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Le tonnage à la sortie fut à peu près le même. En 1818, après trois années de paix, le tonnage total à l'entrée ne fut que de 200,251 tonneaux, c'est-à-dire d'une différence en moins de 14,000 ton

neaux.

Les motifs de cette décroissance ne sont pas difficiles à reconnaître.

Pendant que le port de Bordeaux, marchant avec énergie, cherchait le progrès, le Gouvernement, timide et craintif, vivait au jour le jour, persévérant plus que jamais dans son système ultra-protecteur et prohibitionniste qui nous isolait forcément, et devait tuer tout commerce.

La loi du 7 juin 1820 éleva les droits sur l'acier forgé de 45 à 60 fr.; sur l'acier fondu, de 50 à 100 fr. Elle prohiba les nankins sous pavillon étranger, et porta la taxe sur les ferblancs de 60 à 80 fr.

La loi du 27 juillet 1822 doubla les droits sur les laines, les bestiaux et les suifs étrangers. Celui des lins fut presque triplé.

Enfin, la loi du 17 mai 1826 porta de 30 à 50 fr. le droit sur les chevaux. Celui du houblon fut élevé de 15 à 60 fr. Les toiles, les graisses de poisson, les blancs de baleine, les légumes secs, furent également soumis à un tarif double du précédent.

Les nations étrangères nous répondirent par les mêmes moyens : « La France veut tout faire chez elle, disaient ces puissances; imitons-la. >>

De 1819 à 1825, les droits d'entrée sur les vins français en Angleterre furent élevés jusqu'à 3,450 fr.

par tonneau, ce qui équivalait à une prohibition absolue. En 1823, la Suède établit un droit de 200 fr. par barrique de vin français. Des mesures analogues furent prises par la Russie et une partie de l'Allemagne.

M. le baron Pasquier, président de la chambre des pairs, définissait ainsi la situation : « Chaque nation s'est, pour ainsi dire, retranchée sur les hauteurs; il faudra bien à la longue abandonner cette position et redescendre dans la plaine.

(1)

D'un autre côté, les traités de navigation de 1822 et 1826, le premier avec les États-Unis, le second avec l'Angleterre, portaient certainement un préju– dice considérable à notre commerce maritime. Ces deux traités, arrachés par la peur de la guerre,avaient pour base une réciprocité complète entre les pavillons. Or, il est démontré que notre marine marchande ne peut lutter dans une situation égale, parce que nous aurons toujours contre nous le haut prix de revient de nos armements.

Au milieu de ces circonstances, et pendant que la spéculation sur les marchandises s'affaiblissait, le jeu sur les fonds publics ou les opérations fictives commençait à se montrer à la bourse de Bordeaux; le succès de quelques joueurs propagea rapidement ce goût chez les capitalistes; on se laissa aller à la chimère séduisante d'arriver à de grands résultats rapidement et sans travail! Une partie de nos négociants devenus joueurs perdirent leur activité méritante, et (1) Amé, Étude des Tarifs, p. 140.

la décadence commerciale fit des progrès rapides.

Ce fut dans cette situation faible, embarrassée, maladive, que la révolution de 1830 vint frapper le commerce de notre place.

§ II.

De 1830 à 1848.

Cette commotion politique fut très-funeste aux affaires de Bordeaux; plus de deux cents faillites, représentant un passif de 120 millions, furent déclarées dans les huit premiers mois.

Il ne faut pas croire toutefois que la révolution de juillet fut la cause réelle de ce désastre; elle n'en fut en réalité que le signal. Les pertes existaient déjà depuis longtemps; elles avaient pris naissance dans le système prohibitif et les armements ruineux qui en étaient résultés. Le mal couvait, s'augmentait, et devait apparaître comme un volcan (1). En général, la tempête de juillet ne fit qu'emporter définitivement des positions déjà ruinées dans leur base, et qui n'avaient depuis plusieurs années qu'une existence artificielle.

Quand le calme fut revenu, le commerce de Bordeaux espéra qu'un gouvernement né du mouvement des masses mettrait nos libertés commerciales en harmonie avec nos libertés politiques. Malheureusement, il n'en fut rien. Le principe avait été déplacé, mais non changé; à l'empire militaire avait succédé,

(1) Doris Junior, Considérations sur le commerce, p. 27.

sous la Restauration, le retour résolu vers le système du privilége; puis, de 1830 à 1848, ce fut la puissance des orateurs politiques et de l'argent. Au point de vue du commerce, le règne de Louis Philippe ne fut qu'une hésitation constante et craintive, une suite de tâtonnements sans force dominés par les millions de l'industrie; c'est là toute l'histoire des dix-huit années de commerce que nous avons à rappeler.

Les premiers moments du nouveau Gouvernement trouvèrent, il est vrai, l'Europe dans un état d'inquiétude et de méfiance mortel pour les affaires; les appréhensions de guerre arrêtèrent longtemps les armements pour les pays lointains; le Nord ne nous fit que de faibles demandes; les troubles qui agitèrent la Belgique et la Hollande suspendirent entièrement notre mouvement commercial avec ces contrées. Les puissances de la Baltique, antipathiques à notre dernière révolution, se tenaient dans une attitude presque menaçante; enfin, le choléra, qui porta ses premiers coups en Russie, nuisit encore à nos transactions, et cette affreuse maladie, menaçant d'envahir le continent entier, paralysa toute activité commerciale.

A côté de ces circonstances défavorables, le Gouvernement se montrait, nous le répétons, sans énergie et sans système; au lieu de chercher à rassurer les nations par des protestations incessantes, il eût mieux valu les convaincre, en proclamant des principes économiques favorables à la paix et aux relations générales de l'Europe. Ce fut le contraire. On

vit bientôt que l'absolutisme parlementaire était aussi violent que tout autre, et qu'il existait une nouvelle aristocratie très-envahissante et plus égoïste que l'ancienne. « M. Duchâtel, dit M. Amé, aurait désiré ne pas maintenir intact sous son administration un régime qu'il avait beaucoup attaqué dans d'autres temps. Depuis qu'il se trouvait placé à la tête du département du commerce et des travaux publics, il s'en était parfois expliqué, même dans ses communications officielles, avec une extrême franchise... Mais les grands industriels occupaient dans l'organisation politique de la France une position avec laquelle il fallait compter. Ils ne cessaient pas d'adresser au ministre des avertissements qui, sans atteindre encore au ton de la menace, se faisaient écouter, et l'un de leurs représentants avait cru pouvoir dire : « Au>> cune société ne peut se passer absolument d'aristo»cratie : il en faut une à tous les gouvernements. >> Voulez-vous savoir quelle est celle du gouverne>> ment de Juillet? C'est celle des grands industriels >> et des grands manufacturiers; ce sont là les fonda>>teurs de la dynastie nouvelle. » (1)

Le gouvernement de Juillet ne sut jamais que fléchir sous ces influences de position et de tribune; il ne faut pas chercher ailleurs le secret de sa faiblesse et de sa mort.

De 1830 à 1836, et malgré les réclamations incessantes de toutes les places maritimes, il ne fut rien fait de sérieux en faveur de la liberté commerciale. (1) Amé, p. 173.

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