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Oui, Madame; & je dois moins encore vous dire,
Que je fuis prêt, pour vous, d'abandonner l'Empire.
De vous fuivre, & d'aller, trop content de mes fers,
Soupirer avec vous au bout de l'Univers.

Vous même rougiriez de ma lâche conduite.
Vous verriez, à regret, marcher à votre suite
Un indigne Empereur, fans Empire, fans Cour,
Vil fpectacle aux humains des foibleffes d'amour.
Pour fortir des tourmens, dont mon ame eft la proie,
Il eft, vous le favez, une plus noble voie.
Je me fuis vu, Madame, enfeigner ce chemin,
Et par plus d'un Héros, & par plus d'un Romain.
Lorfque trop de malheurs ont laffé leur conftance,
Ils ont tous expliqué cette perfévérance,
Dont le fort s'attachoit à les perfécuter,
Comme un ordre secret de n'y plus résister.

Si vos pleurs plus long-temps viennent frapper ma vue;
Si toujours à mourir je vous vois réfolue;

S'il faut qu'à tous momens je tremble pour vos jours;
Si vous ne me jurez d'en respecter le cours ;
Madame, à d'autres pleurs vous devez vous attendre.
En l'état où je fuis je puis tout entreprendre ;
Et je ne réponds pas que ma main, à vos yeux,
N'enfanglante à la fin nos funeftes adieux.

BÉRÉNICE.

Hélas!

TITUS.

Non, il n'est rien dont je ne fois capable.

Vous voilà de mes jours maintenant refponfable. Songez-y bien, Madame ; & fi je vous fuis cher....

SCENE

DERNIERE.

TITUS, BÉRÉNICE, ANTIOCHUS,

TITUS.

VENEZ, Prince, venez, je vous ai fait chercher.

Soyez ici témoin de toute ma foibleffe.
Voyez fi c'est aimer avec peu de tendreffe.
Jugez-nous.

ANTIOCH US.

Je crois tout. Je connois votre amour. Mais, vous, connoiffez-moi, Seigneur, à votre tour. Vous m'avez honoré, Seigneur, de votre estime, Et moi, je puis ici vous le jurer fans crime, A vos plus chers amis, j'ai difputé ce rang. Je l'ai difputé même aux dépens de mon fang. Vous m'avez, malgré moi, confié l'un & l'autre,

La Reine, fon amour, & yous, Seigneur, le vôtre.

La Reine, qui m'entend, peut me défavouer :
Elle m'a vu toujours, ardent à vous louer,
Répondre, par mes foins, à votre confidence.
Vous croyez m'en devoir quelque reconnoiffance.
Mais croiriez-vous, Seigneur, en ce moment fatal,
Qu'un ami fi fidèle étoit votre rival ?

Mon rival?

TITUS.

ANTIOCH US.

Il est temps que je vous éclairciffe.
Oui, Seigneur, j'ai toujours adoré Bérénice;
Pour ne la plus aimer, j'ai cent fois combattu.
Je n'ai pu l'oublier; au moins, je me suis tû.
De votre changement la flatteufe apparence,
M'avoit rendu tantôt quelque foible espérance.
Les larmes de la Reine ont éteint cet efpoir.
Ses yeux, baignés de pleurs, demandoient à vous voir.
Je suis venu, Seigneur, vous appeller moi-même,
Vous êtes revenu. Vous aimez, on vous aime;
Vous vous êtes rendu, je n'en ai point douté.
Pour la dernière fois je me suis confulté,

J'ai fait de mon courage une épreuve dernière,
Je viens de rappeller ma raifon toute entière,
Jamais je ne me fuis fenti plus amoureux.
Il faut d'autres efforts pour rompre tant de nœuds
Ce n'est qu'en expirant que je puis les détruire.
J'y cours. Voilà de quoi j'ai voulu vous instruire.
Oui, Madame, vers vous j'ai rappellé fes pas,
Mes foins ont réuffi, je ne m'en repens pas.
Puiffe le Ciel verfer fur toutes vos années
Mille profpérités l'une à l'autre enchaînées.
Ou, s'il vous garde encore un refte de courroux,
Je conjure les Dieux d'épuifer tous les coups,
Qui pourroient menacer une fi belle vie,

Sur ces jours malheureux que je vous facrifie.
BÉRÉNICE fe levant.

Arrêtez. Arrêtez, Princes trop généreux.
En quelle extrémité me jettez-vous tous deux !
Soit que je vous regarde, ou que je l'envisage.
Par-tout du défefpoir je rencontre l'image :
Je ne vois que des pleurs ; & je n'entends parler
Que de trouble, d'horreurs, de fang prêt à couler.
(à Titus.)

Mon cœur vous eft connu, Seigneur, & je puis dire Qu'on ne l'a jamais vu foupirer pour l'Empire.

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La grandeur des Romains, la pourpre des Céfars,
N'a point, vous le favez, attiré mes regards.
J'aimois, Seigneur, j'aimois, je voulois être aimée.
Ce jour, je l'avouerai, je me fuis allarmée. '
J'ai cru que yotre amour alloit finir fon cours.
Je connois mon erreur & vous m'aimez toujours.
Votre cœur s'eft troublé, j'ai vu couler vos larmes.
Bérénice, Seigneur, ne vaut pas tant d'allarmes ;
Ni que par votre amour l'Univers malheureux,
Dans le temps que Titus attire tous les
Et que de vos vertus il goûte les prémices,
Se voie en un moment enlever fes délices.
Je crois, depuis cinq ans, jusqu'à ce dernier jour,
Vous avoir affuré d'un véritable amour.

vœux

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Ce n'eft pas tout, je veux, en ce moment funefte, Par un dernier effort, couronner tout le reste.

Je vivrai, je fuivrai vos ordres abfolus.

Tome II.

* D vj

Adieu, Seigneur, régnez, je ne vous verrai plus.
(à Antiochus.)

Prince, après cet adieu, vous jugez bien vous-même,
Que je ne confens pas de quitter ce que j'aime,
Pour aller, loin de Rome, écouter d'autres vœux.
Vivez, & faites-vous un effort généreux.
Sur Titus & fur moi réglez votre conduite.
Je l'aime, je le fuis, Titus m'aime, il me quitte.
Portez loin de mes yeux vos foupirs. & vos fers
'Adieu. Servons tous trois d'exemple à l'Univers
De l'amour la plus tendre & la plus malheureuse,
Dont il puiffe garder l'hiftoire douloureuse.
Tout est prêt. On m'attend. Ne fuivez point mes pas
(à Titus.)

Pour la dernière fois, adieu, Seigneur.

ANTIOCH US.

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FIN.

Hélas!

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