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» Nous sommes, avec le plus profond respect., etc. » Le comité vinicole remplit pendant plusieurs années sa mission laborieuse et difficile. Les déceptions ne purent détruire son dévoùment. Ses travaux ont fortement contribué au triomphe dont le pays commence à sentir les conséquences.

De son côté, notre chambre de commerce présenta la question vinicole sous toutes ses faces et avec une lucidité remarquable :

« Si l'on recherche, disait-elle, les qualités désirables dans le travail d'une nation, on peut les définir ainsi :

» Il faut : 1° Que ce travail favorise le plus possible le développement moral, intellectuel et physique de la population;

» 2° Qu'il soit une source de richesse et de puissance pour l'État;

» 3° Qu'il s'adresse à une consommation aussi vaste que possible;

>> 4° Qu'il ait peu de concurrence à redouter, soit au-dedans, soit au-dehors. »

Or, les produits vinicoles réunissent au plus haut degré ces diverses conditions et présentent des avantages généraux bien supérieurs à ceux qui sont produits par les industries protégées au grand détriment de la viticulture.

M. le marquis d'Argenson, ministre du roi de France, disait avec une haute raison:

<<< Pour une nation qui défriche comme les Russes, il faut des lois qui excitent aux progrès des arts.

Pour un peuple aussi policé que le peuple français, il faudrait ramener à l'agriculture, que l'on abandonne. »

C'est la marche opposée que l'on a suivie en France: les arts ou les manufactures, pour parler le langage de notre temps, ont été excités outre-mesure, tandis que la portion la plus intéressante de notre agriculture s'est vue paralysée dans son développement par les droits indirects et par le système de douanes.

Cette marche, invariablement suivie par nos gouvernants, depuis cinquante ans et plus, est-elle conforme à l'intérêt de la France? Est-il raisonnable d'y persévérer ?

Nous n'hésitons point à résoudre négativement ces deux questions. Nous n'entreprendrons pas de nous livrer à de longs calculs de chiffres, pour démontrer ce que nous avancons; mais il est facile de prouver, par des faits simples, que la différence capitale existant entre les pays vinicoles et les pays manufacturiers, on pourrait dire entre les pays opprimés et les pays protégés, peut se formuler ainsi :

Dans les pays de vignobles, les grandes fortunes diminuent et la classe ouvrière est aisée; sa situation peut être considérée comme prospère. Dans les pays manufacturiers, au contraire, les grandes fortunes s'accroissent et la classe ouvrière est en général dans un état affreux de misère.

Il résulte du tableau des inscriptions hypothécaires du département de la Gironde, qu'au 1er juillet 1840 les dettes inscrites s'élevaient à l'énorme somme de

310,409,230 fr., ce qui représentait environ 670 fr. par hectare mis en culture dans notre département. Il est vrai que les propriétés bâties figurent dans cette somme; mais, néanmoins, le chiffre des hypothèques est proportionnellement plus fort de beaucoup dans les arrondissements où la vigne est spécialement cultivée.

En regard de cette situation, qui démontre la gêne de nos propriétaires, on voit les vignerons et les tonneliers, les travailleurs de toutes les industries qui relèvent de la vigne, bien nourris, bien vêtus, ayant des mœurs régulières, faisant souvent assez d'économies pour devenir propriétaires d'une petite maison ou d'un petit champ. C'est cette situation que M. Blanqui aîné a si bien décrite dans son rapport à l'Académie des sciences morales et politiques :

« C'est sur ce territoire, dit cet honorable écrivain, que vivent aujourd'hui les populations les plus heureuses de France, partagées entre les travaux d'une culture riche et variée et les spéculations d'un commerce qui sera sans rival dans le monde quand la France aura conquis la seule liberté qui lui manque. Ces populations ont été moins atteintes que celles du nord par l'esprit de désordre qui a bouleversé toutes les régions manufacturières. Leur travail, soumis à des nécessités moins inexorables, s'est maintenu plus régulièrement que celui des forges, des filatures et des tissages. Les tonneliers de Bordeaux, les savonniers de Marseille, ont eu leur part, sans doute, du sinistre commun; mais sauf quelques folles

tentatives à Marseille, ils n'ont rien ajouté à leur détresse par des égarements politiques, tels que ceux qui ont si vivement agité les villes du nord et surtout la ville de Lyon. On respire, en approchant du midi, une atmosphère plus calme et plus libre: Les troubles y sont plus éphémères parce que le mal social n'est ni aussi ancien, ni aussi profond que dans les pays des grandes manufactures.

» Dans les villages comme dans les cités du sud, l'existence des classes ouvrières est plus douce, plus assurée par des travaux permanents et moins exposée aux variations de l'offre et de la demande. Les logements sont plus vastes, plus sains, mieux meublés; l'intempérance est plus rare, la vie de famille plus habituelle, l'influence de la femme presque toujours dominante. La variété des productions agricoles contribue au bien-être des cultivateurs, et fournit à l'ouvrier des villes des produits abondants et à bon marché. Le voisinage de la mer, sur toute l'étendue du littoral, y ajoute le poisson, et, par le cabotage, un élément de travail d'une valeur considérable. L'enfance et la vieillesse souffrent moins du froid que dans le nord. Les vêtements sont plus légers et moins chers, la dépense du combustible moins élevée; enfin, les ouvriers n'y sont pas emprisonnés, comme ceux des villes du nord, dans des ateliers où la santé s'altère trop souvent autant que la moralité.

» Ces différences caractéristiques de la situation du nord et du midi ne sont nulle part plus frappantes

qu'à Bordeaux, dans le département de la Gironde et dans toute la zone qui s'étend des Pyrénées jusqu'aux Cévennes, le long du canal du Languedoc. Le voyageur qui descend d'Angoulême vers les rives de la Dordogne et de la Garonne, au sortir des terres froides et solitaires du Poitou, se croit transporté dans un autre climat à l'aspect de ces riants coteaux émaillés de maisons de campagne qui dominent les deux fleuves. Ces deux fleuves, et le canal lui-même, répandent la vie et l'abondance sur toute l'étendue de leur parcours, où l'on rencontre peu de grandes usines, mais de modestes fabriques et de riches cultures habilement combinées pour leur prospérité

commune.

» A ce tableau exact et véridique de la situation des populations méridionales attachées à la culture de la vigne, de la vigne dont les produits sont restreints par les droits indirects exorbitants à l'inté rieur et par les représailles du dehors contre nos lois de douane, il est intéressant d'opposer celui de la position des ouvriers appartenant aux industries protégées avec tant de soin par nos législations successives, et garanties de toute concurrence étrangère par la prohibition ou les droits prohibitifs.

>> Des recherches sur ce point ont été faites à diverses époques par des économistes délégués de l'Académie des sciences morales et politiques; elles ont acquis une grande autorité par suite de leur concordance; car la constatation des mêmes faits ressort de toutes ces enquêtes.

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