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vasion des Barbares et que continua la servitude du moyen-âge?

Dès cette époque brillante que nous venons de dépeindre, et qu'embellissaient le luxe transporté dans les Gaules, le séjour d'une légion, les dépenses d'une aristocratie romaine riche et prodigue; au sein, disons-nous, de cette prospérité, Bordeaux renfermait déjà des éléments de faiblesse et de destruction que la décadence de l'empire augmentait chaque jour.

Les monnaies romaines, introduites dans l'Aquitaine, y étaient devenues une cause rapide d'activité commerciale; mais les fraudes et les altérations incessantes les convertirent bientôt en moyens de perturbation.

« Les empereurs, dit Montesquieu, réduits au désespoir par leurs dépenses, se virent obligés d'altérer les monnaies; Didius Julien en commença l'affaiblissement. On trouve que la monnaie de Caracalla avait plus de la moitié d'alliage; celle d'Alexandre Sévère, les deux tiers; l'affaiblissement continua, et sous Gallien on ne voyait plus que du cuivre argenté. »

Bordeaux avait en outre, il est vrai, des monnaies qui lui étaient particulières, mais les mêmes raisons. durent entraîner l'altération des monnaies locales.

D'un autre côté, les taxes romaines, exercées d'abord avec modération, prirent une extension désastreuse; les guerres des peuples du Nord et les luttes sanglantes des prétendants à l'empire,

jointes aux exactions des proconsuls, les rendirent écrasantes; on prélevait un droit de 5 p. 100 de la valeur pour la seule exposition des objets sur les marchés. Les empereurs établirent bientôt un tarif intolérable, qui frappait à l'importation toutes les marchandises étrangères. Ce système reçut son application dans toutes les provinces conquises (1).

Des lois de prohibition absolue vinrent aussi porter un coup mortel au commerce. « La politique romaine, dit Montesquieu, fut de se séparer de toutes les nations qui n'avaient pas été assujéties. La crainte de leur porter l'art de vaincre fit négliger l'art de s'enrichir. Ils firent des lois pour empêcher tout commerce avec les Barbares. Que personne, disent Valens et Gratien, n'envoie du vin, de l'huile ou d'autres liqueurs aux Barbares, même pour en goûter; qu'on ne leur porte point de l'or, ajoutent Valentinien et Théodose, et que même ce qu'ils en ont, on le leur ôte avec finesse. » Le transport du fer fut défendu sous peine de la vie (2).

Certains empereurs firent même arracher une grande partie des vignes dans l'Aquitaine, de crainte que cette liqueur n'y attirât les Barbares (3). On redoutait pour ces belles contrées l'enthousiasme que l'Italie avait excité chez les peuples du Nord. Plu

(1) Code De vectigalibus, liv. VII.

(2) Montesquieu, Esprit des Lois, ch. XI.

Non solum Barbaris aurum minimè præbeatur, sed etiam si apud eos inventum fuerit, subtili auferatur ingenio.

(Lib. II, au code De commerciis et mercatoribus.)

(5) Montesquieu, ibid.

tarque écrivait à peu près à la même époque qu'Aruns le Toscan avait attiré les Barbares, en leur montrant les fruits dorés et les vins précieux: « Aussitôt qu'ils en eurent goûté, dit l'historien, ils saisirent leurs armes pour chercher ces heureuses contrées, auprès desquelles toute autre leur paraissait stérile et sauvage. » (3)

Enfin, la séparation des empires d'Occident et d'Orient vint détruire le patriotisme, augmenter la faiblesse et compléter le désordre; une nuée de peuples sortis des marais de la Baltique, Goths, Visigoths, Gépides, Vandales, Hérules, Saxons et autres, se répandirent dans la Gaule et dans l'Italie, ravagèrent l'Aquitaine, incendièrent sa métropole, et le faible empereur Honorius, espérant arrêter leurs conquêtes, permit aux Visigoths de fonder le royaume de Toulouse, dans lequel la ville de Bordeaux se trouva comprise.

(3) De la Primaudaie, Hist. du Comm. du moyen-âge, p. 125.

CHAPITRE III.

INVASION DES BARBARES.

DUCS D'AQUITAINE.

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Anéantissement du commerce de Bordeaux. - Il se ranime un moment sous Charlemagne, mais ce n'est qu'un éclair rapide. Dévastation par les Normands. Ruine générale de l'Aquitaine. - De ce cataclysme qui dure deux siècles sort une société toute nouvelle. — Domination et privilége de la race guerrière. — Constitution hiérarchique des nobles, partage des terres, esclavage des peuples, mépris des arts et du commerce. La loi est morte. Le droit n'a pour base que la force du seigneur. - Taxes arbitraires. Spoliations. - Brigandages. Droit de naufrage.

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Tout esprit de justice et de liberté commerciale a disparu dans l'incendie de la vieille Europe.

Il faut essayer d'écrire une partie quelconque de l'histoire, pour comprendre la nuit profonde qui se répandit sur l'Europe, au moment où cessa de luire pour elle le flambeau de l'empire romain; les arts, l'éducation, les sources de la richesse sociale, tout disparut sous le torrent des Barbares, et lorsqu'on cherche à peindre les phases successives du commerce, on ne peut, en arrivant à cette époque, que constater sa disparition complète et présenter le triste récit de cette calamité qui dura plusieurs siècles.

Tous les rapports commerciaux, frappés et paralysés, s'arrêtèrent simultanément parce que l'invasion et la ruine furent générales: les Alains, les Vandales, les Visigoths, les Suèves ravagèrent la Gaule et l'Espagne; la Grande-Bretagne devint la proie des Saxons, l'Italie et la Grèce furent parcourues par les

Huns, et la partie de l'Allemagne commerçant avec les Gaules se soumit aux armes des Bourguignons.

Les contrées se dépeuplèrent, l'agriculture cessa de produire pour le commerce, les trois quarts des vignobles disparurent, notamment dans l'Aquitaine, parce que cette culture demande des soins qui ne pouvaient convenir au caractère et aux habitudes guerrières des peuples du Nord.

Les vainqueurs s'emparèrent presque entièrement du sol. « Lorsque les Barbares faisaient leurs invasions, dit Grégoire de Tours, ils prenaient l'or, l'argent, les meubles, les vêtements, les hommes, les femmes, les enfants; le tout se rapportait en commun et l'armée partageait (1). » Les Visigoths, qui furent cependant les plus modérés, prirent les deux tiers des terres : « Licet eo tempore quo populus noster mancipiorum tertiam et duas terrarum partes accepit. » (2)

Comment le commerce de Bordeaux aurait-il résisté dans ce naufrage complet de la propriété et de la liberté ?... Ce qui restait d'hommes libres dut s'éloigner d'une profession qui ne pouvait plus trouver ni considération ni sûreté, et quant aux habitants soumis à la servitude, ils n'avaient aucun droit réel de propriété et ne pouvaient rien transmettre (3). Le commerce fut entièrement avili, les Barbares ne le regardèrent d'abord que comme un objet de leur

(1) Grégoire de Tours, liv. II, ch. XXVII.
(2) Lois des Bourguignons, tit. 54, § 1.
(3) Joachim Potgienserus, De statu servorum.

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