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mer constituât un délit de droit international, dont le jugement appartiendrait aux tribunaux nationaux du navire capturé. I refusa d'assimiler la destruction des câbles à la piraterie. II s'occupa de la situation des câbles en temps de guerre. Il écarta comme chimérique la neutralisation des câbles (1). C'est à la suite d'un remarquable rapport de Louis Renault, où fut traitée d'une manière approfondie pour le temps de paix et pour le temps de guerre la question de la protection internationale des câbles télégraphiques sous-marins (2), que l'Institut a pris sa résolution (comp. n° 1187', 1321 et s). En 1902, le savant internationaliste français a complété les dispositions qu'il avait arrêtées en 1879 en ce qui touche la situation des câbles en temps de guerre (3).

en

En 1880, l'Association pour la réforme et la codification du droit des gens a demandé que « les puissances intéressées s'accordent pour déclarer que la destruction ou la détérioration haute mer des câbles sous-marins constitue en temps de paix un acte de piraterie, et que chacune d'elles détermine la peine applicable à une atteinte de ce genre, d'une manière aussi uniforme que la chose est compatible avec les lois criminelles des différents Etats » (4).

483. - Certains auteurs (5) ont demandé que non seulement fussent internationalement protégées contre les destructions et les détériorations les lignes de câbles sous-marins appartenant à des Etats déterminés, mais qu'il fût établi un réseau mondial de câbles ayant un caractère international et qui, dépendant d'une union de tous les Etats et non d'un seul pays ou d'un consortium de certains pays, constituerait un service public d'utilité internationale. A raison de l'institution de la Société des Nations créée par le Pacte du 28 avril 1919, un pareil réseau pourrait être placé sous l'autorité de cette Société. Une telle proposition, dont la réalisation est certainement possible pour le temps de paix, et qui présenterait en ce cas de grands avantages puisqu'elle doit assurer à toutes les nations les communications télégraphiques, serait, semble-t-il, de nature à soulever certaines difficultés d'application en temps de guerre : elle pourrait offrir quelques dangers pour la sécurité des belligérants.

(1) V. Annuaire de l'Institut, t. IV, pp. 351-394. V. aussi R. D. I.gt. XII, p. 104.

(2) V. Annuaire, t. IV, p. 351 et R. D. I., t. XII, p. 251.

(3) Annuaire, t. XIX, p. 301 et R. D. I. P., t. X, p. 532.

(4) Journal télégraphique, 1878-1880, p. 770.

(5) V. Catellani, Le vie del mare e dell' aria e il diritto internazionale, R. I., 1918, pp. 161-162.

D.

Travaux et constructions sur le lit ou dans le sous-sol de la haute mer.
Tunnels sous-marins.

483. La règle de la liberté des mers forme-t-elle un obstacle juridique à l'appropriation du lit de la mer et du sous-sol de ce lit? La haute mer étant libre, il est tout d'abord certain que tous les peuples peuvent y pénétrer afin de se livrer à des travaux sur le lit et dans le sous-sol de l'océan. Mais les travaux qu'ils veulent ainsi faire ne constituent-ils pas une appropriation de la mer? A cette question, il ne faut pas hésiter à répondre négativement. Ces travaux sont seulement une appropriation de son lit ou de son sous-sol. Or, on le sait (n° 483°), le fond et le tréfonds de la mer peuvent, à la différence de ses eaux, faire l'objet d'une occupation permanente, constitutive d'un droit exclusif de souveraineté. Les travaux ainsi réalisés ne seront-ils pas toutefois de nature à apporter une gêne au libre usage des mers? On ne peut pas ici faire une réponse absolue. Ce qu'on doit dire, c'est qu'en général de pareils travaux ne sont pas susceptibles d'entraver la navigation et de nuire à la libre communication des peuples, principale raison d'être de la liberté des mers ils sont même plutôt une aide au rapprochement des nations. Telles sont, par exemple, l'immersion de câbles ou la construction de tunnels sous-marins. Les pêcheries de perles ou de coraux qui s'exercent au fond de la mer au moyen de scaphandriers ne peuvent pas davantage faire obstacle à la libre navigation à la surface de la mer, troubler les droits communs des Etats. Il en serait au contraire autrement si un Etat élevait du fond des eaux des piliers destinés à l'établissement au-dessus de la mer de ponts pour faire communiquer des territoires : ces piliers pourraient être en effet une entrave à la libre circulation maritime; on ne saurait dès lors en permettre l'existence.

