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>> choses dont ils manquent, et cela, non-seulement » d'homme à homme, mais même de pays à pays et » de royaume à royaume... La condition du progrès » de la richesse, c'est l'échange d'homme à homme, » de peuple à peuple, et pour qu'il soit réellement >> profitable, durable, il faut qu'il se fasse sur le pied de l'égalité, c'est-à-dire qu'il faut que les » deux parties y trouvent toutes deux un bénéfice... » Laissez pleine liberté aux échanges, et du choc des » intérêts naîtra l'équilibre, la justice. »

Ces principes furent développés en 1768 par Quesnay, l'un des encyclopédistes les plus distingués. Les œuvres d'Adam Smith leur donnèrent, en Angleterre, un grand retentissement. Le traité de 1786 eut pour but d'en faire un premier essai d'application; mais au milieu des convulsions politiques dont la France fut bientôt saisie, il fut impossible d'apprécier les résultats de cette œuvre commerciale.

Malheureusement, on ne put s'occuper pendant longtemps qu'à perfectionner les moyens de destruction; le système protecteur et prohibitionniste atteignit sous l'Empire son dernier paroxysme. Après la paix générale, les hautes positions industrielles obtinrent, comme nous l'avons vu, un triomphe complet, et l'Europe presque entière fut maintenue sous l'influence fatale des tarifs douaniers.

De 1839 à 1845, la législation des céréales fit naître en Angleterre cette ligue du free trade, qui devait changer les bases du commerce. On sait qu'elle triompha en 1846 et que Robert Peel, cédant à

l'opinion publique, fit enfin proclamer par le parlement anglais le principe du libre-échange.

Entraîné par ce noble mouvement, le commerce de Bordeaux, dont les plaintes s'élevaient en vain depuis longtemps, prit courageusement l'initiative pour former en France une association de même nature. La résolution de notre ville fut énergique et prompte. Son exemple fut suivi par Paris et les principales places; quelques cités manufacturières, telles que Lyon et Rennes, entrèrent chaleureusement dans cette nouvelle ligue.

La première séance de l'association bordelaise eut lieu le 23 février 1846. Le bureau, présidé par le maire de la ville, était composé des commerçants les plus distingués. Le manifeste adopté consistait en quelques pensées d'une admirable précision :

La liberté des échanges peut seule assurer la puissance des nations, la prospérité du commerce, le bien-être du consommateur.

Lorsque les sociétés reconnaissent l'utilité du libre développement des transactions, les obstacles qui s'y opposent doivent successivement disparaître.

Un peuple ne saurait aujourd'hui occuper un rang élevé dans la civilisation et posséder les éléments d'une influence réelle, s'il demeure privé du droit de recevoir librement les produits étrangers et d'expédier en échange les siens au dehors.

Les relations du commerce international grandissent en importance et en activité à mesure que les barrières restrictives s'abaissent.

On ne saurait, sans injustice flagrante, maintenir au profit de quelques industries privilégiées un monopole qui pèse sur chaque consommateur, en ne laissant à sa disposition que des produits insuffisants, d'un prix élevé et d'une qualité inférieure, tandis que tous devraient être en pleine jouissance du droit. de s'approvisionner sur le marché le plus avantageux.....

Le 1er septembre 1846, Richard Cobden, chef infatigable de la ligue anglaise, fut reçu à Bordeaux avec un véritable enthousiasme. L'association du libre-échange lui donna un banquet; ce célèbre économiste y prononça un discours remarquable, dont nous devons rappeler quelques passages :

« J'éprouve que je respire plus librement dans cette atmosphère du libre-échange. Au milieu d'hommes qui y partagent notre foi, il semble que notre âme se dilate et que notre énergie se retrempe d'une nouvelle vigueur. Qu'est-ce que le libre-échange?... Une plus grande liberté d'action, un champ plus vaste ouvert à l'esprit d'entreprise, l'affranchissement de ces chaînes qui gênent nos mouvements et la destruction de ces barrières qui limitent nos progrès. Le libre-échange a pour résultat de réduire au minimum le travail de l'homme et de porter au maximum la rémunération de son industrie par un meilleur mécanisme, qui n'est au fond que l'association. Il y a des hommes pleins de philanthropie et de bienveillance qui se complaisent dans le rêve d'une différente et meilleure organisation sociale; je les adjure

:

d'examiner nos principes, et ils reconnaîtront que nous avons en vue de réaliser le grand but qu'ils ont à cœur, à savoir à chacun selon sa capacité, à chaque capacité selon ses œuvres. Qu'on ne se laisse point égarer par cette assertion des monopoleurs que nous plaidons comme free traders pour la concurrence désordonnée; le libre-échange est un principe d'expansion, tandis qu'au contraire le monopole est une tentative pour renfermer dans d'étroites limites l'énergie des hommes et les assujétir à demander à des efforts superflus le bien-être et la satisfaction de la vie. Si je voulais exprimer par deux mots les tendances de ces deux principes opposés, je dirais : Le libre-échange, c'est l'association; le monopole, c'est la concurrence. Il y a un argument très-usité en ce moment en France par les partisans du régime protecteur, et auquel il ne m'appartiendrait pas de répondre s'il ne présentait sous un faux jour les intentions des frèe traders d'Angleterre. On dit que les Anglais ont maintenu la protection tant qu'elle leur a été nécessaire, et qu'ils l'abandonnent maintenant qu'ils trouvent avantage à s'en passer; à cela, je répondrai par un fait qui vient de vous être signalé par votre président, c'est qu'en Angleterre nous avons fait l'application de nos principes à celui de nos produits qui avait le plus à redouter la concurrence étrangère, les grains. Qu'il me soit donc permis d'affirmer à ces personnes qu'elles se méprennent complètement si elles croient que nos bons amis de l'école protectionniste en Angleterre ont abandonné leur

principe par un semblable motif; bien loin de là, ils sont protectionnistes jusqu'à la moelle des os, et ils continuent de maintenir que notre pays sera ruiné s'il ne revient au bon vieux régime du monopole. J'ai peut-être acquis le droit de parler au nom des free traders avec quelque autorité. Loin de penser que les restrictions commerciales aient jamais été nécessaires à l'Angleterre, nous sommes convaincus qu'elles lui ont toujours préjudicié. Nous ne reconnaissons pas que nos manufactures, notre agriculture et notre marine marchande aient retiré quelque avantage de ce qu'on nomme protection; nous croyons qu'elles n'eussent été que plus florissantes sans elle. Mais pour détruire tout soupçon qui aurait pu pénétrer à l'égard des prétendues arrière-pensées machiavéliques attribuées à nos free traders, je serai plus explicite. Qu'on sache donc que leur opinion très-consciencieuse est que, dans aucun temps, dans aucune circonstance, une nation ne peut être enrichie par l'intervention du Gouvernement sous forme de loi restrictive.

» Ce que nous voudrions que l'on comprît distinctement, c'est que nous appliquons cette maxime sans réserve à tous les pays, à toutes les circonstances et à tous les temps. Quelle que soit la condition d'un pays, nous soutenons que la liberté lui vaut mieux que la restriction. Est-il comparativement dépourvu de capitaux et arriéré en industrie? C'est pour cela même qu'il doit désirer le libre-échange, afin de s'enrichir des avantages dévolus aux autres nations.

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