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reconnaissant, comme ils le disent, la divinité d'une religion qu'ils prétendent avoir été réformée par de tels hommes et de tels moyens?

L'ouvrage de Pluquet est tel qu'il le faut pour ramener à la vérité les hérétiques de bonne foi. Ce n'est point un livre de controverse, c'est tout simplement un tableau de la vérité et de l'erreur mises en face par l'histoire, et cela au moyen d'un récit simple, sincère, véridique. Il n'avance rien qu'il ne l'appuie d'une preuve irréfragable; il cite partout ses autorités; il montre de plus une impartialité qui ne peut exister à ce point que dans le défenseur d'une bonne cause. Les personnes qui prétendent que le catholicisme est ennemi des lumières d'une civilisation progressive, trouveront presque à chaque page de cet excellent travail un démenti formel à cette opinion qu'une philosophie sceptique a répandue et accréditée en France à la fin du siècle dernier, et qui subsiste malheureusement encore dans quelques esprits.

L'ignorance, dit Pluquet, est le mobile le plus puissant de l'hérésie; on n'est jamais si près de douter et d'admettre le faux que quand on n'a pas du vrai une notion claire et distincte. Aussi est-ce à l'Église romaine qu'on doit le renouvellement des études, non pas seulement religieuses, mais même profanes; c'est là un fait historique hors de toute discussion.

Sans doute cette Église, à qui Dieu a remis le dépôt de la foi, oppose aux lumières qu'elle a développées ellemême une barrière invincible, lorsque les hommes fiers de ces lumières veulent par orgueil s'ouvrir une voie que Dieu leur a fermée. Elle leur oppose ces paroles de l'Écriture: Hùc usque venies et non procedes ampliùs. Mais quelle est cette voie interdite à l'orgueil humain? C'est celle du

doute et de l'erreur; en un mot, celle où l'ignorance le conduit. Car l'ignorance et l'abus des lumières n'ont pas pour l'homme un résultat différent; ce résultat est toujours l'erreur.

Il y a, je le sais, quelque chose de douloureux pour notre orgueil dans cette dernière réflexion. Elle nous démontre que, quand nous nous refusons à l'autorité de Dieu en matière de foi, nous tournons dans un cercle fatal, et que, de quelque point que nous partions, nous arrivons toujours à l'absurde. Ainsi, de même qu'au milieu des ténèbres du moyen-âge un homme, appelé Éon, s'imagine qu'il viendra juger les vivans et les morts parce qu'il entend chanter dans les églises Per EUM qui venturus est; de même, au milieu des dix-huitième et dixneuvième siècles, un de ces hommes qu'on appelle savans assure qu'il y a dix-huit races d'hommes différentes et qu'elles viennent d'un crapaud, d'un singe, etc.-L'une de ces erreurs n'est pas plus absurde et plus ridicule que l'autre ; et toutes deux ont cependant trouvé des admirateurs et des disciples. Dira-t-on que l'Église catholique est l'ennemie des lumières ou la protectrice de l'ignorance, parce qu'elle les condamne également ?

La vérité religieuse est en dehors de ce cercle fatal ; elle ne va point d'un point à un autre comme la faible raison humaine, mais elle demeure immobile là où Dieu l'a placée. De ce lieu élevé elle domine, elle éclaire, elle appelle à soi les hommes de bonne volonté, ignorans ou savans, n'importe, pourvu que leur ignorance ou leur science ne s'enveloppe point de ténèbres si épaisses que ses rayons divins ne puissent les dissiper. Sa lumière douce et pénétrante ne se refuse point aux yeux malades,

mais il faut qu'ils s'en laissent guérir et qu'ils l'aiment pour la voir dans toute sa splendeur.

Est-il donc si difficile d'aimer la vérité? Quoi de plus doux au contraire? Par quelle aberration préférons-nous si souvent les ténèbres à la lumière? Les ténèbres sont si tristes! la lumière si consolante! Marchez à ma lumière, nous dit la voix d'un Dieu qui est mort pour nous: et nous détournons la tête, nous embrassons l'erreur, nous nous enfonçons dans la nuit.

Deux mille ans se sont écoulés depuis que la lumière véritable brille au milieu du monde, et elle n'a pu encore vaincre les ténèbres, tant les hommes lui ont opposé d'orgueil, l'orgueil, le père des ténèbres et de la mort, attaché au coeur de l'humanité comme le vautour à sa proie.