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483. L'exemple le plus important qu'on puisse donner de travaux et de constructions dans le sol de la mer est à coup sûr l'établissement des tunnels sous-marins. Aucun n'a encore été construit jusqu'ici. Mais on a parlé à un certain moment d'établir un tunnel à Gibraltar entre l'Espagne et Tanger ou Ceuta. Il a été aussi question, à diverses reprises, au cours du XIX et du XX siècles de relier de la sorte à travers la Manche la France et la Grande-Bretagne. La première idée d'une union par le moyen d'un tunnel sous-marin entre les deux côtés du détroit du Pasde-Calais remonte à 1802, et c'est à un Français, l'ingénieur Mathieu, qu'on la doit. Mais elle demeura sans suite. L'idée ne fut reprise qu'en 1834 par le savant français Thomé de Gamond, qui, après une enquête géologique approfondie, présenta en 1856 à Napoléon III et à la reine Victoria un projet de communication

sous la Manche. Des ingénieurs anglais, Isambart Brunel, Joseph Locke et Robert Stephenson, puis sir John Hawkshaw poursuivirent les études de Thomé de Gamond. Et on en arriva bientôt à des pourparlers diplomatiques entre la France et l'Angleterre. Il en fut ainsi de 1870 à 1874. En France, une société se constitua et, le 24 octobre 1874, le gouvernement français communiqua au gouvernement britannique le projet même d'un acte de concession qu'il se proposait de faire à cette société. Ce projet ayant reçu l'approbation du cabinet britannique, le gouvernement français fit voter le 2 août 1875 par l'Assemblée nationale, sur le rapport de M. Krantz, une loi donnant à la société française la concession de la partie française du tunnel. Parallèlement, une société anglaise, la Submarine Railway Company, se constitua en Angleterre, mais elle ne put obtenir un vote favorable du Parlement britannique. Néanmoins les deux sociétés se mirent à l'œuvre. La compagnie française fit creuser à Sangatte un puits atteignant 57 mètres au-dessous du niveau de la mer et, du fond de ce puits, poussa une galerie qui fut avancée jusqu'à 1.840 mètres sous le détroit. De l'autre côté, au pied de la falaise de ShakespeareCliff, la société anglaise perça dans la craie une galerie sousmarine de 2 kilomètres. Dans le courant de 1875, une Commission internationale de six membres, dont trois nommés par le gouvernement français et trois par le gouvernement anglais, avait en outre été constituée pour arrêter provisoirement les conditions d'un traité à conclure entre les deux puissances relativement à un projet de tunnel et de chemin de fer sous-marin ce projet de traité fut adopté par la Commission le 30 mai 1876 (1). Malheureusement la tension qui survint en 1883 entre la France et l'Angleterre au sujet de la question d'Egypte obligea les deux sociétés à suspendre leurs travaux. Une campagne violente contre le tunnel, qu'on jugeait de nature à nuire à la sécurité nationale, se déchaîna même en Grande-Bretagne. Et cela durà jusqu'en 1903-1904, époque où eut lieu un rapprochement anglo-français par la signature de la convention d'arbitrage du 14 octobre 1903 et de l'accord politique du 8 avril 1904. A partir de ce moment, l'idée de la construction d'un tunnel sous-marin fut considérée avec plus de faveur, et on espéra en France la voir aboutir. Cependant un courant contraire, dû à la crainte d'une invasion de l'Angleterre au moyen du tunnel, réapparut à Londres, et finalement le gouvernement britannique déclara le 21 mars 1907 au Parlement qu'il était opposé à l'entreprise. La controverse continua entre partisans et adversaires du tunnel jusqu'après

(1) V. le texte du projet de traité dans Colombos, op. cit., p. 143.

la grande guerre. L'existence de celle-ci ayant montré les avantages que la France et l'Angleterre pourraient retirer de la création d'un tunnel aux points de vue politique, militaire, commercial et économique, l'opposition tendit de plus en plus à disparaître, et, à la suite de l'armistice conclu avec l'Allemagne en novembre 1918, l'opinion s'affirma dans les deux pays en faveur d'une reprise des travaux de construction du tunnel sous la Manche. Il n'en reste pas moins qu'il existe toujours en Angleterre de fortes préventions contre ce tunnel le 18 février 1924, à la Chambre des communes, répondant à une question relative au projet d'établissement d'un tunnel sous la Manche, le secrétaire du trésor du gouvernement britannique déclara en effet que la réalisation du projet se heurtait à de grosses difficultés, notamment à des difficultés d'ordre politique (1).

