Images de page
PDF
ePub

que lorsqu'elle se trouvera en guerre, mais ne pouvoir admettre au passage vers la mer Noire que des forces navales limitées composées de bâtiments légers destinés à la protection du commerce international; elle déclara de plus n'accepter le principe de zones démilitarisées qu'à la condition de se voir donner des garanties suffisantes pour son territoire et pour ses intérêts, et réclamer la suppression du droit pour les puissances d'avoir des stationnaires à Constantinople. Elle déposa enfin un contre-projet n'autorisant l'entrée des bâtiments de guerre que de jour et exigeant que la force totale des flottes étrangères transitant en même temps ne dépasse pas la force de la flotte turque présente à ce moment (1).

(1) V. Livre jaune, t. I, pp. 11, 114, 134, 142, 197, 428.

Voici le texte du contre-projet turc déposé le 18 décembre 1922 (V. Livre jaune, t. I, pp. 211 et s.):

Règles pour le passage des navires à travers les Dardanelles,
la mer de Marmara et le Bosphore

Article premier. Navires de commerce, y compris les navires-hôpitaux, yachts et bateaux de pêche, ainsi que les aéronefs non militaires.

a) En temps de paix:

Complète liberté de passage, jour et nuit, quels que soient le pavillon et le chargement, sans aucune formalité, taxe et charge, si ce n'est pour les services directement rendus, tels que taxes de pilotage, phares, remorquages ou autres de même nature.

Les aéronefs non militaires seront soumis aux conventions qui seront conclues avec la Turquie, et aux règlements qui seront édictés par elle.

b) En temps de guerre, la Turquie étant neutre :

Complète liberté de passage sous les mêmes conditions que précédemment. En qualité de puissance neutre, la Turquie autorisera comme en temps de paix le libre passage à travers les détroits et la mer de Marmara des navires qui ne toucheraient pas à ses ports.

e) En temps de guerre, la Turquie étant belligérante :

Liberté de passage pour les navires neutres, à condition qu'ils n'assisteront pas l'ennemi en transportant en contrebande des troupes ou des ressortissants ennemis. Les aéronefs non militaires neutres jouiront de la même liberté sous les conditions indiquées plus haut.

La Turquie aura le droit de visiter lesdits navires et aéronefs, et, à cette fin, les aéronefs devront atterrir ou amerrir dans telles zones qui seront fixées et aménagées à cet effet par la Turquie.

Les droits de la Turquie d'appliquer les règles internationales à l'égard des navires ennemis sont maintenus. La Turquie aura pleine faculté de prendre telles mesures qu'elle jugera nécessaires pour empêcher les navires eomis d'utiliser les détroits; toutefois, ces mesures ne seront pas de nature à interdire le passage des navires neutres.

A cet effet, les navires devront obéir aux instructions et aux pilotes qui leur seront fournis par la Turquie.

Art. 2.

--

Batiments de guerre et aéronefs militaires.

a) En temps de paix:

Quel que soit leur pavillon, les navires de guerre désirant traverser les

Ce n'est pas seulement sur la question des détroits, mais aussi sur celle de la condition juridique de la mer Noire qu'à Lausanne des dissidences apparurent entre les puissances. Ici encore la Russie prit une attitude particulière. Elle soutint que la mer Noire devait être considérée comme une mer close des puissances rive

détroits peuvent pénétrer seulement de jour dans un des détroits, la sortiepouvant s'effectuer de jour et de nuit.

La force des flottes étrangères se trouvant à un moment donné dans les détroits et la mer de Marmara ne doit pas dépasser la force de la flotte turque se trouvant habituellement dans cette même zone. Toutefois, quelle que soit la force de la flotte turque concentrée dans la mer de Marmara, une force n'excédant pas trois bâtiments, dont aucun ne dépassera 10.000 tonnes, pourra toujours franchir les détroits et la mer de Marmara. Il est bien entendu que cette force est le maximum de celles qui, dans les conditions susindiquées, pourront se trouver dans la zone comprise entre les deux détroits. Dans l'évaluation de la force respective des flottes susmentionnées, doit entrer non seulement le tonnage, mais encore la classe des navires qui les composent, ainsi que leur armement et leur vitesse.

Le pavillon, le nombre, la classe, l'armement des navires devant traverser les détroits devront être portés à la connaissance de la Commission internationale des détroits, au moins vingt-quatre heures avant le passage. En outre, les commandants des flottes ou des navires de guerre feront connaître à un poste désigné à cet effet par la Turquie l'heure d'entrée de leurs bâtiments dans les détroits, ainsi que le nombre et la classe des navires se trouvant sous leur commandement.

Ces navires de guerre ne s'arrêteront pas dans les détroits, la mer de Marmara et le port de Constantinople.

La force totale des flottes qui, en se conformant aux stipulations ci-dessus indiquées, pourraient se trouver dans la mer Noire en même temps ne devra pas dépasser celle de la flotte la plus puissante se trouvant en cette mer. Dans la détermination de la force des flottes respectives devront être pris en considération la classe, la quantité, la vitesse, l'armement et le tonnage des navires qui les composent.

