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arrivant par la Garonne et la Dordogne. Or, il est reconnu que Bordeaux n'existait pas à cette époque de la conquête romaine, du moins à l'état de ville; c'est l'opinion générale des historiens (1). On ne concevrait pas, en effet, que César, si exact à nommer toutes les cités gauloises qui se soumirent aux Romains après la victoire de Crassus, et notamment Tarbes, Bigorre, Pau, Auch, etc., n'eût pas fait mention de Bordeaux, si cette ville eût existé (2).

Il faut donc admettre avec Dom Devienne, que les premiers fondateurs de Bordeaux furent les débris des tribus gauloises du Berry vaincues et dispersées par César, Bituriges Cubi, qui prirent le nom de Bituriges Vivisci (3).

Lorsque ces peuplades malheureuses se furent établies sur la rive gauche de la Garonne, ce fleuve était loin d'avoir, devant la cité naissante, l'aspect qu'il présente aujourd'hui la rivière la Devise for

(1) Dom Devienne, Hist. de Bordeaux, dissert. prélim.

(2) Hâc auditâ pugnâ, maxima pars Aquitaniæ sese Crasso dedidit, obsidesque ultro misit: quo in numero fuerunt Tarbelli, Bigerriones, Preciani, Vocates, Tarusates, Elusates, Garites, Ausci, Garumni, Sibutzates, Cocosatesque. (Cæs. Comm., De Bello gallico, liv. III.)

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(3) L'origine biturige de Bordeaux ne peut pas être contestée : on lisait sur un ancien autel, trouvé lors de la démolition des Piliers des Tutelles Augusto sacrum et genio civitatis Bituricum Viscorum. Ausone, né à Bordeaux, nous apprend qu'il tirait son origine de la nation vivisque Hæc ego viviscâ ducens ab origine gentem. - Saint-Isidore, dans des étymologies, Vinet, dans ses notes sur Ausone et Auteserre, pensent que les Bituriges-Vivisques étaient une colonie des Bituriges-Cubi: Scimus Bituriges Viviscos à Biturigibus Cubis, Gallica gente, profectos. (Dom Devienne, Hist. de Bordeaux, dissert. prélim.)

mait à son embouchure un bassin d'une assez vaste étendue (1); un peu plus loin, vers le midi, le ruisseau le Peugue coulait dans la même direction. Au milieu de ces cours d'eau, au centre de marais immenses qui la défendaient de toutes parts et sur un terrain légèrement incliné du couchant au levant, s'élevait la ville gauloise avec ses murs de pierres brutes entremêlées de fortes poutres croisées (2), et ses maisons d'osier et de planches surmontées de leurs toits en forme de coupole (3). A quelques pas, la Garonne, libre dans ses rives naturelles, inondait à chaque marée tous ces terrains d'alluvion, garnis aujourd'hui de riches cultures (4); des îles élevaient au milieu du fleuve leur nature variée (5), et les hauteurs qui terminent le paysage, au levant, étaient couvertes d'anciennes forêts de chênes et de cyprès (6).

Tel est le tableau qu'offrait la nouvelle cité des Bituriges; mais elle dut prendre un développement

(1) Strabon, Géographie, liv. IV.

(2) Muris autem omnibus Gallicis hæc ferè forma est: Trabes directæ perpetuæ in longitudinem, paribus intervallis, distantes inter se binos pedes, in solo collocantur hæ revinciuntur introrsùs; et multo aggere vestiuntur. (Cæs. Comm., De Bello gallico, liv. VII.)

(3) Hoffmann, Hist. comm., trad. Duesberg, p. 311.

(4) On a trouvé, au pied de la côte du Cypressat, de gros anneaux de fer auxquels on attachait les navires.

(Dom Devienne, Hist. de Bordeaux, dissert. prélim.) (5) Insula Marthoguas quæ est inter Burdigalam, et Laureum montem. (Arch. de Saint-André.)

(6) Bordeaux avait en perspective, au delà de la rivière, une forêt de cyprès qui couvrait les hauteurs qui la dominent.

(Ausone, idylle VIII.)

rapide, puisque, soixante ans à peine après cette première époque, Strabon, qui le premier indiqué Burdigala dans la géographie de l'Aquitaine, dit que c'était une ville marchande et un port de mer renommé (1).

