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Il est certain que l'injustice et l'envie pourraient seules contester les qualités heureuses qui distinguent le commerce de Bordeaux; ce qu'on doit désirer pour lui, c'est de voir s'y développer avec plus de force l'esprit d'association, source féconde des grandes choses, la hardiesse et la vivacité d'exécution, compagnes inséparables du génie commercial, l'étude sérieuse et prompte de tous les moyens de crédit qui peuvent augmenter le capital et ne laisser aucune force improductive.

III.

Ajoutons qu'il ne suffit pas de tout faire pour maintenir nos anciens moyens d'échange, il faut en créer de nouveaux; l'expérience est là pour en démontrer la nécessité. Comme nous l'avons vu, l'esprit industriel s'est beaucoup amélioré dans nos contrées; il est loin d'y avoir obtenu cependant le développement désirable. Le but que nous devons atteindre est facile à reconnaître : Ne rien perdre des richesses que peuvent produire notre climat et notre sol; étendre, décupler chez nous, si c'est possible, la consommation des produits étrangers; ce sont là les deux fondements certains de la fortune commerciale.

Quant au premier de ces deux moyens, M. Bérès, du Gers, et plusieurs autres économistes, conseillent principalement à Bordeaux la recherche de nouveaux produits d'agriculture, et ils placent en première

ligne la culture du mûrier. Des essais assez nombreux, faits dans notre département, sont restés jusqu'ici sans succès déterminés. La maladie qui désole depuis quelques années la production séricicole a jeté le découragement dans les établissements que nous possédions.

Le journal la Patrie, du 24 juin 1861, renferme sur cet objet des réflexions utiles :

« Les savants, comme les praticiens, dit ce journal, sont loin d'être d'accord sur la cause de cette maladie. Deux sériciculteurs justement renommés, M. Guérin-Méneville et M. Emile Nourrigat, pensent qu'elle est communiquée aux vers à soie par les feuilles du mûrier, atteintes aussi depuis quelques années d'une affection spéciale. On reconnaît, en effet, que cette feuille est envahie par d'innombrables taches indépendantes des taches de rouille, se rapprochant de celles qu'on a remarquées sur la vigne et sur d'autres végétaux, et ayant pour effet de provoquer la chute prématurée des feuilles sur les arbres non dépouillés au printemps; à cette cause morbide viennent se joindre les ravages d'un insecte microscopique.

>> La feuille, dont les fonctions vitales sont ainsi profondément altérées, se recoquille, se dessèche, prend une teinte noirâtre et se détache du sujet au moindre contact; peu de temps après qu'elle a été cueillie, elle exhale une odeur nauséabonde.

>> Si d'autres savants, notamment M. de Quatrefages, ont contesté l'existence de cette maladie, cela

tient à ce qu'elle n'était pas encore apparue en avril et mai, date de leurs observations.

>> Les expériences faites par M. Quatrefages ont démontré que l'addition de sucre à la feuille du mûrier produit les meilleurs résultats. M. Nourrigat en conclut que la feuille manque de partie sucrée, et, par conséquent, de qualité substantielle, peut-être même d'autres propriétés non moins essentielles aux fonctions de l'insecte. Du reste, la maladie végétale a ses phases; elle n'agit pas d'une manière immédiate sur les générations; son action est plus ou moins lente, mais toujours progressive. C'est ce qui explique l'échec d'une race à côté de la réussite d'une autre, bien que toutes deux aient été élevées simultanément dans le même local et nourries de la même feuille.

>> D'ailleurs, cette immunité d'une même race s'étend rarement à plusieurs générations, si elle reste soumise aux mêmes influences : l'expérience l'a prouvé.

» Il n'est pas étonnant que le mûrier, soumis depuis des siècles à un mode de culture qui contrarie sa végétation, puisqu'il le prive de ses feuilles au moment même où leurs fonctions s'exercent avec le plus d'activité, ressente aujourd'hui les effets de ce traitement contre nature.

» Il n'en est pas de même pour l'espèce nouvelle et très-vigoureuse introduite par M. Nourrigat. Le mûrier du Japon ou Nangasaki (morus japonica), par sa végétation constante et le renouvellement incessant de ses feuilles, s'harmonise parfaitement avec

les organes délicats des jeunes insectes pendant leurs quatre premiers âges. L'introduction de ce végétal permet de doubler la production annuelle au moyen d'une deuxième récolte, et de donner à la seconde feuille tombante d'automne des mûriers ordinaires, précédemment perdue pour l'agriculture, une valeur égale à celle de la feuille du printemps.

>> Ce nouveau mûrier sauvage à grandes feuilles, dont le mérite a été attesté par les médailles obtenues dans nos grandes expositions agricoles, loin de faire attendre ses produits pendant huit ou dix années, comme le mûrier ordinaire, donne un revenu presque immédiat; il présente une économie de 25 à 30 p. 100 sur la consommation. Ses feuilles, plus nutritives et moins chargées de parties aqueuses, n'exposent pas l'insecte aux nombreuses maladies qui naissent de l'alimentation par la feuille du mûriergreffé.

>> Enfin, le mûrier sauvage, par sa multiplication rapide et sa prodigieuse végétation, permet d'obtenir de nos landes les plus arides, et sans aucune valeur, un revenu des plus importants.

» Les vers alimentés dans leurs premiers âges par la feuille naissante du mûrier du Japon, marchent avec une simultanéité remarquable, montent à la bruyère en quarante ou quarante-deux jours, ne laissant ni morts ni malades sur les litières, et produisent enfin d'abondants et excellents cocons.

» La graine provenant de ces éducations, pondue en novembre, a constamment donné à Lunel, chez M. Nourrigat, les meilleurs résultats au printemps

suivant. Et ce qu'il y a surtout de remarquable dans cette semence automnale, c'est la spontanéité des naissances à l'incubation; un jour d'avant-coureurs et deux jours d'éclosion suffisent pour la complète apparition des vers.

>> Si une expérience, facile à faire, constate que le morus japonica possède réellement les qualités qu'on lui attribue, ce sera pour notre industrie séricicole une précieuse acquisition. »

Une autre industrie nouvelle nous paraît pouvoir se développer dans le pays bordelais.

Le voisinage des plus belles forêts de pins maritimes qui existent en Europe et qui s'étendent sans interruption de l'embouchure de la Gironde jusqu'à l'Adour, ne pourraient-ils pas faire naître en effet sur notre territoire quelques essais commerciaux?

Il existe en Prusse, dans les environs de Breslau, au lieu appelé Pré Humbold, une manufacture de laine végétale faite avec la feuille du pin maritime. Cet établissement est en grande prospérité; il fabrique principalement des matelas et des couvertures, qu'il livre à bas prix et qui sont adoptés dans une grande partie des hôpitaux de l'Allemagne. On les considère comme très-favorables à la santé. A la fabrique sont réunis des bains aromatiques, alimentés par les eaux de l'usine; ces bains sont en grande réputation comme curatifs et fortifiants.

Il nous semble qu'il n'est pas un pays où un établissement de ce genre fût mieux placé que dans les environs de Bordeaux.

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