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Au premier moment de la guerre de l'indépendance américaine, l'ouverture des ports des ÉtatsUnis produisit d'abord de bons résultats pour l'industrie, et se fit heureusement sentir dans notre port; mais la marine puissante des Anglais, s'emparant bientôt d'une partie de nos navires marchands, causa des désastres sur la place. Toutefois, le Gouvernement organisa avec rapidité des escortes puissantes pour nos convois; dès 1780, les pertes du commerce se trouvaient réparées, et en 1782, notre port put expédier aux colonies d'Amérique jusqu'à trois cent dix navires, jaugeant 117,710 tonneaux, et reçut de nos îles pour une valeur de 130,000,000 de livres tournois de différentes denrées. La paix, signée à Versailles le 3 septembre 1783, ne fit que dégager de ses préoccupations une prospérité commerciale que la guerre n'avait même pas diminuée.

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Fatigués d'une lutte vive et coûteuse, les Anglais proposèrent alors à la France un traité de commerce qui fût de nature à favoriser les deux nations et à garantir une longue paix : ils offraient de diminuer considérablement leurs droits sur nos produits, si des concessions assez larges étaient faites à leur industrie. De son côté, le roi Louis XVI, prince bon, honnête et studieux, avait compris les vrais besoins de son royaume; il sentait qu'une sage liberté était le seul principe fécond du commerce, et que la base essentielle de la prospérité française serait toujours l'agriculture. Des conférences préliminaires eurent lieu, et durèrent longtemps; les ports de mer et les

fabriques consultées avec équité défendirent chacun leur opinion avec la plus grande vigueur; enfin, après trois années d'étude, le traité de commerce avec l'Angleterre fut signé.

Ce traité, qui a donné lieu à tant de critiques passionnées, fut cependant un acte d'économie politique auquel la postérité rendra plus de justice; c'est le premier pas du grand système qui commence à triompher et ne doit pas périr. Les novations hardies rencontreront toujours de grandes difficultés dans leur première application. Est-ce à dire qu'il soit mieux de persévérer dans les mauvaises voies pour conserver l'ordre apparent de la routine? Sans doute, toute notre industrie n'était pas prête alors pour la lutte comme elle l'est aujourd'hui; d'un autre côté, l'habileté de la diplomatie anglaise obtint sur nous quelques avantages; c'est encore vrai; mais néanmoins, la mesure était rationnelle et bonne dans son ensemble: le commerce naturel de nos produits y recueillit de grands résultats immédiats; plusieurs de nos fabriques principales y prirent un nouvel essor, et y auraient trouvé une source immense de prospérité, si les événements n'en avaient arrêté la marche. Les relevés officiels du mouvement commercial de 1787 à 1792 indiquent que les exportations d'objets fabriqués de France pour l'Angleterre s'étaient accrues dans cet intervalle. Ne soyons donc pas injustes envers cette convention, quel que soit notre intérêt; elle restera comme un des actes politiques les plus sérieux du siècle dernier.

Ce traité détruisait en principe la prohibition de tous produits manufacturés anglais, et la remplaçait par des droits d'entrée d'une modération relative. Ainsi, les tissus de coton, y compris les mousselines, les draps, la quincaillerie, la mercerie, la faïence, la poterie, etc., etc., furent taxés, à leur entrée en France, à 12 p. 100, ad valorem; la sellerie, à 15 p. 400. Ce droit fut adopté comme présentant une protection suffisante à l'industrie nationale, sans cependant rendre impossible le commerce anglais.

L'entrée des marchandises anglaises n'était permise que par les ports de Bordeaux, Calais, Boulogne, le Havre, Rouen, Saint-Malo, Nantes, La Rochelle et Cette.

En échange, les vins français, qui payaient à leur entrée en Angleterre 7 schellings 10 pence par gallon, c'est-à-dire 2 fr. 17 cent. par litre, furent taxés à 4 schellings 6 pence par gallon, soit 4 fr. 33 cent. par litre; et la parfumerie, la soierie, la ganterie, la tabletterie, les fleurs artificielles, les batistes, les blondes, les dentelles, et en général tous les objets de mode parisienne, furent considérablement allégés.

Il faut reconnaître néanmoins que ces corrections étaient encore insuffisantes, notamment en ce qui regarde nos liquides, puisque le droit d'entrée sur nos vins s'élevait à 1,295 fr. par tonneau, ce qui rendait impossible l'exportation de nos vins ordinaires de grande consommation; mais le trésor anglais ne pouvait se soumettre qu'à des réformes progres

sives, et il est évident que l'amélioration fut sensible pour nous. Ainsi, dès la seconde année du traité, en 1787, la consommation des vins de Bordeaux en Angleterre s'éleva à 2,127 tonneaux, lorsque, l'année précédente, elle se trouvait réduite à 480 tonneaux. On voit encore que la consommation de tous les vins français en Angleterre fut, en 1790, de 29, 181 tonneaux, au lieu de 15,542 tonneaux, chiffre de 1784.

Ce traité fut donc un véritable bienfait, malgré les imperfections qu'on peut lui reprocher; il consacrait, pour la première fois en Europe, le principe de la liberté commerciale. Quelle immense prospérité serait la nôtre aujourd'hui, s'il eût continué à fonctionner depuis près d'un siècle !

La situation générale du commerce de notre port, de 1786 à 1790, est parfaitement établie dans un mémoire manuscrit fait, en 1799, par le bureau consultatif du commerce. En voici les points principaux :

« NAVIGATION.

» On évaluait, comme nous l'avons déjà vu, de 280 à 300 le nombre des navires que la ville de Bordeaux employait au commerce de l'Amérique et de la côte d'Afrique; leur grandeur était de 300 à 600 ton

neaux.

>> Il arrivait tous les ans, à Bordeaux, de 600 à 650 bâtiments étrangers, et tous ces navires en repartaient avec des chargements complets de vins, eaux-de-vie, sucres, cafés, indigos, sirops, mélasses, prunes, etc., etc.

» De 4,500 à 2,000 caboteurs environ, de 40 tonneaux en moyenne, opéraient alors le transport des vins, blés, poissons et autres denrées, entre Bordeaux, la Bretagne et les ports de la Manche. De 100 à 150 caboteurs, de 25 tonneaux en moyenne, fréquentaient les ports de Libourne, de Blaye et de Bourg.

>> COLONIES D'AMÉRIQUE.

>> Les chargements pour nos îles s'élevaient annuellement, en moyenne, à une valeur de 52,500,000 livres.

>> Les retours à une valeur de 87,625,000 liv., savoir: 28,875,000 liv. en café, 50,000,000 liv. sucre, 6,000,000 liv. coton, 400,000 liv. cacao, 3,750,000 liv. en indigo, et 100,000 liv. environ en bois de campêche et d'acajou, rocou, liqueurs, confitures, gingembre, etc., etc.

>> ESPAGNE ET PORTUGAL.

>> Bordeaux avait des relations avec l'Espagne et le Portugal pour les laines, les indigos, la cochenille, les fruits, les vins-liqueurs et les piastres nécessaires pour le commerce de l'Inde; on y exportait des draps, des toiles, des farines, et même des sucres.

» Par le canal du Languedoc et la mer Méditerranée, Bordeaux expédiait des sucres et des cafés à Gênes, à Venise, à Trieste et à Naples.

» NATIONS DU NORD.

» Les rapports de la ville de Bordeaux avec les nations commerçantes du Nord sont très-anciennes,

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