneur, de vous faire connoître sa disposition; et je le fais d'autant plus volontiers, que je suis persuadé qu'il est bon de calmer cette petite tempête, pour ne pas donner occasion à nos frères errants de dire que les habiles gens parmi les catholiques ne sont pas d'accord sur le péché originel. D'ailleurs M. Dupin, qui consacre sa vie au travail, et qui peut être utile à l'Église, mérite bien d'être un peu ménagé; et ce seroit dommage de le flétrir ou de le barrer dans sa course, montrant surtout tant de docilité. J'espère, monseigneur, que vous y aurez quelque égard; et que si le zèle que vous avez pour la vérité est

en

Jean Gerbais, docteur de Sorbonne, professeur d'éloquence au collège royal, et principal du collège de Reims, étoit un savant distingué. Il a publié plusieurs ouvrages sur les matières ecclésiastiques. Celui qui a pour titre : De Causis Majoribus, fut condamné à Rome en 1680. Il mourut en 1699, âgé de soixante-dix ans. (Edil. de Vers.)

grand, votre charité ne sera pas moindre. Si | propres termes ce que porteroit ma lettre. Je lui tiens parole sur tous ces deux chefs.

vous ne rejetez pas tout-à-fait la proposition que je vous fais, nous aurons l'honneur, M. Dupin et moi, de vous voir au premier voyage que vous ferez à Paris, pour prendre les mesures que vous jugerez les plus convenables, et recevoir vos ordres, que j'exécuterai, en ce qui sera de moi, avec une fidélité parfaite, comme je suis avec un respect très parfait, etc.

GERBAIS, docteur de Sorbonne.

A Paris, ce 18 mars 1691.

LETTRE XXXI.

DE M. PIROT, DOCTEUR De sorbonne. Sur un ecclésiastique proposé pour une cure du diocèse de Meaux; et sur M. Dupin.

J'ai examiné, comme vous l'aviez souhaité, J'ai examiné, comme vous l'aviez souhaité, l'homme que madame la chancelière vous a recommandé pour une cure. Il me fut amené lundi par un ecclésiastique qui demeure chez elle. Je l'interrogeai en sa présence, pour le faire luimême juge du témoignage que j'en pourrois rendre, comme je savois qu'il étoit capable d'en juger cela fut de cinq quarts d'heure sans interruption; et je me trouve très embarrassé pour vous dire décisivement ce que j'en pense. Je ne le tins si long-temps que pour le promener sur bien des matières, et voir si je trouverois à lui faire plaisir en sauvant le bien de l'Église qu'on lui veut confier, et mettant par-là ma

conscience à couvert sur la commission. Je ne

lui demandai dù dogme qu'autant qu'il en faut pour catéchiser, et ne lui proposai sur les sacrements et les autres usages de pratique que des questions générales pour des cas qui peuvent à tout moment se présenter à un curé. Il me répondit mal sur quelques unes, et fort médiocrement sur les autres. Je fis ce que je pus pour le disposer à passer encore quelques mois dans saint Nicolas où il est, quoique peut-être il n'en devint pas beaucoup plus habile; ne paroissant point avoir sur cela grande ouverture. Je dis à M. Lempereur, qui est l'ecclésiastique de madame la chancelière, qui me l'amena, l'embarras où j'étois, et que j'aurois l'honneur de vous voir: ou, si vous partiez trop tôt pour cela, de vous écrire naïvement comme cela s'étoit passé, sans rien déterminer. Il m'est revenu voir ce

matin, et m'a pressé encore de vous rendre compte. Je lui ai encore témoigné ma peine sur cela, et lui ai promis d'avoir l'honneur de vous écrire dès aujourd'hui ; et je lui ai même dit en

