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si heureuse disposition de lieux, par cela même qu'elle semble être l'ouvrage d'un être intelligent plutôt que l'effet du hasard, suffirait pour prouver la Providence. » (1)

César nous fait connaître quelles étaient la forme et l'installation des navires qu'employait à cette époque le commerce maritime des ports gaulois sur le Grand Océan. Le héros historien ne dépeint, il est vrai, que ceux des Vénètes, mais il est facile de comprendre que les autres ports de la Gaule occidentale devaient être au même point de progrès pour la construction maritime. Ce qui le prouve, c'est que les Commentaires signalent les rapports intimes et fréquents de ces contrées entre elles (2): « Ces vaisseaux avaient le fond plus plat que les autres et étaient par conséquent moins incommodés des bas-fonds et du reflux. La poupe et la proue en étaient fort hautes et plus propres à résister aux vagues et aux tempêtes. Tous étaient de bois de chêne et ainsi capables de soutenir le plus rude choc; les poutres transversales, d'un pied d'épaisseur, étaient attachées avec des clous de la grosseur d'un pouce leurs ancres tenaient à des chaînes de fer au lieu de cordes, et leurs voiles étaient de peaux molles bien apprêtées, soit faute de lin, soit parce qu'ils ignoraient l'art de

(1) Strabon, Géogr., liv. IV.

(2) Crassum cum cohortibus legionariis XII et magno numero equitatus in Aquitaniam profiscisci jubet, ne ex his nationibus auxilia in Galliam mittantur; ac tantæ nationes conjungantur.

(Cæsar. Comm., De Bello gallico, liv. III.)

faire la toile, soit pour qu'elles fussent plus à l'épreuve des vents impétueux de l'Océan, ou parce qu'ils les croyaient plus propres à faire mouvoir des machines aussi pesantes que l'étaient leurs navires, ce qui est plus vraisemblable. (1) »

Ainsi, dans ces temps éloignés, non-seulement les moyens de navigation étaient assez avancés à Bordeaux, mais encore les mœurs, les usages et l'industrie y favorisaient déjà le développement du commerce. Les habitants de l'Aquitaine aimaient la parure et les objets d'ornement, tels que bagues, bracelets et colliers; ils portaient des chausses étroites, des habits aux couleurs éclatantes et variées; on fabriquait des robes courtes à manches et des manteaux de laine épaisse hérissés de flocons, qu'on allait vendre jusqu'à Rome et dans toute l'Italie (2). Les femmes surtout y avaient un goût particulier pour la toilette; elles n'étaient jamais vues en public chétivement et mal en ordre (3), selon les expressions des anciennes chroniques. Pour les officiers de l'armée, les cottes d'armes se portaient rayées, brodées de fleurs; les casques, ordinairement en métal, étaient enrichis d'ornements divers.

Bordeaux, ainsi que chaque ville importante de la Gaule, avait des marchands ambulants qui transportaient les produits de son industrie dans les tribus les

(1) César, De Bello gallico, liv. III.

(2) Strabon, Géogr., liv. IV; Hoffmann, Hist. du Comm., traduction Duesberg, p. 311.

(3) Tillet, Chron. bordelaise, part. I, page 5.

plus éloignées, et, selon César, ces marchands faisaient naître partout où ils passaient l'intérêt et la curiosité (1).

Quant aux monnaies, les Bituriges-Vivisques, comme toutes les autres tribus gauloises restées indépendantes, se servaient de quelques pièces d'argent ou de cuivre grossières et sans effigie; mais en général, le commerce extérieur se faisait par voie d'échange (2).

Tels furent les premiers éléments du commerce de Bordeaux. En peu de temps, ils durent produire une grande prospérité, parce que l'action du, pouvoir était paternelle et simple, les impôts presque nuls, la liberté des échanges franche et complète. Tant il est vrai qu'après des erreurs, des luttes et des études de plusieurs siècles, on est tout surpris de reconnaître que le dernier mot de la science se trouve très-souvent dans les règles primitives les plus naturelles.

(1) Est autem hoc Gallicæ consuetudinis, ut, et viatores etiam invitos consistere cogant, et, quod quisque eorum de quâque re audierit, aut cognoverit, quærant et mercatores in oppidis vulgus circumsistat; quibusque ex regionibus veniant, quasque ibi res cognoverint, pronunciare cogant. (Cæsar. Comm., De Bello gallico, liv. IV.) ̧

(2) Strabon, Géogr., liv. III, p. 512.

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CHAPITRE II.

ÉPOQUE ROMAINE.

Le torrent des Barbares s'avance.

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Le luxe et les relations des Romains donnent une nouvelle étendue au commerce de Bordeaux. - Grande prospérité de cette ville à l'époque d'Ausone. Mais bientôt l'empire se corrompt et s'affaiblit. Les dépenses exagérées, la fausse politique et la peur font naître tous les désordres impôts excessifs, altération des monnaies, prohibitions. Le commerce de Bordeaux disparaît presque entièrement avec la confiance et la liberté. Ce qui en reste assiste languissant à la mort de l'immense société romaine et doit mourir avec elle.

La nouvelle ville de l'Aquitaine ne fut pas longtemps sous le pouvoir indépendant des chefs bituriges qui l'avaient fondée; comprise dans la soumission générale des Gaules, sous Auguste, elle conserva néanmoins ses coutumes, ses usages, son administration particulière (1). Pendant plusieurs années, l'autorité romaine n'y fut pour ainsi dire que nominale; Bordeaux s'aperçut à peine du changement de son état politique, et, selon Strabon, elle continua à jouir de sa liberté (2).

Sous le règne d'Aurélien, la province d'Aquitaine vit encore se développer sa vie et sa prospérité; ce prince encouragea le commerce et donna l'impulsion à de grands travaux. L'empereur Constance se

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(1) Verneilh Puiraseau, Histoire d'Aquitaine, t. I, p. 39.

(2) Strabon, Géogr., liv. IV.

déclara protecteur des gens de mer; il les exempta des contributions publiques et leur accorda de grands priviléges. Ce fut par ses soins que les rapports avec l'Angleterre, qu'avaient diminués les pirateries des Barbares, furent rétablis et protégés. Il répara et augmenta le nombre des vaisseaux qui portaient dans les Gaules les blés de la Grande-Bretagne; ces froments étaient ensuite transportés sur des barques qui remontaient les rivières pour l'approvisionnement des villes et des campagnes (1).

Au commerce primitif vinrent se joindre les rapports maritimes des Romains eux-mêmes; la Garonne fut bientôt fréquentée par tous les navires de construction variée qui parcouraient les différentes mers de l'Europe, et dont l'Aquitaine imita la grâce et la richesse. Les côtes d'Espagne et de Portugal établi– rent avec le port de Bordeaux un commerce important; on importait de la Turdétanie (Andalousie), de la Lusitanie (Portugal), de la Cantabrie (Asturies et Biscaye), du blé, du vin, de l'huile très-remarquable par sa qualité; Bordeaux en retirait encore de la cire, du miel, des bois de construction pour la marine, des salaisons, des laines de la plus grande finesse et tellement recherchées, qu'on achetait les béliers jusqu'à un talent pour tâcher d'en acclimater la race (2).

Bientôt l'ancienne Burdigala disparut pour faire place à une nouvelle cité plus grande, plus belle,

(1) Huet, Hist. du Comm. des anciens, p. 384.

(2) Strabon, Géogr., liv. III, p. 409.

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