4835. Un tunnel sous-marin faisant partie, par droit d'occupation du sol de la mer, du domaine terrestre de l'Etat qui l'a creusé (n° 483°), il est aisé de déterminer quelle sera la condition juridique du tunnel sous la Manche le jour où il aura été établi, si jamais il doit l'être. Ce tunnel, construit respectivement, dans ses parties attenantes à leur territoire, et par moitié, par l'Etat anglais et par l'Etat français ou par des sociétés anglaise et française dûment autorisées par ces Etats, se trouvera dans ces limites placé sous la souveraineté de l'Angleterre et de la France. C'est la solution qu'indiquait le rapport de M. Krantz en 1875 et qu'a admise la Commission internationale dans l'article 1er de son projet du 30 mai 1876, ainsi conçu : « La frontière entre l'Angleterre et la France dans le tunnel sera fixée au milieu de la distance séparant la ligne des basses eaux (au-dessus du turnel) sur la côte d'Angleterre de la ligne des basses eaux (au-dessus du tunnel) sur la côte de France ». Mais, dit ce même article, « cette définition de la frontière doit s'appliquer uniquement au tunnel et au

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(1) Sur l'historique du tunnel sous la Manche, V. Boyd Dawskins, Contemporary Review, t. XLIII (1883), p. 245. Colombos, Le tunnel sous la Manche et le droit international, pp. 3-45. Fell, The channel tunnel, Daily Graphic, 10 juillet 1916, p. 4 et The position of the channel tunnel question in may 1914, 1914. Sartiaux, Le tunnel sous la Manche, Revue politique et parlementaire, juillet 1906, p. 6; Economiste français du 27 octobre 1906, p. 613 et Revue des Deux-Mondes, 1 octobre 1913, p. 543. Sydenham, The channel tunnel, Empire Review, août 1914, p. 11. Valbert, L'agitation anglaise contre le tunnel sous la Manche, Revue des Deux-Mondes, 1 juin 1882. Sur le régime juridique du tunnel, V. spécialement Colombos, op. cit. Oppenheim, Der Tunnel unter dem Aermelkanal und das VölkerTeckt, Zeitschrift füt Völkerrecht und Bundesstaatsrecht, t. II (1908), pp. 1 ets. Robin, Le tunnel sous la Manche et le droit des gens, R. D. I. P., 1. XV, pp. 50 et s. Comp. Hurst, Whose is the bed of the sea? The british year book of international law, 1923-1924, p. 74.

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chemin de fer sous-marin; elle n'aura aucun effet relativement aux questions de nationalité, de droits de navigation, de pêche et d'ancrage ou autres droits sur la mer au-dessus du tunnel ou ailleurs que dans le tunnel lui-même ». On aperçoit de suite les conséquences d'une pareille solution en ce qui concerne les questions relatives aux infractions qui seraient commises dans le tunnel, aux contrats qui y seraient passés, aux naissances qui y surviendraient que ce soit le tunnel lui-même ou les wagons y circulant qui en soient le théâtre, ces faits et ces actes seront soumis aux lois et à la juridiction de l'Angleterre ou de la France, selon qu'ils auront eu lieu dans la partie soumise à la souveraineté anglaise ou dans celle soumise à la souveraineté française, sans qu'il soit à cet égard besoin de faire une convention internationale particulière (1). Le régime d'après lequel le tunnel sera moitié sous la souveraineté britannique et moitié sous la domination française doit encore permettre d'assurer dans une certaine mesure la protection du tunnel en cas de guerre. A ce sujet, quatre hypothèses sont à envisager: Guerre entre deux puissances autres que la France et l'Angleterre. Voie terrestre neutre, le tunnel sera, comme telle, protégé par les règles de la neutralité terrestre il devra être scrupuleusement respecté par les belligérants. 2° Guerre entre l'Angleterre et la France. Propriété anglo-française, le tunnel est un territoire belligérant. Chacun des belligérants pourra, si les nécessités de la guerre l'exigent, et ici elles l'exigeront toujours, ie détruire, comme il peut en pareil cas détruire la propriété privée et spécialement les chemins de fer existant dans le pays de son adversaire (n° 1176 et s., 1184 et s., 1197 et s.). Une convention expresse entre la France et l'Angleterre pourrait sans doute interdire la destruction du tunnel, mais il est peu probable que les deux pays se décident à restreindre ainsi leurs pouvoirs, L'article 15 du projet de traité du 30 mai 1876 déclare expressément que l'Angleterre et la France auront chacune, en temps de guerre et aussi en temps de paix, le droit de détruire le tunnel si elle le juge nécessaire. En cas de destruction, les sociétés concessionnaires pourront-elles réclamer une indemnité ? La convention de la Haye du 18 octobre 1907 sur les lois et coutumes de la guerre sur terre (art. 53) n'alloue une indemnité aux compagnies de chemins de fer que pour le matériel roulant. C'est la loi interne de chaque pays, en pratique la convention relative à la construction du tunnel, qui résoudra la question. L'article 15 du projet d'accord de 1876 a stipulé qu'en cas de destruction da

(1) V. Colombos, op. cit., p. 106.

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