Je crois que vous devez essayer de faire agréer à madame la chancelière que ce bon prêtre, dont on dit beaucoup de bien pour la probité et pour l'application à ses fonctions, continue à servir l'Église en second en quelque vicariat; puisqu'on ne manque pas de sujets pour remplir le poste dont il s'agit, quoiqu'on le dise d'un revenu fort mince. C'est une dame d'une si éminente piété, et si équitable en toutes choses, que j'espère qu'elle déférera en cela à vos prières. Si, prévenue de la capacité de l'homme, elle persiste; comme vous ne choisissez pas, et que vous n'êtes pas obligé de chercher le plus digne, mais d'examiner si celui qu'on vous offre est indigne ou non, je crois qu'après avoir inutilement fait tout ce que vous aurez pu pour faire qu'on vous en nomme un autre; à considérer que la paroisse est petite, qu'elle est très voisine de Jully, qui peut bien être une décharge en quelques occasions pour le curé, que l'homme est connu dans le lieu, qu'il a vicarié dans le quartier approuvé de vous, qu'il catéchise, qu'il n'est pas tout-à-fait ignorant; puisque comme il dit qu'il le fait même à saint Nicolas, après tout, indépendamment de toute recommandation, je ne voudrois pas prononcer absolument qu'il fût incapable de tenir ce bénéfice, et me contenterois de le remettre encore à quatre ou cinq mois de séminaire, après quoi on le pourroit encore interroger: tout cela pesé, je crois que vous pouvez (avec la précaution que j'ai marquée, de faire trouver bon à madame la chancelière que pour le mieux il serve en qualité de vicaire en quelque paroisse de votre diocèse, et qu'elle vous nomme un autre curé), si elle n'entre pas en cette proposition, le recevoir, sans engager votre conscience, curé dans cette petite cure, et lui donner votre visa. Voilà donnez de vous le dire. J'ai dit que j'aurois comme j'en userois, monseigneur, si vous m'orl'honneur de vous écrire en ce sens, pour ne pas

tromper.

Je n'ai rien oui dire sur le Mémoire * que vous avez donné; peut-être est-il passé des mains du seigneur à l'auteur: il faut laisser tout venir sur cela. Je ne puis croire qu'on néglige l'avis: mais je suis surpris que celui qui y est le premier intéressé ne me soit pas venu chercher, depuis le premier du mois que je lui fis voir le grand intérêt qu'il avoit de prévenir sur cela ce qui pourroit arriver, et de satisfaire l'Église; et qu'il me promit de sa part qu'il en

* Le Mémoire sur M. Dupin, remis à M. le chancelier.

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entrer, et lui parla bien, avec douceur et avec force: il lui témoigna les démarches qu'avoit faites feu M. le nonce à ce sujet, le scandale qu'il avoit eu lui-même de la manière dont il parle du culte des images, et ce qu'il avoit appris d'un Mémoire qu'avoit fait M. de Meaux. Mais il étoit bien hors d'état de lui dire que vous le lui eussiez fait donner: il ne l'a point vu, et il n'en sait rien que par moi, qui ne le connois que par ce que vous m'avez fait l'honneur de m'en dire. Il lui dit qu'il ne le vouloit pas pousser; mais qu'il falloit satisfaire la religion, et pour cela mettre la chose entre trois ou quatre docteurs qui ne lui seroient point suspects, mais qui ne seroient pas aussi de ses approbateurs. Il voulut bien dire qu'il y penseroit, qu'il les choisiroit en m'en donnant avis, et qu'il m'en mettroit.

M. Dupin parut docile, et promit de faire tout ce qu'on souhaiteroit. Il me pria, en sortant, de faire que M. Gerbais en fût. J'en parlai sur l'heure à M. l'archevêque, qui n'y entra pas : je ne sais s'il sera plus à son goût; car il a pris quelque temps pour choisir des examinateurs. Il lui faut donner quelques jours avant

mercredi apporter ses livres. Je n'ai rien reçu de la part de monseigneur le chancelier. Je ne sais à quoi il tient; à moins qu'il n'ait donné le Mémoire à quelqu'un, pour lui en rendre compte avant qu'il me vienne. Je croyois que M. Dupin

