Images de page
PDF
ePub

Cette pensée devint, il faut le dire, le but du pays entier, qui n'a cessé d'en poursuivre la réalisation depuis près d'un demi-siècle. Les premières maisons de notre port se mirent résolument à l'œuvre.

Une des expéditions les plus remarquables fut, selon le récit de M. Jouannet, celle du navire le Bordelais, armé par la maison Balguerie-Junior, pour faire le tour du monde et ouvrir de nouvelles routes à notre commerce. Ce bâtiment, dit la Statistique, partit le 19 septembre 1816; et après avoir doublé le cap Horn, alla relâcher à Valparaiso, que fréquentent aujourd'hui nos navires; il visita ensuite Lima, d'où il álla explorer les côtes de la Californie et ouvrir une traite de pelleteries avec les naturels de la baie de Nootka, et le long des côtes jusqu'à la rivière de Cook. Il hiverna aux îles Marquises ou de Mendoce, et revint, pendant l'été de 1818, à la côte nord-ouest. Son retour s'opéra par la Chine; après avoir touché aux îles Sandwich, il rentra à Bordeaux en 1819.

A la même époque, le commerce de Bordeaux se rappelant qu'il avait existé des rapports intimes entre la France et la Cochinchine, conçut la pensée de les rétablir. L'empereur Djiu-Lung, alors régnant, avait dû à la France, par l'intermédiaire de l'évêque d'Andra, son rétablissement sur le trône; deux de ses mandarins étaient Français; on pouvait donc compter sur quelque succès.

Une première expédition fut faite par la maison Philippon, et le navire le Henry, capitaine Rey, par

tit pour la Cochinchine. M. Rey fut accueilli avec faveur et obtint du souverain des commandes assez importantes pour espérer le succès d'une seconde expédition; le capitaine Rey avait inspiré une telle confiance que l'espoir de son retour imprima dans cette contrée une activité prodigieuse à la culture des produits qu'il avait paru désirer. A ce premier voyage, le Henry ne put charger que 300 pycles de sucre à 24 fr. et 6 pycles de soie écrue à 96 fr. En 1819, le produit du sucre s'élevait déjà à 30,000 pycles, et celui de soie écrue à 700 pycles. Le pycle représentait environ 50 kil. Le Henry fit un très-bon voyage, repartit de Bordeaux, sous le même capitaine, le 3 février 1818, et le 24 août suivant mouilla dans la baie de Tourang; il y trouva le navire la Rose, expédié par la maison Balguerie, Sarget et Ce, l'une des maisons de Bordeaux qui travailla le plus efficacement à ranimer le commerce de la place. Le capitaine Rey, outre 10,000 fusils commandés par l'empereur de Cochinchine, lui apportait des modèles de méca-nique, entre autres une presse hydraulique, exécutée dans l'établissement de MM. Perrier de Paris, des modèles d'un moule à poudre, le bélier hydraulique de Montgolfier et un laminoir pour cuivre. M. Rey fut traité avec distinction par l'empereur; il fut même admis dans la rivière Hué, sous les remparts de la capitale de la Cochinchine, et le pavillon français est le premier qui ait eu pareil honneur. Par les ordres du souverain, les mandarins cochinchinois du port favorisèrent toutes les opérations de M. Rey,

et après avoir visité Fay-fo pour y chercher quelques marchandises chinoises, le Henry rentra dans la rivière de Bordeaux, le 14 avril 1820.

Ces exemples furent imités par un grand nombre de nos principaux armateurs; leurs efforts, leurs essais coûteux, leurs tentatives hardies se montrèrent sur tous les points du globe, et les vaisseaux bordelais apparurent à la fois dans les mers de l'Inde, de la Chine, du Chili, du Pérou, partout où il était possible de renouer d'anciennes relations ou d'en créer de nouvelles.

