« Quand la nuit essaie de revenir, il faut allumer les grands souvenirs, comme on allume les flambeaux. »> V. HUGO. Les pages qui suivent sont-elles une histoire. de Montpellier pendant la Révolution? Je n'oserais le dire, et je ne les regarde que comme un essai, qui inspirera peut-être l'idée d'achever cette histoire, et de la faire comme il faut. En attendant, il me semble bon que le public populaire puisse en connaître quelque chose. Il faut exposer à la génération présente ce qui s'est passé dans chaque ville, afin qu'elle sache comment on y était préparé à la Révolution, comment on l'y accueillit, d'où vinrent les résistances et les troubles qui appelèrent des mesures extrêmes, toujours à regretter, même quand elles sont justifiées. Il faut le faire sans passion, par les documents et les preuves. Cela est long, cela est froid; mais cela est utile. Il n'y a pas encore un siècle que la Révolution a régénéré la France; et pourtant on dirait que plusieurs siècles se sont déjà écoulés, tant est grande la différence entre nos mœurs et celles de nos pères, et tant nous sommes par là exposés à l'oubli des temps qui ont précédé la Révolution et des bienfaits que nous lui devons. A l'intolérance sanguinaire du clergé, des parlements, du pouvoir royal, a succédé la tolérance et même l'indifférence religieuse; aux priviléges, aux titres de noblesse, à la hiérarchie féodale, nous opposons l'égalité devant la loi et le mépris de tous les vains titres; le système despotique des maîtrises a fait place à la liberté de l'industrie; l'absurde férocité des peines et des supplices, à la simple sévérité; le chaos inextricable des lois et des coutumes locales, à l'unité de législation et d'administration. Mais aussi nous avons oublié ce qu'étaient ces lois oppressives, ces priviléges, cette intolérance. Avec l'unité actuelle, nous ne pouvons presque plus nous représenter l'ancienne France, morcelée, désunie, disparate par ses mœurs, ses lois, ses coutumes, son administration. Ceux qui ont écrit immédiatement après la Révolution connaissaient les oppressions du passé, et ils n'avaient pas à rappeler ces misères à des contemporains qui, comme eux, les avaient subies. Aujourd'hui, il n'en est plus de même. De ceux qui avaient vingt ans en 1789, il ne reste plus un ; et vraiment, entre ce qui a précédé la Révolution et ce qui est aujourd'hui, la différence est telle qu'il faut constamment rappeler ce qui était avant 1789, pour qu'aujourd'hui l'on puisse comprendre exactement combien cette révolution a été juste, inévitable, grande et bienfaisante. Dans les asiles des grandes villes, ce qu'avant tout on apprend aux enfants, c'est le nom de leur père, celui de leur rue et le numéro de leur maison, afin que, s'ils s'égarent, ils puissent s'y faire reconduire. Au même titre, il nous faut connaître la Révolution, d'où nous sortons, qui nous a faits ce que nous sommes, à laquelle nous devons toujours revenir; et, au lieu de cela, on apprend à nos enfants la conversion de Clovis, les atroces rivalités de Frédégonde et de Brunehault, dont ils n'auront que faire. Si le peuple a une idée de la Révolution, ce n'est point pour en avoir étudié les événements avec suite et réflexion dans les grands récits de nos historiens nationaux : l'argent lui manque pour les acquérir et le temps pour les lire. Le peu qu'il en sait lui vient des traditions de famille, de la conversation, de la littérature légère, des prédications; et il le reçoit en fragments incomplets, en échos toujours infidèles, faussés par une sympathie peu éclairée ou par une haine acharnée. En tous cas, de l'histoire locale avant et pendant la Révolution, il sait moins encore. Où l'aurait-il appris? Les rares documents qui, sous l'Empire et la Restauration, ont échappé à la destruction, sont épars dans les collections, les grandes bibliothèques, les archives, où ils lui demeurent inconnus. Il n'en sait donc rien, rien d'exact; et alors les détracteurs de nos institutions ont beau jeu pour dénaturer les faits et calomnier les émancipateurs de la nation. Dans l'histoire qu'ils écrivent, ces ennemis des libertés modernes ne disent rien des abus du passé, des tyrannies de détail, des souffrances populaires. Ils s'appesantissent, dans de longs mémoires, sur les points les plus insigni |