Comme j'étois sur le point de vous rendre compte de ce que j'ai fait sur l'affaire de M. Dupin, je reçois la lettre que vous me fites l'honneur de m'écrire hier, où vous me marquez avoir eu quelque avis que monseigneur l'archevêque avoit mandé M. Dupin, et qu'il lui avoit dit que vous lui aviez mis en main un Mémoire. Il n'y a dans la nouvelle que vous en avez ap-que de revenir à la charge. M. Dupin me fit prise qu'une partie de vraie; et il faut vous en faire un petit détail. Sur votre première lettre, je vis M. l'archevêque, comme nous en étions convenus je lui lus, par le mème ordre que vous m'aviez donné, votre lettre faite pour cela; et il en fut très content pour ce qui l'y regar-l'eut eu, et il me sembloit que vous lui aviez dit doit. Ce fut lundi dernier que cela se passa que vous le vouliez bien; mais je vois qu'il ne je n'avois pu avoir audience de lui plus tôt; illa pas eu. Je n'ai, non plus que vous, nulle noufut un peu indisposé la semaine dernière. Il me velle de madame la chancelière; et cela marque dit qu'il avoit été lui-même frappé de ce que cet apparemment qu'elle ne pense plus à la cure auteur avoit dit sur les images; et que M. le pour l'homme qu'elle présentoit. N'imputez, je nonce, avant sa mort, étoit venu à l'archevêché vous supplie, monseigneur, le retardement de lui faire des plaintes de ses livres. Il m'ordonna ma lettre à aucune raison de précaution: il n'y de le lui amener le lendemain à neuf heures. en a aucune à votre égard. Je sais comme vous J'écrivis un billet à M. Dupin sur l'heure, et il usez de tout: mais j'attendois si ce Mémoire me me joignit à l'issue de ma leçon. Nous eûmes viendroit de la chancellerie. Je suis avec un un entretien assez long sur tous les chefs de profond respect, etc. votre lettre, où il y a une petite liste des chapitres d'erreur. J'avois son livre à la main, et je parcourus avec lui tous les endroits, lui marquant ce qui m'y paroissoit d'outré. Il comprit assez que je ne lui parlois que pour le servir, que pour chercher avec lui quelque biais de sauver son honneur autant qu'on pourroit, en trouvant à mettre à couvert la foi de l'Église, et levant tout ce qui pourroit faire quelque peine au public, qui pourroit en être offensé.

et

Il me vint prendre le lendemain: je vis un moment M. l'archevêque avant qu'il fût appelé, et je l'instruisis de notre conversation. Il le fit

En Sorbonne, ce 24 mars 1692.

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LETTRE XXXIII.

DE M. GERBAIS, DOCTEUR DE SORBonne.
Sur les dispositions de M. Dupin.

Voici une lettre de M. Dupin, qu'il m'a prié d'accompagner d'une des miennes. Il a différé à vous écrire, parcequ'il espéroit qu'on lui communiqueroit le Mémoire, qui a été mis entre les mains de M. l'archevêque, et qu'il pourroit,

après l'avoir lu, s'expliquer plus précisément. | fait témoigner que vous le souhaitiez, je me Mais comme non seulement on ne lui a pas contentai de le dire à des personnes qui m'en parcommuniqué ce mémoire, mais qu'on ne lui a lèrent de votre part, par lesquelles je croyois même rien fait dire ni savoir depuis qu'il fut que vous apprendriez la disposition où j'étois. mandé chez M. l'archevêque, il a cru ne pouvoir Ayant bien compris, par la suite, qu'on n'en être plus long-temps sans vous marquer ses senti- avoit point informé Votre Grandeur, j'ai pris la ments et sa disposition, de laquelle je suis per- liberté de vous en faire écrire par M. Gerbais, suadé que vous serez content. Si M. l'arche- qui m'a fait la grace de me montrer votre révêque n'étoit pas saisi de l'affaire, je suis sûr que ponse, par laquelle j'ai reconnu avec joie que nous l'aurions terminée chez vous en moins d'une vous aviez encore quelque bonté pour moi. Ję matinée, et cela sans bruit et sans éclat. M. le vous prie, monseigneur, de me là vouloir conchancelier, à qui je rendis compte, il y a quel- tinuer, et d'être persuadé que j'aurai toujours ques jours, d'une commission dont il m'avoit pour vous tout le respect et la soumission que chargé, m'avoit promis de m'envoyer le mé-je vous dois, étant avec un profond respect, moire que vous lui aviez laissé sur le sujet de M. Dupin mais apparemment il l'a oublié, ou il a changé de sentiment; car il ne m'a pas été remis. Et ainsi, ne sachant ce qu'il contient, il ne m'a pas été possible de conférer avec M. Dupin, ni de prendre avec lui les mesures convenables pour vous satisfaire, et pour éviter les mauvaises interprétations que l'on pourroit donner aux choses qu'il a écrites. Si vous desirez m'ordonner quelque chose là-dessus, j'obéirai avec plaisir, et avec la même soumission avec laquelle je serai toujours, etc.

