Images de page
PDF
ePub

Antilles commencèrent à verser dans le commerce une quantité déjà considérable de café; la consommation de cette fève, celle du sucre et du cacao, prenaient en Europe des proportions immenses et doublaient déjà le commerce maritime de notre port, dont en 1739 le mouvement présentait les détails suivants :

Valeur totale de l'exportation, 20,027,063 liv.; valeur de l'importation, 12,309,317 liv. Balance en faveur de Bordeaux: 7,717,686 liv.

Ainsi, depuis 1823, les bénéfices du commerce maritime de Bordeaux avaient obtenu une augmentation annuelle de 3,277, 132 liv.

Remarquons que l'exportation des vins et eauxde-vie était restée absolument la même; le progrès portait tout entier sur l'importation et la réexportation à l'étranger des marchandises coloniales, commerce qui de 3,000,000 s'était élevé à 8,424,627 livres.

Le manuscrit de l'abbé Bellet, qui renferme ce dernier état, le fait suivre de quelques observations dont il nous paraît très-utile de reproduire le texte, parce qu'il fait connaître, mieux que toute analyse, les idées et l'opinion qui existaient alors sur plusieurs éléments importants de notre commerce (1).

«DES VINS.

>> Les vins sont sans doute la denrée la plus commune et la plus abondante de la province de Guyenne;

(1) Manuscrits des abbés Bellet et Beaurein (bibliothèque de Bordeaux.) - Archives de la chambre de commerce, état de 1739.

-

c'est de celle-là qu'elle semble tirer tous ses secours; elle forme la seule manufacture du pays, puisqu'elle occupe toute l'année la plus grande partie des paysans. Parmi tous les métiers, il y en a un qui lui est particulièrement destiné, c'est celui des charpentiers de barriques; elle consume encore un grand nombre d'autres denrées. Tout cela paraît dans la culture des vignes qui demandent plusieurs labours de terre, plusieurs façons à la plante; des échalas et des vîmes, des pressoirs et des cuves, des tonneaux avec leurs cerceaux. Les vendanges occupent encore un plus grand nombre de gens pendant deux mois, ensuite beaucoup de voitures, de chevaux, de charrettes et de bateaux. La majeure partie du bois pour les cuves et les barriques vient du Nord, et sert à faire la troque avec les vins et les eaux-de-vie. On remarquera que la douzaine de barriques étant à 29 écus, c'est pour mille douzaines, qui font 3,000 tonneaux, la somme de 24,000 écus. On remarquera encore que tout tonneau de vin coûte au propriétaire une dépense de 50 liv., qu'ont gagnées les paysans, les artisans et les propriétaires des autres denrées employées pour les vignes et vins. On fait état de 50,000 tonneaux de vin chargés pour l'étranger; en supposant qu'ils ne sont vendus, l'un portant l'autre, que 100 liv., la somme monte à 5,000,000 de livres, dont il y en a déjà de dépensé par le propriétaire 2,500,000 liv. Sur ces 50,000 tonneaux, 2 pistoles de droit pour le roi par chaque tonneau montent à 100,000 pistoles. Ajoutons près de 30,000 barriques

d'eau-de-vie qui ont consommé huit fois autant de vin pour le moins, c'est-à-dire 240,000 barriques, qui font 60,000 tonneaux, et encore les barriques qui contiennent cette eau-de-vie, le bois qui a été brûlé, le salaire des ouvriers qui ont été occupés; le prix de tout va à une somme fort haute, sur laquelle bien des gens ont gagné; elle monte à 100 liv. par barrique, soit 2,500,000 liv., dont la moitié a été consommée en dépenses, soit 1,250,000 liv. Le vinaigre chargé pour l'étranger va à 400 tonneaux, qui ont coûté, pour frais de culture, autant que du vin, c'est-à-dire près de 25 liv. par tonneau, ou 10,200 liv. Le prix de la vente à 100 liv. par tonneau monte à 40,000 liv., dont, distraction faite des frais de culture, il reste 20,000 liv.; on a distrait ici le prix des barriques, parce qu'on emploie pour le vinaigre des barriques vieilles qui coûtent moitié moins que les neuves.

