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demandaient pas d'un seul coup le renversement de tous les droits; ils déclaraient au contraire laisser aux hommes d'État le soin d'appliquer progressivement les principes du free trade, de façon à ne causer aucune perturbation violente dans les intérêts existants. Quant au commerce de Bordeaux, il fit preuve d'un esprit de modération et de conciliation qui ne s'est pas démenti.

L'association bordelaise maintint ses travaux jusqu'à la révolution de Février, et si elle n'obtint pas un succès immédiat, elle contribua beaucoup à éclairer l'opinion publique et à poser nettement la question économique la plus importante pour le com

merce.

Mais en dehors des raisonnements généraux sur lesquels s'appuyait la théorie du libre-échange, cette question puisait surtout son intérêt pour nous dans quelques-unes de ses conséquences les plus graves et que nous devons examiner.

ARTICLE II.

QUESTION VINICOLE.

Les vins de France sont les plus estimés de l'Europe, et c'est aussi le produit sur lequel les tarifs étrangers ont toujours, par esprit de représaille, fait porter leur plus grande rigueur.

Le système protectionniste était donc fatal surtout aux pays vinicoles, et principalement à Bordeaux, dont les vins sont les plus propres au commerce extérieur.

Vers 1842, les intérêts industriels redoublèrent d'activité et de violence pour s'opposer à toute amélioration sur les tarifs et repousser l'union douanière avec la Belgique, dont le Gouvernement s'occupait alors.

Des réunions tumultueuses de fabricants eurent lieu dans le nord de la France; elles assiégèrent le ministère et s'emportèrent jusqu'à la menace.

Dans cette situation dangereuse, un comité de propriétaires et de négociants se forma à Bordeaux et fit appel à toute la France vinicole; cet appel fut entendu. La première réunion eut lieu le 22 décembre 4842. Après s'être organisé de la manière la plus rigoureuse, le comité adopta l'acte d'union sui

vant :

« Acte d'union entre les départements pour la défense des intérêts vinicoles.

» Art. 1er. Les propriétaires de vignes des départements du Gard, du Lot, de la Dordogne, du Gers, de Maine-et-Loire, de la Charente-Inférieure, des Basses-Pyrénées, de l'Hérault, du Lot-et-Garonne, représentés à Bordeaux par leurs délégués, et les représentants des intérêts vinicoles du département de la Gironde, réunis à Bordeaux pour délibérer sur les résolutions à prendre en face d'une détresse toujours croissante, et de la résistance des industries privilégiées au projet d'union douanier avec la Belgique, s'engagent à concourir par tous les moyens légaux au redressement de leurs griefs communs.

» Art. 2. simple.

Leur programme est aussi juste que

» En matière de contributions indirectes, retour au droit commun et à l'égalité promise par la Charte, par la réforme des lois fiscales qui pèsent exceptionnellement sur les boissons.

» En matière de douanes, réforme du système fiscal qui, en prohibant les produits de l'étranger, appelle sur les nôtres de mortelles représailles.

>> En matière d'octroi, réforme des tarifs qui élèvent contre les produits de la vigne de véritables prohibitions intérieures.

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» Art. 3. Pour marcher avec ensemble et travailler fructueusement à la réalisation de ce programme, ils reconnaissent la nécessité :

>> Premièrement, de maintenir et de fortifier l'institution d'un comité central à Paris qui, par sa présence et ses travaux, agisse avec persévérance auprès du Gouvernement et des chambres, et forme ainsi un utile contre-poids, une salutaire opposition aux influences si actives et aux démonstrations si agressives des industries privilégiées, etc.

» Secondement, de réunir au moins une fois chaque année, dans le chef-lieu d'un département vinicole, les délégués des autres départements, dans le but de s'entendre sur les intérêts communs, et de suivre dans leurs démarches et leurs travaux une direction 'uniforme, etc. »>

Le premier acte du comité vinicole fut cette adresse au roi :

« SIRE,

» Au nom des propriétaires de vignes du département de la Gironde, nous venons déposer respectueusement au pied du trône de Votre Majesté l'expression sincère de la situation que leur ont faite les lois économiques et fiscales qui nous régissent.

>> Une industrie nationale vivace et féconde par elle-même, qui occupe six millions de Français, dont la force d'expansion a besoin de tout le marché du royaume et n'aurait pas trop de tous les marchés du monde; qui a fait à d'autres époques la fortune de la France; cette industrie se débat depuis quarante années sous les étreintes d'un double système économique et financier qui semble avoir pour objet sa compression et sa ruine.

» Le système protecteur, transformation impolitique du système prohibitif de l'Empire, perpétue au sein de la paix européenne, fruit de votre sagesse, l'isolement de la France, qui pouvait être une nécessité durant une période de guerre, mais qui devait cesser quand les nations eurent déposé les armes.

>> Et pendant qu'un cercle fatal de représailles emprisonne nos produits dans l'intérieur de nos frontières, ils portent, depuis leur origine jusqu'à leur consommation, le fardeau cumulé de l'impôt foncier des contributions indirectes et des octrois.

>> Sire, ces causes trop certaines de la ruine des propriétaires de vignes, ils les ont dès longtemps signalées. Depuis vingt-cinq ans, ils ont vainement fatigué les ministres et la chambre de la répétition

de leurs doléances, de la prédiction d'un avenir qui n'a été que trop rapide à se réaliser, et qui accable aujourd'hui leur patriotisme sous la masse de leurs sacrifices.

» La justice tardive qu'ils n'ont pas trouvée à ces sources, nous venons, Sire, la demander au premier des pouvoirs constitutionnels de l'État, celui en qui résident la plus puissante initiative, la plus haute impartialité et la dernière espérance des populations froissées.

>> Sire, les habitants de la Gironde, en recourant à la sollicitude de Votre Majesté, se présentent avec d'autant plus de confiance qu'ils ne réclament ni privilége, ni faveur, mais seulement une égale répartition des charges publiques, et pour les produits de leurs vignobles, la liberté dont jouissent les autres produits du sol et de l'industrie.

>> Il suffirait, Sire, d'interroger le passé pour être convaincu que la réalisation de nos vœux, en nous replaçant enfin dans le droit commun, peut seule ramener le bien-être dans nos malheureuses contrées, rendre à nos ports leur activité perdue, raviver les rapports presque éteints de la France et de ses colonies, faire refleurir le commerce, la marine et les finances, éléments nécessaires de la grandeur et de la puissance des États.

» Sire, des intérêts si bien d'accord avec les grands intérêts de la France trouveront dans Votre Majesté la justice et la protection qui leur ont manqué jusqu'à ce jour.

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