Images de page
PDF
ePub

Est-il riche de capitaux et de manufactures perfectionnées? C'est plus qu'il n'en faut pour qu'il cherche dans des relations avec des contrées moins avancées, un débouché à ses ressources et à son industrie. Est-il chargé de dettes publiques? c'est certainement un bon motif pour qu'il refuse d'imposer aux contribuables une charge nouvelle en faveur des monopoleurs. Ses rentes sont-elles mauvaises? raison de plus pour ne pas entraver la circulation par des obstacles additionnels. Sont-elles bonnes? raison de plus pour laisser le commerce les utiliser. Montrez-moi quelque point que ce soit sur la surface du globe, que ce soit un sol d'une fécondité illimitée comme l'Égypte, ou un rocher stérile comme Malte, ou un vaste marécage comme la Hollande; qu'il soit placé sous le soleil des tropiques, ou par delà le cercle polaire, je crois pouvoir démontrer qu'il est de l'intérêt de ceux qui l'habitent d'entretenir les communications les plus libres avec leurs frères répandus sur toute la terre. Mais quoi! cette vérité n'est-elle pas démontrée par tous les grands économistes, et dans toutes les nations civilisées? Smith en Angleterre, Say en France, Storck en Russie, des hommes éminents en Italie, en Espagne, en Suisse, ne se sont-ils pas unis dans la défense du libre-échange, comme pour prouver qu'il est également applicable à tous les pays, à tous les climats, à toutes les races, à tous les gouvernements? J'ai aussi remarqué qu'on a, sous un autre rapport, faussement apprécié la portée de notre agitation anglaise. On a représenté le rappel des lois

céréales comme le but unique de la ligue; cela n'est pas exact; j'ai cent fois publiquement déclaré, dans le cours de notre agitation, que nous poursuivions le rappel de nos lois céréales comme le moyen d'atteindre un but plus général et plus élevé; que nous voyons dans cette loi la clé de voûte du monopole, et que si une fois elle était arrachée, l'édifice s'écroulerait tout entier. Un mois ne s'était pas écoulé depuis notre triomphe, que nos prévisions se réalisaient par l'abolition du monopole des sucres, et je ne crains pas de dire que je regarde ce second triomphe comme plus important que le premier, au point de vue de ses conséquences morales et sociales, car il renferme une révolution complète du système colonial. Vous n'ignorez pas que la législation britannique a voté l'égalisation graduelle des droits sur les sucres coloniaux et étrangers; il va sans dire que le même principe sera appliqué aux productions coloniales de moindre importance. En même temps, nous avons reconnu à nos colons, ainsi que la justice nous y obligeait, le droit d'importer les produits des pays étrangers aux mêmes conditions que ceux de la métropole.

>> On peut donc affirmer que dans cinq ans toutes les nations pourront vendre, acheter et échanger dans nos colonies aux mêmes conditions que nousmêmes. Vous voyez d'un coup d'œil combien de conséquences impliquées dans cet acte: il détruit au sein des peuples les puissants désirs de conquêtes territoriales et de monopoles commerciaux, qui ont été

plus ou moins la cause de toutes les guerres dans les temps modernes; il contribuera plus que toute autre chose à clore ce long et triste chapitre de l'histoire où l'on voit les nations se disputer par la force brutale l'acquisition de la richesse. »>

Malgré les espérances de Cobden, la lutte devait se prolonger longtemps encore. En vain, les vrais principes du commerce se vulgarisaient en France; les influences protectionnistes reproduisaient et faisaient triompher leurs sophismes captieux, qui se formulaient à peu près de la manière suivante :

1o La libre concurrence sera la mort de notre industrie nationale;

2o Les défenseurs du libre-échange font les affaires de l'Angleterre, soit pour l'industrie, soit pour les progrès de la marine;

3o Les conditions du travail ne sont pas égales de pays à pays; l'Angleterre, par exemple, grâce à la fécondité de ses houillières et à la situation de ses gisements de minerai de fer, peut produire le charbon et le fer avec beaucoup moins de frais que la France; la Belgique fabrique la toile, et l'Italie les soieries, à meilleur compte que la France; donc, si la France n'égalise pas les frais au moyen de fortes taxes d'entrée, la concurrence est impossible pour elle, et la plupart de ses industries doivent succomber;

4° S'il faut laisser la concurrence libre entre les peuples, au moins doivent-ils concourir à des conditions égales. Tel pays paie beaucoup d'impôts, tel

autre très-peu; ce dernier a un grand avantage sur le premier, il faut donc que celui-ci mette une taxe proportionnelle sur toutes les marchandises que l'autre voudra importer chez lui;

5o Nous ne devons pas nous faire un besoin des produits des autres peuples, parce qu'en cas de guerre nous serions à leur merci; il faut nous rendre indépendants d'eux et encourager par conséquent la production sur notre territoire, au moyen de droits protecteurs.

La chambre de commerce et les négociants de Bordeaux répondaient à ces objections avec une force et une vérité qu'on ne peut plus contester :

« Dans le libre-échange, les produits étrangers, loin d'être des ennemis menaçant l'existence de nos produits nationaux, ne seront au contraire que des moyens d'émulation pour la production et le progrès; ils ne pourront entraîner qu'une meilleure distribution du travail, appliquant les populations, à ce qu'elles peuvent faire le mieux relativement à la position où elles se trouvent. Le temps perdu à produire difficilement, imparfaitement, plus cher, est, dans l'intérêt général, une chose fâcheuse, absurde, nuisible. Pourquoi, d'ailleurs, aurions-nous à craindre? Est-ce que la richesse de notre sol n'a pas fait ses preuves? Est-ce que l'intelligence française n'est pas à la hauteur de celle des autres nations? Si nous ne fabriquons pas certains objets à aussi bon marché, est-ce la faute de notre esprit industriel? N'est-ce pas uniquement parce que nous n'avons pas les

matières premières au même prix? Qu'il nous soit permis de les recevoir, de nous les procurer à bas prix, et l'on verra bientôt que les produits étrangers seront loin de conserver des avantages sur ceux de même nature confectionnés dans le pays. N'est-il pas incontestable que les objets de notre industrie ont un cachet particulier, un goût reconnu, qui doit rendre le monde entier tributaire de nos produits? Malgré les rigueurs du régime douanier, n'est-ce pas à cette production élégante que nous devons nos succès dans la lutte ardente que nous soutenons contre le peuple le plus industriel? N'est-ce pas dans son propre sein que nous trouvons un débit important de nos produits? Ceux qui font les affaires de l'Angleterre, ceux qui détruisent la marine française, sont ceux qui, entraînés par des idées d'exclusion et de monopole, obligent notre pavillon à abandonner successivement la route de tous les ports étrangers. Si les conditions financières et de travail sont différentes dans chaque pays, le libre commerce aura précisément pour effet de les faire jouir tous des avantages particuliers de chacune, et si tous les peuples prétendent que ce régime les ruinerait, c'est une preuve certaine qu'il les enrichirait tous, puisque dans cette question chaque peuple aperçoit la cause de sa ruine dans la richesse que la liberté commerciale donnerait à ses rivaux. »

[ocr errors]

Telles étaient la lutte et les armes.

Les partisans du libre-échange ne présentaient toutefois que des prétentions transactionnelles. Ils ne

« PrécédentContinuer »