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encore jusqu'à Villeneuve sur Allier; et dès lors Napoléon ne trouva plus que des corps de Cosaques et Autrichiens destinés à l'escorter. Il refusa d'être accompagné par les soldats étrangers, pour n'avoir pas l'air d'un prisonnier d'état, et dit: Vous voyez bien que je n'en ai aucunement besoin. Il passa la nuit à Beaune, et partit le 23 à neuf heures du matin. Le colonel Campbell partit de Lyon en avant, pour aller chercher à Toulon ou à Marseille une frégate anglaise qui pût, d'après le vœu de Napoléon, le conduire dans son île. Le 24, Napoléon rencontra, près de Valence, le maréchal Augereau. Napoléon et le maréchal descendirent de voiture; Napoléon ôtà son chapeau et tendit les bras à Augereau, qui l'embrassa, mais sans le saluer. Où vas-tu comme ça? lui dit Napoléon en le prenant par le bras, tu vas à la cour? Augereau répondit que pour le moment il alloit à Lyon ils marchèrent près d'un quart-d'heure ensemble en suivant la route de Valence. Napoléon fit au maréchal des reproches sur sa conduite envers lui, et lui dit « Ta proclamation est bien bête; pourquoi des injures contre moi? il falloit simplement dire le voeu de la nation s'étant prononcé en faveur d'un nouveau souverain, le devoir de l'armée est de s'y conformer. Vive le Roi! vive Louis XVIII. »>

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Augereau se mit aussi à tutoyer Buonaparte, et lui fit, à son tour, d'amers reproches sur son insatiable ambition, à laquelle il avoit tout sacrifié, même le bonheur de la France entière. Ce discours fatigant Napoléon, il se tourna avec brusquerie du côté d'Augereau, l'embrassa, lui ôta encore son chapeau et se jela dans sa voiture. Augereau, les mains derrière le dos, ne dérangea pas sa casquette de dessus sa téle; et seulement lorsque l'empereur fut re'monté dans sa voiture, il lui fit un geste méprisant de la main, en lui disant adieu. En se retournant, il adressa un salut très-gracieux aux commissaires. Napoléon, toujours fidèle à son amour pour la vérité, dit au général Koller, une heure après « Je viens d'apprendre, à l'instant même, l'infàme proclamation d'Augereau; si je l'eusse connue lorsque je l'ai rencontré, je lui aurois bien lavé la tête. » Arrivé à Valence, des troupes françaises du corps d'Augereau, qui avoient arboré la cocarde blanche, rendirent cependant à Napoléon tons les honneurs dus à son rang; mais ce fut là son dernier triomphe, car nulle part, ailleurs il n'entendit plus de vivat. Le 25, à Orange, il fut reçu aux cris de vive le Roi! vive Louis XVIII! Jusque là Napoléon avoit été d'une humeur fort gaie et plaisantoit souvent lui-même sur sa situation; entre autres

choses, il disoit un jour aux commissaires, après avoir retracé avec beaucoup de franchise les différens degrés qu'il avoit parcourus dans sa carrière depuis vingt-cinq ans : « Au bout du compte, je n'y perds rien, car j'ai commencé la partie avec un écu de six francs dans ma poche, et j'en sors fort riche, »>

Le même jour, le matin, Napoléon trouva, un peu en avant d'Avignon, à l'endroit où l'on devoit changer de chevaux, beaucoup de peuple rassemblé qui l'attendoit à son passage, et qui, aux cris de vive le Roi! vivent les alliés! A bas Nicolas! à bas le tyran, le coquin, l'assassin des Français! le mauvais gueux ! Les chevaux se trouvant alors attelés, on les fit partir au grand galop; il fut reçu de la même manière dans tous les endroits qu'il traversa. A Orgon, village, la rage du peuple étoit à son comble; devant l'auberge où il devoit s'arrêter, on avoit élevé une potence, à laquelle étoit suspendu un mannequin, en uniforme français, couvert de sang, avec une inscription placée sur la poitrine et ainsi conçue: Tel seru tốt ou tard le sort du tyran. Le peuple se cramponnoit à la voiture de Napoléon, qui se cachoit derrière le général Bertrand le plus qu'il pouvoit ; il étoit pâle et défait, ne disoit pas un mot. Le comte Schuwaloff, à côté de la voiture de Napoléon, harangua cette multitude en ces termes :

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« N'avez-vous pas honte d'insulter à un malheureux sans défense? Il est assez humilié par la triste situation où il se trouve, lui qui s'imaginoit donner des lois à l'univers, et qui se voit aujourd'hui à la merci de votre générosité! Abandonnez-le à lui-même; regardez-le : vous voyez que le mépris est la seule arme que vous devez employer contre cet homme, qui a cessé d'être dangereux. Il seroit au-dessous de la nation française d'en prendre une autre vengeance!» A un quart de lieue en-deçà d'Orgon, Napoléon se déguisa, et mit une mauvaise redingote bleue, un chapeau rond avec une cocarde blanche, et monta un cheval de poste pour galoper devant sa voiture, voulant passer ainsi pour un courrier. Arrivé à Saint-Canat, sa voiture est entourée de furieux qui cherchoient à ouvrir les portières: elles étoient heureusement bien fermées, ce qui sauva le général Bertrand. Les femmes principalement avoient juré sa perte. A une demi-lieue de Saint-Canat, Napoléon entra dans une mauvaise auberge, appelée la Calade, accompagné d'un seul courrier; sa suite, depuis le général jusqu'au marmiton, étoit parée de cocardes blanches. Son valet-de-chambre vint au-devant des commissaires et les pria de faire passer Napoléon pour le colonel Campbell, parce qu'en arrivant il s'étoit annoncé pour tel à

l'hôtesse, qui avoit dit à Napoléon: Avez-vous rencontré l'empereur? Non, avoit-il répondu. Je suis curieuse, continua-t-elle, de voir s'il pourra se sauver ; je crois toujours que le peuple va le massacrer: aussi faut-il convenir qu'il l'a bien mérité, ce coquin-là! on le noiera, n'est-ce pas? Je l'espère bien! répliqua Napoléon. On se mit à table, mais comme ce n'étoit pas ses cuisiniers qui avoient préparé le diner, il ne pouvoit se résoudre à prendre aucune nourriture, dans la crainte d'être empoisonné. Son dîner fut composé d'un peu de pain et d'un flacon de vin, qu'il fit retirer de sa voiture. Il vouloit sortir de l'auberge par l'une des croisées sur le derrière de la maison, mais il y avoit des grilles de fer. Il s'étoit rassemblé dans cette auberge beaucoup de personnes la plupart étoient venues d'Aix; un individu, qui parut un homme de marque, s'offrit de faire maintenir l'ordre et la tranquillité à Aix, si les commissaires le chargeoient d'une lettre pour le maire de cette ville, ce qui fut accepté. Néanmoins rien ne pouvoit rassurer Napoléon; par une prévoyance exagérée, il prit encore de nouveaux moyens pour n'être pas reconnu par ses instances, il contraignít l'aide de canp du général Schuwaloff de se vêtir de la redingote bleue et du chapeau rond avec lesquels il étoit arrivé dans l'auberge, afin sans doute

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