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quinze villes populeuses et un nombre considérable d'habitations opulentes faisaient une immense consommation des produits de l'industrie et du sol français.

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En 1769, un nouvel avantage s'ouvrit pour le commerce de Bordeaux : le Gouvernement rendit la liberté aux opérations maritimes avec les Indes orientales, et les armateurs bordelais profitèrent rapidement de cette situation. A partir de cette époque, jusqu'à 1786, moment où l'État mal inspiré crut devoir rétablir de nouveau le privilége exclusif de la grande Compagnie, Bordeaux expédia aux Indes dix navires par an, terme moyen; nos exportations consistaient, savoir les deux tiers en piastres, le reste en vins, eaux-de-vie, liqueurs, objets de quincaillerie, mercerie, draperie, cordages, fil d'or, bijoux, etc. Les retours se faisaient en mousselines, toiles de coton propres à l'impression, toiles pour la traite, thé, salpêtre, soies écrues, drogues médicinales, bois de teinture, etc. Bordeaux, dit M. Jouannet, avait sur tous les ports de France l'inappréciable avantage d'être l'entrepôt naturel de tous les objets dont se composaient les cargaisons destinées aux Indes; il tirait en effet de son propre sol les vins et les eaux-de-vie; de ses fabriques spéciales, les liqueurs et les cordages; de ses rapports journaliers avec tout le Nord, le fer, le cuivre, l'acier et le plomb; enfin, le solde de ses transactions commerciales avec l'Espagne s'opérait en piastres avec l'avantage de 1 p. 100 meilleur marché. Il résultait

de cette situation que le bénéfice de Bordeaux dans le commerce des Indes était supérieur à celui des autres places et s'évaluait à une moyenne de 37 p. 100.

En 1775, l'importation des marchandises coloniales de nos îles d'Amérique s'élevait, dans notre port, à une valeur de 53,232,025 liv., chiffre trois fois supérieur à celui de 1750, savoir :

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Ces importations s'étaient opérées par deux cent vingt navires.

Cette immense prospérité atteignit enfin son apogée vers 1778. Au moment où la France contractait une alliance offensive et défensive avec les ÉtatsUnis, et déclarait la guerre à l'Angleterre, le mouvement commercial de Bordeaux était réellement prodigieux; il accaparait presque complètement toute la navigation de Saint-Domingue; cette île et notre port formaient, pour ainsi dire, deux noms inséparables dans la statistique commerciale. Sur deux cent quatre-vingt-quatorze navires expédiés à cette époque par Bordeaux aux colonies françaises, les deux tiers au moins ne faisaient que les voyages d'Haïti; la plus grande partie des émigrants et des passagers pour cette île venaient de tous les points

de la France s'embarquer à Bordeaux; nos cales, encombrées nuit et jour de tonneaux et de colis, permettaient à peine la circulation; la Garonne, continuellement sillonnée par les bâtiments et les embarcations, présentait le tableau le plus magnifique. Un écrit, publié à peu près à cette époque, s'exprime ainsi « De toutes les villes de France, Bordeaux est une des plus curieuses à connaître. Si vous voulez avoir le tableau de l'abondance, cherchez-le à Bordeaux. A Paris, peu de gens jouissent tout le reste n'a de jouissance que par l'imitation et la société de ceux qui jouissent; à Bordeaux, vous trouverez une abondance facile, une abondance généralisée, celle qui en donne le sentiment à toutes sortes de spectateurs; on dirait que le Pactole y coule, et coule pour le peuple. »> >> - Arthur Young, voyageur anglais, dit encore : « Malgré tout ce que j'avais vu ou entendu sur le commerce, les richesses et la magnificence de la ville de Bordeaux, tout cela surpassa

mon attente. »>

La place de Bordeaux offrait, en effet, les résultats les plus heureux qu'ait jamais présentés le commerce: les affaires répandaient dans toutes les classes un luxe, un confort, qui devait surprendre les étrangers. Des quartiers magnifiques remplaçaient de tous côtés la vieille ville; l'intelligence et l'aptitude commerciales se montraient partout; déjà marchaient dans tout leur éclat des armateurs que notre commerce compte encore dans ses rangs les maisons Abraham Gradis, Cabarus, Bonaffé, Letellier, jouis

saient d'une réputation européenne; nulle part au monde les opérations ne se faisaient d'une manière plus régulière et plus rapide. La tenue des maisons de commerce était admirable et digne de la richesse du pays. « Pour se faire une juste idée de notre port à cette époque, dit M. Jouannet, il ne faut pas seulement considérer le produit des affaires, ces millions qui, partagés entre une foule de maisons de commerce, les entretenaient dans l'opulence; il faut surtout regarder comme un bénéfice plus général et plus réel ces frais de construction navale, d'armements, de désarmements, d'achats et de transports de vins, frais qui, de la caisse de l'armateur, faisaient passer la majeure partie de ses bénéfices dans les mains du cultivateur, de l'ouvrier, du marin, enfin de toute une population active et nombreuse; nul n'était pauvre, pourvu qu'il eût des bras, du courage et de la santé. >>

Le tableau du commerce maritime se résumait ainsi :

EXPORTATIONS.

POUR L'ANGLETERRE. Valeur en espèces, 953,663 livres, sur lesquelles 914 tonneaux de vins, 283 barriques eau-de-vie; indigos, pour une somme de 18,904 liv.

POUR LA HOLLANDE. Valeur en espèces, 22, 103,902

livres, dont 1,398,582 liv. cafés; 14,882,087 livres sucre; 14,388 tonneaux vins, et 814 barriques eau-de-vie.

POUR LE NORD. Valeur en espèces, 27,678,429 liv..., savoir: cafés, 4,274,412 liv.; sucre, 16,939,039

livres; indigo, 440,288 liv.; vins, 13,181 tonneaux; eau-de-vie, 2,422 barriques.

POUR LES COLONIES. Valeur en espèces, 8,467,304 livres, où figurent : 500 barriques eau-de-vie; 10,735 tonneaux vin; farines, pour une valeur de 132,092 liv.

IMPORTATIONS.

D'ANGLETERRE. Valeur en espèces, 1,865,131 liv., dont beurre, 67,337 liv.; charbon, 1,126,800 livres; tabac, 498,400 liv.

DE HOLLANDE. Valeur en espèces, 3,309,328 liv., dont: cuivre, 75,233 liv.; fer, 50,821 liv.; fromage, 470,712 liv.

DU NORD. Valeur en espèces, 6,293,984 liv.,

savoir: Danemarck, 293,063 liv.; villes anséa tiques, 3,499,640 liv.; Russie, 1,140,041 liv.; Suède, 1,363,240 liv.

DES COLONIES FRANÇAISES. Valeur en espèces, 120,610,672 liv., dont : sucre, 101,271,443 livres; café, 13,792,832 liv.; indigo, 1,512,096 livres (4).

On voit encore ici que si le commerce des vins et eaux-de-vie était à peu près resté stationnaire, celui des marchandises coloniales avait doublé depuis trois ans dans le port de Bordeaux.

(1) Archives de la chambre de commerce, Tableaux d'importation et d'exportation du port de Bordeaux.

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