Cependant cet orgueil, si fier de ses œuvres, que produit-il? Il faut le lire dans Pluquet. En religion, des absurdités; en morale, des maximes licencieuses; en philosophie, des systèmes sans liaison qui croulent les uns sur les autres; en histoire, des mensonges; en politique, des réformes d'où naissent le meurtre, le pillage, la dévastation; enfin toujours et partout, le mal, rien que le mal; et qu'attendre autre chose du sentiment pervers qui a banni du ciel les anges mêmes et creusé l'enfer?

V. DE PERROdil.

POUR SERVIR A L'HISTOIRE

DES ÉGAREMENS

DE L'ESPRIT HUMAIN

PAR RAPPORT A LA RELIGION CHRÉTIENNE.

A

ABAELARD (Pierre), naquit à Palais, en Bretagne, vers la fin de l'onzième siècle, d'une famille noble ses amours, ses malheurs, ses démêlés littéraires et ses erreurs en ont fait un homme célèbre.

Tout le monde connaît les égaremens de son cœur et ses infortunes; nous ne considérons ici que ses efforts pour l'avancement de l'esprit humain, les changemens qu'il fit dans la manière de traiter la théologie, et les écueils qu'il rencontra.

Depuis le renouvellement des sciences dans l'Occident par Charlemagne, la nation française s'était élevée successivement de l'orthographe à la grammaire, de la grammaire aux belles-lettres, à la poésie, à la philosophie et aux mathématiques; on avait en quelque sorte suivi la route qu'Alcuin avait tracée 2.

La philosophie n'avait alors que trois parties : la logique, la

1 En 1079.

2 Alcuin, s'étant proposé de rétablir les lettres en France, commença par recommander l'orthographe ; il composa ensuite des traités sur la grammaire, sur la rhétorique, sur la dialectique et sur les mathémati ques. Voyez l'Histoire littéraire de France, t. 4.

morale et la physique; de ces trois parties, la logique était presque la seule qu'on cultivât, et elle renfermait la métaphysique.

La logique n'était que l'art de ranger sous certaines classes les différens objets de nos connaissances, de leur donner des noms et de former sur ces noms des raisonnemens ou des syllogismes.

Abaelard étudia la dialectique avec beaucoup d'ardeur et même avec succès ; il réforma celle d'Aristote, devint l'oracle des écoles et se fit une grande réputation, parce qu'alors le génie dela nation et de presque tout l'Occident était tourné vers la philosophie.

Lorsqu'Abaelard eut embrassé la vie religieuse, il s'attacha principalement à la théologie, et ses disciples le prièrent de joindre aux autorités qui prouvent les dogmes de la religion des explications qui rendissent ces dogmes intelligibles à la raison; ils lui représentèrent qu'il était inutile de leur donner des paroles qu'ils n'entendaient point, qu'on ne pouvait rien croire sans l'avoir auparavant entendu, et qu'il était ridicule d'enseigner une chose dont ni celui qui parlait, ni ceux qui l'écoutaient, n'avaient point d'idée; ils ajoutaient que le Seigneur lui-même avait censuré ces maîtres-là, comme des aveugles qui conduisaient d'autres aveugles 1.

Tel était le goût général de la nation, et ce goût ne s'était pas toujours contenu dans de justes bornes. Quelques philosophes, parce qu'ils savaient faire un syllogisme, se croyaient en droit d'examiner et de décider souverainement de tout; ils croyaient, en faisant un syllogisme, approfondir tout, éclaircir même tous les mystères, et ils avaient attaqué le dogme de la Trinité.

Abaelard, déterminé par ces considérations et peut-être par son propre goût, entreprit d'expliquer les mystères et les vérités de la religion, de les rendre sensibles par des comparaisons, de combattre par l'autorité des philosophes et par les principes de la philosophie les difficultés des dialecticiens qui attaquaient la religion.

C'est l'objet qu'il se propose dans son introduction à la théologie et dans sa théologie chrétienne 2.

La méthode qu'Abaelard se proposait de suivre était nouvelle

1 Abael., ep. 4, c. 5 Operum, p. 20.

2 L'introduction à la théologie se trouve dans l'édition des ouvrages d'Abaelard par Amboise, et sa théologie chrétienne dan le tome 5 du Thesaurus anecdotorum du P. Marienne.

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