» En Angleterre, on fait une petite consommation des vins de Guyenne, même ce n'est que des grands vins, ainsi appelés par leur qualité et par leur prix; car il y en a qui se vendent depuis 400 liv. jusqu'à 1,600 liv., et 2,000 liv. le tonneau; mais de ceux-ci la quantité est médiocre, à cause des droits excessifs d'entrée, ce qui fait même que les Anglais ne peuvent prendre que des vins de haut prix; mais comme il n'y a que très-peu de droits sur les vins de Portugal, ils y prennent une certaine quantité, et ils tirent des sucres blancs, de l'or et de l'argent en matière et en monnaie, des toiles, des sels et des fruits autant qu'il

en faut pour couvrir le grand nombre de draperies, de toiles et autres marchandises qu'ils envoient en Portugal et au Brésil. Ce commerce doit un jour ruiner le Portugal aussi bien que l'Espagne et l'Italie, où les Anglais prennent peu de vin.

>> Les seconds vins se débitent en Écosse et en Irlande, d'où il revient en retour du bœuf salé, dụ beurre et du suif.

» La Hollande consomme quelque peu de ces sortes de vins; le plus grand nombre est des vins blancs de côtes, appelés d'Entre-deux-Mers, et de Preignac, de Barsac, de Langon, etc.; mais surtout des vins de Bergerac et de Sainte-Foy, sur la rivière de Dordogne.

>> Hambourg et le Nord prennent des vins rouges de palus, avec des blancs de même espèce que les Hollandais. Les vins de Naples ne sont guère connus à Hambourg; on y boit du vin du Rhin, et le commun peuple boit du vin de Bordeaux.

» Les vins de palus se débitent en Hollande, dans le Nord et dans les îles françaises; quand ils se trouvent bons, ils ne manquent pas de débit; le pays bordelais en consomme beaucoup, soit pour la boisson, soit pour le mélange avec des vins moins couverts,

» On a dit souvent qu'il y avait trop de vin dans la province, et on le sent bien par le bas prix où il est; car ce n'est pas le défaut de consommation qui fait baisser ce prix, puisqu'il s'y consomme plus de vin qu'auparavant; ou qu'étant égal, il y reste encore du

vin plus qu'on en peut consommer; le défaut vient donc de la plus grande quantité qu'il y en avait avant qu'on ne plantât tant de vignes. Les plantations faites depuis vingt ans égalent toutes celles qui étaient faites auparavant. Les récoltes trop abondantes se touchent de trop près; on avait été excité à planter, parce que les vins ont été pendant quelque temps un revenu solide. Aujourd'hui, la trop grande quantité fait rabaisser la denrée; ainsi, un tiers moins de vignes rendrait riche la province, au lieu que ce tiers de trop la ruine. Pour nos vins, il ne faut pas craindre que l'étranger les abandonne: 1° parce qu'ils sont de la qualité la plus estimée par eux; 2o parce que l'étranger en retire des droits pour l'État; 3° parce qu'il travaille avec nos vins et fait travailler beaucoup d'artisans; 4o parce que les vaisseaux gagnent beaucoup par le fret; car le fret étant à 1 pistole par tonneau, c'est 500,000 liv. pour 50,000 tonneaux.

>> Pour les eaux-de-vie, il est certain que celles de grains que fait l'étranger a fait en partie tomber les nôtres. On ne saurait l'empêcher; mais il ne pourrait se passer des eaux-de-vie de vins pour les riches, pour les remèdes et les plaies; il n'y a que le peuple qui puisse user de celles de grains pour la boisson.

» Au reste, la consommation de nos vins n'est pas moindre chez l'étranger qu'auparavant, puisqu'on y envoie plus de vins qu'on n'en envoyait depuis vingt ans il en prendrait peut-être plus si on lui permettait en France l'entrée de ses manufactures et de ses

« PrécédentContinuer »