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A Paris, ce 12 avril 1692.

LETTRE XXXV.

DUPIN.

DE M. ARNAULD, DOCTEUR DE SORBONne.

le félicite du dessein qu'il avoit d'écrire pour la défense de saint Augustin contre Richard Simon; et lui demande son jugement sur divers écrits.

J'ai appris avec bien de la joie ce que l'on nous mande, que vous vous sentez porté, par un mouvement de l'esprit de Dieu, à écrire pour la défense de la grace chrétienne, et de l'autorité de saint Augustin contre la prétention téméraire du faux critique *. Rien n'est plus digne d'un évêque à qui Dieu a donné de si grands talents pour écrire et pour parler, que de les employer pour une si bonne cause. La grace que vous soutiendrez, monseigneur, sera aussi votre soutien ; et le saint dont vous maintiendrez l'autorité, contre la censure indiscrète d'un écrivain sans jugement, vous obtiendra de Dieu les mêmes lumières et le même zèle dont il a été rempli pour éclaircir la doctrine de l'Église contre une des plus dangereuses de toutes les hérésies.

A l'égard du critique, je crois, monseigneur, que vous aurez remarqué que, dans le jugement qu'il porte des commentateurs du nouveau Testament, il regarde comme un défaut, dans ceux mêmes qui sont le plus estimés, de s'être attachés à la doctrine des saints Pères, et principalement de saint Augustin, touchant la grace et la prédestination. C'est ce qu'on peut voir dans ce qu'il dit de Salsbout, d'Estius et de Jansénius d'Ypres. Ainsi, selon ce critique, on ne doit suivre que les règles de la grammaire, et

* Richard Simon.

:

non pas la théologie et la tradition, pour bien | expliquer le nouveau Testament. Si l'on fait autrement, ce n'est pas le sens de saint Paul que l'on donne c'est celui que l'on s'est formé sur ses propres préjugés. Rien ne peut être, à mon avis, plus favorable aux sociniens; et je me souviens d'avoir lu autrefois, dans une Vie de Fauste Socin, que, n'ayant point étudié, il étoit plus propre que personne à trouver le vrai sens de l'Écriture.

Je reviens au sujet qui me fait écrire cette lettre. Vous voulez bien, monseigneur, que je prenne cette occasion pour vous exposer quelques pensées que j'ai eues sur la grace, et les soumettre à votre jugement. Et ce qui me fait espérer par avance que vous ne les désapprouverez pas, c'est ce que l'on m'a demandé, que la neuvième partie des Difficultés sur le sieur Steyaert ne vous avoit pas déplu: car il y a beaucoup de ces pensées qui y sont marquées, quoiqu'elles n'y soient pas traitées à fond. Je ne prétends pas non plus les traiter ici, mais vous marquer seulement, monseigneur, quelques écrits que je serois bien aise que vous vissiez, afin que vous m'en dissiez votre avis.