Le second but, c'est-à-dire la réformation des tarifs douaniers et l'obtention de traités commerciaux avec les puissances européennes pour améliorer le sort de nos vins, fut poursuivi dès ce moment avec la même vigueur. La chambre de commerce de Bordeaux et les principaux négociants ne cessèrent d'adresser, soit au Gouvernement, soit aux assemblées législatives, de nombreux mémoires où les principes et les vrais besoins du commerce étaient exposés avec la plus grande lucidité. Malheureusement, le gouvernement de la Restauration n'était pas en situation d'essayer des réformes pouvant toucher même momentanément aux ressources du trésor; l'indemnité exigée par les armées étrangères l'avait écrasé, la violence des partis l'intimidait, il ne songeait qu'à son existence. Dans l'épuisement où se trouvaient les finances, toute ressource était précieuse, et le ministère se préoccupa avant tout d'augmenter le revenu des douanes. La loi du 28 avril 1846 consacra donc les rigueurs de tarif

de la période révolutionnaire et de l'ère impériale (1). Le coton, affranchi de tous droits en 1814, fut frappé de 22 fr. par 100 kil. La taxe, pour ainsi dire prohibitive, sur les houilles étrangères, fut maintenue. Par suite, les Anglais ne firent aucune modification sur le tarif de nos vins, et bientôt ils en élevèrent même le droit d'entrée à 13 schellings 9 deniers par gallon, soit 3 fr. 79 c. par litre, représentant 3,454 fr. 66 c. par tonneau bordelais.

Malgré cet insuccès, notre port ne ralentit pas ses efforts; les rapports intérieurs prirent une plus grande activité; des correspondants bordelais s'établirent dans les Pays-Bas, dans les villes anséatiques, partout où régnait le goût de nos vins et où la modération des tarifs en rendait le commerce possible.

Nos premiers négociants, à la tête desquels il faut placer M. Balguerie-Stuttemberg, comprirent à la même époque qu'il était indispensable de créer à Bordeaux une maison de banque fortement constituée, offrant au crédit de nouvelles voies et pouvant dans les moments de crise protéger et défendre la sécurité de la place.

Au commencement de 1818, un projet de banque établie en société anonyme et montée par actions, fut présenté à l'autorisation du Gouvernement; ce projet devait trouver et trouva en effet une opposition très-vive dans la partie des commerçants qui avaient intérêt à rester à la tête du mouvement financier; l'escompte, disaient-ils, toujours facile sur (1) Amé, p. 75.

par

notre place, a évidemment prouvé que nos capitaux réels suffisaient à nos opérations ou que la sagesse de nos affaires y supplée en nous procurant au dehors ce crédit qui associe pour ainsi dire volontairement tous les négociants de l'Europe à la fortune de ceux qui savent le mériter, et ne les oblige pas forcément, l'établissement de banques particulières et locales, à s'intéresser à des entreprises que trop de facilités rendraient bientôt hasardeuses. Où est donc la nécessité de cette banque locale qui viendra tripler nos capitaux? La ville projette de grands et utiles embellissements, ses finances ne peuvent y suffire; elle réclame la confiance des citoyens 2 millions sont aussitôt versés dans sa caisse! Le Gouvernement nous appelle-t-il à contribuer à l'achèvement d'un monument utile et glorieux pour notre ville? Dans deux ans, le magnifique pont de Bordeaux sera achevé, et ce sont encore nos propres moyens qui suppléent à ceux de l'État. Laisserons-nous à la capitale seule l'avantage d'assurer nos opérations maritimes et d'en recueillir le fruit? Une riche compagnie d'assurance s'élève dans notre sein, et cependant l'escompte est toujours à 4 1/2 p. 100 au plus ! A quoi seront donc employés ces capitaux fictifs qu'on nous propose de mettre à la place de nos capitaux réels?

Ces motifs étaient loin d'être invincibles; on leur répondait Vous mettez avec raison la facilité de l'escompte au nombre des ressources les plus indispensables dans une place comme la nôtre; or, une

« PrécédentContinuer »