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pectifs de l'agriculture et de l'industrie. Quand on s'oppose à ce besoin, alors la contrebande s'en mêle, les gouvernements sont trompés, leur autorité est méconnue, et toujours le besoin ou le désir sont plus ou moins satisfaits.

» Cette pensée n'est pas une vaine théorie; elle est basée sur l'observation et l'expérience de tous les jours. Nous osons la proclamer comme fondamentale.

» Elle seule est grande dans ses développements, heureuse dans ses résultats; elle seule peut faire arriver les nations au plus haut degré de puissance qui leur soit destiné.

» Les fabriques elles-mêmes s'améliorent et prospèrent à l'aide de son influence, et les villes manufacturières, en demandant des priviléges exclusifs, serviront bien moins leur intérêt général que celui de quelques chefs de fabriques.

» Ceux-ci, sans doute, peuvent se croire intéressés à ce que leurs marchandises soient les seules consommées, et à devenir ainsi les régulateurs absolus de la qualité et du prix; mais les villes manufacturières ont un autre intérêt : il leur faut du travail et un travail certain, et ce travail ne peut résulter que du perfectionnement qui assure la consommation.

» Or, sans le besoin constant de se perfectionner, l'industrie ne fait point de progrès; elle rétrograde, au contraire, et alors l'industrie étrangère, servie par la contrebande, et la contrebande facilitée par la force des choses, s'empare de toutes les avenues,

de toutes les consommations, et finit par absorber tous les moyens et détruire jusqu'aux dernières espé

rances.

» Mais les fabricants eux-mêmes se trompent dans leurs combinaisons sur leur propre intérêt; ils se trompent et comme Français et comme fabricants.

» Comme Français, car ils sont intéressés à ce qu'un système de prohibition absolue ne devienne pas un vaste champ de fraude qui séduise les préposés et les marchands, qui rende illusoires les dispositions du Gouvernement, qui dévie l'esprit national et corrompe la morale publique; ils ont intérêt aussi que le trésor public s'enrichisse par des droits établis sur l'introduction des marchandises étrangères; car ce sera seulement alors que le Gouvernement aura des moyens supérieurs aux besoins, que nous verrons renaître cette absolue confiance des particuliers envers l'État et des particuliers entre eux, confiance qui est la source de la force nationale et de la prospérité particulière.

>> Ils se trompent aussi comme fabricants; car une concurrence ténébreuse, telle que celle qui résulte de la contrebande, est bien plus nuisible à leur propre intérêt que celle qui naîtrait d'une introduction ostensible. On ne peut jamais calculer les effets de la fraude ou se prémunir contre son influence. Le fabricant français peut agir d'après la conviction qu'il sera seul pour la consommation de la France; et tandis qu'il fait ses approvisionnements, qu'il opère dans cet esprit, il se prépare sourdement des intro

ductions frauduleuses qui vont remplir les magasins et pourvoir aux besoins des consommateurs. Alors que devient le fabricant? Il est obligé d'attendre, quelquefois de donner à perte, et il trouve ainsi sa ruine dans la combinaison qu'il avait crue destinée à faire sa fortune.

>> Dira-t-on que, si la prohibition est absolue, on pourra arrêter, saisir? Mais ne sait-on pas qu'un tel système n'a jamais empêché la fraude, qu'il a fait trop souvent des victimes innocentes, et qu'il a toujours été pour le commerce un sujet d'alarmes et de réclamations?

>> Ne sait-on pas aussi que les Anglais imitent parfaitement nos plombs, nos marques et nos bouts de pinces?

» Ainsi, au lieu de défendre, de proscrire, de demander des prohibitions qui ne peuvent être assurées que par des combinaisons inquisitoriales et vraiment odieuses; au lieu de multiplier les lois et de déconsidérer l'autorité en la rendant impuissante, que le Gouvernement, après avoir soumis les marchandises de fabriques étrangères à un droit sagement combiné, emploie le produit de ce droit à donner à chacune de nos fabriques les primes, les encouragements qui peuvent leur être nécessaires, et alors il conciliera tout à la fois l'intérêt national et l'intérêt du fabricant.

» Cette marche est la seule bonne, la seule convenable, et nous nous faisons un devoir de la réclamer en faveur des fabriques nationales. »

Après ces considérations, M. Portal se résume, en déclarant : « Qu'un traité de commerce entre la France et l'Angleterre est réclamé par la force des choses; >> Qu'il est conforme aux principes d'une sage économie politique;

>> Qu'il sera très-utile à notre agriculture, et que par là il concourra puissamment au développement de notre principale richesse;

>> Qu'il sera utile à nos fabriques en les dégageant d'une concurrence ténébreuse et frauduleuse, et en donnant aux gouvernements les moyens de leur accorder les facilités et les primes qui leur sont nécessaires;

>> Qu'il sera utile à la morale publique en extirpant ces combinaisons continuelles de fraude et de contrebande;

» Et enfin, qu'il sera, entre les deux nations, un nouveau gage de paix et d'amitié. »

Nous avons cru devoir donner ce long extrait, qui prouve que le commerce de Bordeaux fut toujours un des premiers à exposer et à défendre les vrais principes qui triomphent enfin de nos jours.

Malheureusement, les sages avis des places maritimes ne furent pas écoutés; la rivalité haineuse des deux nations rendait impossible une paix durable : le premier consul ne voulait rien céder sans de sérieuses compensations; la Grande-Bretagne ne faisait, sur les vins et eaux-de-vie, aucune concession pratique et réelle; la bonne foi existait encore moins dans la politique; Napoléon entendait au fond que l'Angleterre reconnût la prépondérance de la France en

Europe; de son côté, et malgré les stipulations du traité d'Amiens, le ministère anglais s'obstinait à détenir l'île de Malte; les négociations du traité de commerce furent donc rompues, et les hostilités recommencèrent en 1803.

La Grande-Bretagne reproduisit alors un de ces actes assez fréquents dans son histoire: contrairement aux premières règles du droit des gens, et près d'un mois avant la déclaration des hostilités, ses navires de guerre se répandirent dans toutes les directions de notre commerce maritime, capturèrent les trois quarts de nos bâtiments, et occasionnèrent des pertes immenses sur toutes nos places. Bordeaux fut un des ports les plus gravement frappés sur 156 navires qui n'avaient pas opéré leur retour, 63 furent pris, 23 disparurent, 36 restèrent en relâche, et leur valeur fut en peu de temps dépassée par les frais; 9 furent condamnés, et 25 seulement rentrèrent. Le gouvernement français déclara, il est vrai, que le produit des prises faites sur les Anglais serait employé à indemniser les armateurs; mais les circonstances empêchèrent l'exécution de ce décret.

Bientôt recommencèrent avec une nouvelle fureur les mesures extrêmes que la paix d'Amiens avait un moment suspendues; de nouvelles lois, de plus en plus rigoureuses, augmentèrent encore la prohibition des produits anglais; la supériorité de la marine ennemie réduisit au néant tout notre commerce maritime le port de Bordeaux devint à peu près désert; la navigation fluviale s'y montrait seule; un

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