Le premier est un petit écrit latin, de Libertate *. Ce qui me le fit faire est un engagement où je me trouvai d'examiner quel est le vrai sentiment de saint Thomas touchant le libre arbitre. M'étant aperçu que ce que saint Thomas a écrit sur cette matière, dans ses premiers ouvrages, ne s'accorde pas avec ce qu'il en a écrit dans le dernier, qui est sa Somme, je crusque c'étoit à sa Somme qu'il se falloit uniquement arrêter. J'en ramassai tous les passages, et il me parut évidemment :

Premièrement, que l'amour béatifique n'étoit point libre, selon ce saint.

Secondement, que le desir d'être heureux ne l'étoit point non plus.

Troisièmement, que hors ces deux cas toute volonté délibérée étoit libre, et que ce que dit saint Bernard est très vrai : Ubi volontas, ibi libertas.

Quatrièmement, que la meilleure et la plus courte notion qu'on puisse avoir du libre-arbitre est de dire, comme saint Thomas, que c'est potestas ou facultas ad opposita.

Cinquièmement, que quoique cela semble signifier la même chose que l'indifférence, il est néanmoins plus avantageux de se servir du premier que de ce dernier. Car le mot d'indiffé

* Il est imprimé dans le tome premier du Recueil des Traités de M. Arnauld sur la grace générale, dans la Justification de ce docteur, publiée par le père Quesnel, et dans le recueil qui a pour titre: Causa Arnaldina.

rence semble marquer un équilibre, qui n'est nullement nécessaire au libre arbitre, et semble opposé aux déterminations infaillibles, qui ne sont point du tout contraires à la liberté : au lieu qu'on ne trouve point ces deux inconvé nients dans ces mots, facultas ad opposita, comme on le comprendra mieux par un exemple. On offre des présents à un bon juge pour le corrompre. Quoiqu'il se trouve absolument déterminé à ne les point accepter, il est certain néanmoins que c'est librement qu'il les refuse. On demeure d'accord de la chose; il ne s'agit que de l'expression. Ne semble-t-il pas, monseigneur, que ce seroit faire tort à la vertu de ce juge incorruptible, si, pour marquer qu'il a fait cela librement, on disoit qu'il a été dans l'indifférence d'accepter ou de refuser ces présents? Car cela pourroit marquer la disposition d'un homme médiocrement vertueux, qui auroit hésité s'il les accepteroit ou s'il les refuseroit. Mais on ne donne pas cette idée, quand on dit seulement qu'il a eu le pouvoir d'accepter ou de refuser ces présents; puisque l'on conçoit facilement que de deux choses opposées, qui dépendent de notre libre arbitre, quelque déterminé que l'on soit de faire l'une, on pourroit faire l'autre si on le vouloit. Et c'est la raison pourquoi on n'est pas libre à l'égard du bonheur en général, parce qu'on est tellement déterminé par une nécessité naturelle à vouloir être heureux, que nous ne pouvons pas dire : Si je pouvois, si je voulois ne pas vouloir être heureux.

Un autre écrit que je serois bien aise, monseigneur, que vous voulussiez prendre la peine d'examiner, est d'une autre nature. C'est un écrit polémique sur une dispute entre deux amis qui sont toujours demeurés dans une union parfaite de charité et d'amitié, quoiqu'ils se trouvent présentement divisés sur un point sur lequel ils ont été long-temps parfaitement d'accord. Ce n'est pas qu'ils ne le soient sur le capital de la doctrine: mais il y a des questions incidentes dont ils n'ont pu convenir, et je souhaiterois, monseigneur, que vous en voulussiez être le juge. On examine dans ce second écrit ** cette nouvelle pensée que tous les hommes seroient dans une impuissance physique de faire le bien salutaire, laquelle rendroit excusables ceux qui manqueroient de le faire, s'ils n'en étoient délivrés par une grace générale, actuelle, intérieure et surnaturelle, non-seulement préparée et offerte, mais actuellement

Cette dispute étoit entre M. Arnauld lui-même et M. Nicole; et la suite de la lettre en marquera l'objet.

** Il a pour titre : Du Pouvoir physique. Cet écrit et les suivants sont imprimés dans le recueil déja cité,

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