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Toutefois, il paraît certain que vers la fin du XIe siècle, sous les derniers ducs d'Aquitaine, le commerce de Bordeaux avait repris une certaine importance; ce qui le prouve, c'est qu'avant son mariage avec Louis le Jeune, Éléonore de Guyenne publia sous le titre de Roöle des Jugements d'Oleron un code maritime, où l'on retrouve toutes les règles principales que nous suivons à peu près encore sur les obligations des armateurs, des capitaines et de l'équipage, sur les pilotes, le fret, les avaries et le règlement des intérêts dans le cas de jet à la mer.

Néanmoins cette Éléonore fut, sous plusieurs rapports, une princesse fatale à la France, car, après son divorce avec Louis le Jeune, elle épousa en 1154 Henri d'Anjou, héritier du trône d'Angleterre, et par là fit passer sous le sceptre anglais la riche province d'Aquitaine, événement historique qui est devenu le point de départ de nos guerres les plus malheureuses.

CHAPITRE IV.

ANGLAIS. CROISADES.

RETOUR DE LA GUYENNE A LA COURONNE
DE FRANCE.

La société européenne sort enfin du chaos causé par l'invasion barbare.

- Le commerce de Bordeaux s'agrandit de toutes les relations anglaises. Mais l'esprit de privilége domine le monde. Le principe de liberté étouffé dans les sociétés l'est encore plus pour l'industrie et les relations commerciales: priviléges des castes; priviléges des corporations; priviléges de l'industrie nationale; priviléges des produits de l'agriculture; priviléges des villes. Cependant les croisades produisent pour le commerce des effets inattendus. Le besoin et le développement des rapports avec le Levant font rechercher une route directe pour les grandes Indes. Découverte de l'Amérique.

Après le second mariage d'Éléonore, Bordeaux devint capitale de la Guyenne, nouvelle province que les Anglais composèrent du Bordelais, de la Saintonge, de l'Agenais, du Quercy, du Périgord et du Limousin. Dans sa nouvelle situation, le commerce de Bordeaux dut naturellement augmenter, puisque cette ville devint libre d'étendre ses rapports dans les provinces nombreuses, soit de la GrandeBretagne, soit du continent, qui obéissaient au roi d'Angleterre, et notamment la Normandie, l'Anjou, le Maine, le Poitou et la Touraine.

Dès cette époque, on voit, en effet, la marine bordelaise transporter en Normandie des chargements considérables de vin que le Havre et Rouen répandaient dans toutes les contrées voisines, et sur

tout dans l'île de France. Les monastères contribuaient eux-mêmes à ce mouvement; on lit dans l'Histoire du Commerce de Rouen : « En descendant la Seine, au-dessous de Mantes, le premier barrage féodal que l'on rencontrait aux XIe et XIIe siècles était celui de la Roche-Guyon; les maîtres de cette imprenable forteresse semblent avoir tenu rigueur pendant fort longtemps aux moines de Saint-Wandrille; peut-être avaient-ils raison? car il résulte d'un accord de 1292 que les religieux des deux monastères envoyaient dans leurs prieurés de l'île de France des vins de Gascogne, en quantité si considérable, qu'on n'oserait pas dire qu'ils n'en vendissent pas. » (1)

Mais les relations directes avec Londres et les principaux ports d'Angleterre devinrent surtout beaucoup plus considérables.

Voici quelques faits et documents commerciaux de cette époque :

1213.

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Le registre des finances du roi Jean indique une somme de 517 livres 17 schellings pour achat de 348 tonneaux de vin, dont 222 tonneaux vin de Gascogne.

1246.

On trouve sur les comptes du chancelier de l'Échiquier 414 livres pour 404 tonneaux vin de Gascogne, et 1,846 livres pour 901 tonneaux du même crû.

1299. Arrivée à Londres de 173 navires bor

(1) Hist. du Comm. de Rouen, t. I, p. 60.

delais chargés de vins. D'autres bâtiments du même port fréquentaient Douvres, Sandwich, Hastings, etc.

1372. - Arrivée à Bordeaux de 200 bâtiments anglais venant charger des vins (1).

1154. Les Anglais fixent un maximum pour le prix des vins, qu'ils limitent de 20 à 25 sous sterling le tonneau.

1212.

Sur chaque chargement de vin importé en Angleterre, le roi prend un tonneau devant le mât et un tonneau derrière. Ce droit s'appelle prisa. 1273. Henri III établit un nouveau droit de Gange d'un denier sterling par tonneau pour l'entrée en Angleterre des vins de toute provenance.

1302. Nomination à Londres de six dégustateurs chargés de vérifier la qualité des vins.

1302.

Les vins d'Aquitaine sont exemptés du droit de prisa (2).

Les retours d'Angleterre se faisaient principalement en fers et laines. On a conservé une lettre d'avis de la maison Gherardi, de Londres, datée de 1286, au sujet d'un contrat d'achat de laines passé avec quelques abbayes anglaises (3); de Bordeaux, ces laines se transportaient à la Méditerranée, où les navires génois venaient les charger pour les répandre en Italie. Chaque balle de laine, pesant quatre quintaux de Provence, coûtait en fret et en droits, jusqu'à Aigues-Mortes, 9 florins d'or; pour l'assu

(1) Chronique bordelaise. — Duesberg, Hist. de la Navigat., p. 407. (2) Duesberg, Hist. de la Navigat., p. 407.-Franck, Traité des Vins. (3) Duesberg, Hist. de la Navigat., p. 407.

rance depuis Londres jusqu'en Italie, on payait 12 ou 15 florins, suivant les périls du transport (1).

Dans cette situation, notre ville reprenait quelque splendeur, et présentait cet aspect original et pittoresque que l'art gothique imprimait aux grandes cités. Bientôt s'élevèrent ces nobles monuments d'architecture que nous admirons encore de nos jours les tours de l'Hôtel-de-Ville qui devaient figurer à jamais dans les armes de Bordeaux, les flèches aériennes de Saint-André, la pyramide grandiose de Saint-Michel. Dans le port, ce n'était plus les bateaux grossiers des Barbares, ni les bâtiments variés des Romains; le génie naval avait combiné ses moyens pour les mers tourmentées qu'il fallait parcourir. Les navires étaient plus forts, la mâture et les voiles mieux établies. Le goût exagéré des gaillards avait produit aux deux extrémités du pont des constructions très-élevées enrichies d'ornement, et qu'on appelait les châteaux d'avant et d'arrière. Pour le petit cabotage, on se servait de barques légères, connues sous le nom de nefs; elles n'avaient, en général, qu'un seul mât, une grande voile et un foc; mais dans les temps calmes, elles pouvaient employer six à huit fortes rames.

Un des événements politiques les plus curieux de l'histoire, contribuait à cette époque à ranimer le commerce maritime; les croisades rétablirent plus de rapports que les Barbares n'en avaient détruits; des

(1) Depping, Hist. du Comm. du Levant, t. I, p. 301.

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