Rien n'égale en effet l'activité des premiers fondateurs. On dirait que la Providence double toujours le génie et la force de ceux qui ouvrent un nouveaú sol. Il est d'ailleurs facile de comprendre que cette tribu vivisque, débris énergique de vingt villes détruites par l'invasion romaine (2), dut chercher dans le travail le bien-être qu'elle avait perdu et profiter du fleuve magnifique que lui offrait sa nouvelle patrie.

On vit donc se concentrer rapidement dans le port vaste et commode de Burdigala, le commerce maritime que faisait déjà cette partie de la Gaule, et qui avait lieu principalement avec la Grande-Bretagne, l'Irlande et quelques villes du nord, telles que: Coriosopites (Quimper), Corriolum (Cherbourg), Caletium (Calais), bourgades alors peu importantes.

Montesquieu dit, d'après Pline l'Ancien, que, plusieurs siècles avant César, le commerce du plomb et de l'étain des Cassiterides (iles Sorlingues) arrivait

(1) Burdigala, Biturigum Viviscorum emporium.

(Strabon, Géogr., liv. IV.) Selon le lexicon de Jacques Fusan, ce dernier mot signifie : locus ad mercaturam et negotiationes exercendas aptus.

(2) Uno die amplius viginti urbes Biturigum incenduntur. Hoc idem fit in reliquis civitatibus; in omnibus partibus incendia conspiciuntur.

(Cæs. Comm., De Bello gallico, liv. VII.)

par les ports de la Gaule sur l'Océan, et que depuis ces ports ces métaux étaient voiturés par terre jusqu'à la Méditerranée (1).

Un grand nombre de documents prouvent encore l'ancienneté de ces rapports commerciaux, et la part qu'y prenait la Garonne : « Il y a quatre endroits, dit Strabon, où l'on s'embarque ordinairement pour passer du continent aux îles de Bretagne; ce sont les embouchures du Rhône, de la Seine, de la Loire et de la Garonne. » (2)

Outre ses métaux, la Grande-Bretagne et ses îles fournissaient au continent des chiens renommés, que les Gaulois employaient à la chasse et même à la garde de leurs villes; des froments, des laines et des teintures telles que l'écarlate et le vermillon (3). On trouvait en Irlande du borax et des pelleteries.

De leur côté, les vaisseaux bordelais transportaient dans ces contrées les huiles de Provence, les vins, parmi lesquels ceux du pays figurèrent bientôt au premier rang (4); une grande quantité de marchandises variées, telles que liqueurs, fruits conservés, jambons des Pyrénées, déjà très-renommés à cette époque (5); produits de l'industrie biturige, entre autres saies bariolées et même brodées d'or, ouvrages de cuivre, d'ivoire et d'ambre, poterie fine (6),

(1) Montesquieu, Esprit des Lois, ch. XXI. (2) Strabon, Géogr., liv. IV.

(3) Ibid.

(4) Columelle, De Rusticâ, Pline l'Ancien.

(5) Strabon, Géogr., liv. IV.

(6) Huet, Hist. du Comm. des anciens, p. 188.

et, en outre, tous les objets du commerce de l'Orient qui de Marseille se répandaient par plusieurs voies dans les diverses parties de la Gaule.

<< Du port de débarquement, dit Strabon, on vient gagner l'Aude, qu'on remonte à une certaine distance, mais le chemin qu'on a ensuite à faire pour arriver à la Garonne est plus long; on l'évalue à sept ou huit cents stades. Ce dernier fleuve se décharge dans l'Océan. » (1)

Le même géographe écrit plus loin: « Ce qui mérite d'être remarqué, c'est la parfaite correspondance qui règne dans ces contrées par les fleuves qui les arrosent, et par les deux mers dans lesquelles ces derniers se déchargent; correspondance qui, si l'on y fait attention, constitue en grande partie l'excellence de ce pays, par la grande facilité qu'elle donne aux habitants de communiquer les uns avec les autres, et de se procurer réciproquement tous les secours et toutes les choses nécessaires à la vie. Cet avantage devient surtout sensible en ce moment où, jouissant des avantages de la paix, ils s'appliquent à cultiver la terre avec plus de soin, et se civilisent de plus en plus. Une

(1) Strabon, Géogr., liv. IV.

Per quem Romani commercia suscipis orbis,
Nec cohibes; populosque alios, et monia ditas
Gallia queis fruitur, gremioque Aquitania lato.

(Ausone, Villes célèbres.)

« Tu reçois le commerce du monde romain et tu le transmets à d'autres; tu enrichis les peuples et les cités que l'Aquitaine renferme en son large sein. »>

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