La traversée des détroits est interdite en temps de paix aux sous-marins, aéronefs de guerre et navires porte-avions.

b) En temps de guerre, la Turquie étant neutre :

Les navires de guerre de toutes les puissances pourront traverser les détroits, à condition de se conformer aux stipulations contenues à l'article 2, a). Les navires de guerre d'une puissance belligérante ne pourront entrer dans les détroits avant que les navires de guerre d'une autre puissance bellligérante aient quitté les détroits et la mer de Marmara.

Il sera interdit aux navires de guerre belligérants de procéder à aucune capture, d'exercer le droit de visite et de se livrer à aucun acte d'hostilité dans la région comprise entre les détroits, ainsi que dans une zone s'étendant à une distance de vingt milles marins autour de l'entrée des deux détroits, et les îles se trouvant à l'entrée des Dardanelles.

Sauf dans le cas de force majeure, il leur sera interdit de même de séjourner dans les détroits et dans la mer de Marmara plus que le temps nécessaire pour effectuer le passage.

En outre, les dispositions de la convention XIII de la Haye de 1907, concernant la neutralité maritime, seront appliquées.

c) En temps de guerre, la Turquie étant belligérante:

Les navires de guerre des puissances neutres pourront traverser les détroits,

raines et proposa même une disposition tendant à lui faire attribuer ce caractère dans un acte international (1). Mais la France, la Grande-Bretagne, l'Italie, le Japon et les autres Etats riverains de cette mer estimèrent qu'elle constituait une mer libre (2).

Finalement, la convention des détroits du traité de Lausanne a été ratifiée par la Turquie et la Russie comme par les puissances alliées.

Cette convention est une convention ouverte, en ce sens que les Etats qui ne l'ont point signée peuvent y donner leur adhésion ; les parties contractantes se sont même engagées, aux termes de l'article 19, « à faire tous leurs efforts pour amener les puissances non signataires à adhérer à la convention ». Son entrée en vigueur est liée à celle du traité de paix conclu à Lausanne le même jour, tout au moins pour les Etats qui ont signé les deux actes; pour les puissances signataires de la convention mais non signataires du traité, la convention ne doit produire effet que par le dépôt de leurs ratifications, qui doit être notifié aux autres puissances contractantes par les soins du gouvernement français (art. 20).

503. En dehors des stipulations qui ont constitué les traités de Sèvres et de Lausanne, la question des détroits et de la mer Noire a encore donné lieu à certaines dispositions dans les rapports de plusieurs puissances riveraines de cette mer. D'une part, dans le traité de paix de Brest-Litovsk signé le 3 mars 1918 entre l'Allemagne, l'Autriche-Hongrie, la Bulgarie et la République russe des Soviets, traité que la paix de Versailles a fait disparaître, il fut stipulé (art. 5) que « dans la mer Noire, partout où s'étend la puissance russe, la navigation de commerce est libre et devra reprendre aussitôt ». D'autre part, le 16 mars 1921, la Russie des Soviets a signé avec la Turquie un traité d'alliance aux termes duquel les deux parties contractantes ont convenu d'ouvrir les détroits à la navigation de toutes les nations et de confier l'élaboration d'un règlement international sur cette matière à une conférence composée de délégués des Etats riverains (3).

à condition de se conformer aux stipulations contenues à l'article 2, a). Les mesures prises par la Turquie pour interdire le passage des navires ennemis ne devront pas empêcher le passage des navires neutres.

A cet effet, ces navires devront obéir aux instructions et aux pilotes qui leur seront fournis par la Turquie.

L'expression bâtiments de guerre comprend ici les navires auxiliaires, les transports de troupes et les navires porte-avions.]

(1) V. le discours du délégué russe, M. Tchitcherine à la séance de la Conférence du 8 décembre 1922 et l'article 21 du projet russe du 18 décembre, Livre jaune, t. I, p. 136.

(2) V. le discours du délégué britannique, Lord Curzon, à la séance du 19 décembre 1922, Livre jaune, t. I, p. 219.

(3) V. Pernot, La question turque, Revue des Deux-Mondes du 1" février 1922, p. 564.

[blocks in formation]

504. Située au nord de l'Europe, la mer Baltique ne peut communiquer avec la mer du Nord que par le détroit du Sund entre le Danemark et la Suède et les détroits du grand et du petit Belt entre les territoires du Danemark (2). Elle a toujours été entourée par les terres de plusieurs Etats. Ceux-ci furent au XIXe siècle la Suède, la Russie, l'Allemagne et le Danemark. Par suite de la guerre mondiale de 1914 et de la révolution bolcheviste de 1917 qui amena l'indépendance de plusieurs provinces de la Russie, les riverains de la Baltique sont actuellement la Suède, la Finlande, l'Esthonie, la Lettonie, la Lithuanie, la Ville libre de Dantzig, l'Allemagne et le Danemark. Cette mer ne saurait dès lors, d'après les principes qui, suivant l'opinion générale, régissent les mers intérieures (n° 496), être regardée comme une mer fermée. Elle constitue une mer ouverte à tout le monde, sans restriction d'aucune espèce, en temps de guerre aussi bien qu'en temps de paix, de telle sorte que même des hostilités entre deux puissances non riveraines de la Baltique pourraient avoir lieu sur elle, en dehors de ses eaux territoriales, comme sur toute autre partie de la haute mer (3).

A-t-elle été en fait toujours considérée comme telle ? Dès le XIV siècle, le Danemark imposa des droits de péage aux vaisseaux des pays étrangers qui voulaient pénétrer dans la mer Baltique par les détroits du Sund et des Belts. D'autre part, en temps de guerre, le Danemark, la Suède et la Russie ont à plusieurs reprises émis la prétention de fermer cette mer aux navires des belligérants. Ainsi, dans un traité signé à Roeskild en 1658 entre le Danemark et la Suède, il fut décidé par ces Etats de ne point admettre les navires de guerre étrangers à entrer dans la Baltique par le Sund et les Belts. De même, dans un traité du 9 mars 1759, auquel le Danemark accéda le 17 mars 1760, la Suède et la Russie prirent l'engagement d'employer tous leurs efforts pour éloigner

-

(1) V. Balch, R. D. I., 2o série, t. XV, p. 166. De Floeckher, La question de la mer Baltique et de la mer du Nord, R. D. I. P., t. XV, p. 125; La convention relative à la Baltique et la question des fortifications des iles d'Aland, R. D. I. P., t. XV, p. 271. Geffcken, La question des détroits, R. D. I., t. XVII, p. 363. Nys, op. cit., t. I, p. 489. Westlake, op. cit., X., The Baltic and the North Seas, A. J., 1908, p. 640.—

t. I, p. 196.

-

[ocr errors]

X., The fortifications of the Aland Islands, A. J., 1908, p. 397.

(2) Antérieurement au traité de Versailles du 28 juin 1919 et au plébiscite qui, en exécution de ce traité, eut lieu en 1920 dans le Schlewig, le petit Belt avait comme riverains le Danemark et l'Allemagne.

(3) V. Barclay, Encyclopaedia britannica, 1910, t.XXI, p. 12.

les hostilités de la Baltique et y laisser le commerce maritime de toutes les nations à l'abri des troubles apportés par les belligérants : il semble bien toutefois que la disposition de ce traité n'avait trait qu'au conflit qui exerçait alors ses ravages. Pendant la guerre entre la Grande-Bretagne, ses colonies insurgées et la France, une convention du 9 juillet 1780 entre la Russie et le Danemark et une convention du 1er août de la même année entre la Russie et la Suède, constitutives de la Ligue de neutralité armée, qu'acceptèrent les Pays-Bas en janvier 1781, décidèrent encore, dans un article séparé, qu'on traiterait la mer Baltique comme une « mer fermée à l'abri des troubles de la guerre et des courses des armateurs c'est ce que dit de nouveau une déclaration du Danemark en date du 1er mai 1781, à laquelle la France adhéra le 25 mai suivant (1). Par les articles séparés du traité qu'elles signèrent le 8 mai 1781 à Saint-Pétersbourg, la Prusse et la Russie proclamèrent également que la Baltique est une « mer fermée» où les bâtiments de commerce peuvent naviguer en paix mais où aucune hostilité ne peut être exercée contre eux. Le même principe fut répété, au cours des guerres de la Révolution, dans un traité passé par le Danemark et la Suède le 27 mars 1794. Enfin, dans des articles séparés et secrets, joints à la convention de neutralité armée du 16 décembre 1800, l'empereur de Russie et le roi de Danemark et de Norvège, « regardant la Baltique constamment comme une mer fermée », ont affirmé vouloir « user de tous les moyens en leur pouvoir pour en garantir la navigation et les côtes de toute hostilité, violence et vexation quelconques ». C'était, en réalité, d'une simple neutralisation temporaire de la Baltique, pour la durée d'une guerre déterminée, qu'il s'agissait dans ces textes, bien que plusieurs de ceux-ci eussent accessoirement affirmé que, < par sa situation locale », la mer Baltique est « incontestablement une mer fermée » : les riverains de la Baltique entendaient la fermer, non pas pour empêcher le commerce étranger de s'y faire, mais simplement pour la mettre à l'abri de tous actes de guerre entre bâtiments belligérants. Mais, même ainsi restreinte, une pareille solution n'était pas, nous semble-t-il, quoique des auteurs en aient jugé autrement (2), d'une correctior absolue. Au point de vue du droit, les Etats qui touchent à une mer ne violent-ils pas en réalité le principe de la liberté des mers lorsqu'ils déclarent à eux

(1) On donne généralement à la déclaration du Danemark et à la réponse de la France les dates du 1" mai 1780 et du 25 mai 1780. M. Paul Fauchille a démontré qu'il y avait là une erreur (Paul Fauchille, La diplomatie franfake et la Ligue des neutres de 1780, p. 420, note 2). (2) V. notamment Hautefeuille, op. cit., t. I, p. 62. p. 290. Perels, op. cit., p. 188.

+ II,

Ortolan, op. cit.,

« PrécédentContinuer »