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la Guadeloupe, Marie-Galante et les Saintes pour 73,000 fr.; la Martinique, Sainte-Lucie et la Grenade pour 60,000 fr. (1). Ces îles furent, comme on le sait, rachetées en 1664 par le gouvernement français pour une valeur double environ. Saint-Domingue, occupé en 1630, ne commença à faire un commerce régulier que vers 1661. Quelques années plus tard, d'Herville découvrit le Mississipi et fonda sur ses bords le premier établissement français dans cette partie de l'Amérique. Bordeaux armait seul à peu près le petit nombre de navires qu'exigeait ce commerce naissant.

La cour de France luttait avec énergie contre les difficultés de tout genre que présentait la conservation de ses colonies. En 1670, le Gouvernement fit fabriquer pour toutes les îles une monnaie particulière dans le but d'éviter le déplacement désastreux du numéraire; d'un autre côté, deux édits de 1673 et 1675 affranchissaient de tous droits de sortie les marchandises expédiées spécialement de Bordeaux pour les îles; enfin, en 1681, notre port fut avantagé de l'établissement d'un entrepôt pour le tabac venant des colonies.

Si tous ces efforts ne produisirent pas immédiatement de grands résultats, il faut tenir compte de l'état d'enfance dans lequel se trouvaient presque toutes choses, et reconnaître que Colbert s'occupa du commerce avec une activité qui mérite la reconnaissance du pays.

(1) Hist. philosophique des deux Indes, par l'abbé Raynal, t. VII, pages 7 et 9.

Après avoir rétabli la marine militaire et purgé les mèrs des pirates barbaresques, ce ministre porta son attention sur la marine marchande. Par une protection efficace, il parvint à lui donner, en peu d'années, un développement que la France n'avait jamais connu. Un grand nombre de mesures utiles furent mises en pratique en 1663, un Conseil central et permanent du commerce fut établi à Paris ; chacune des grandes places y avait son représentant; une prime fut accordée à tout navire au-dessus de cent tonneaux construit dans nos ports.

Malheureusement, ce génie actif ne put voir encore, du point de vue où il était placé, que la liberté et la concurrence pouvaient seules former la base de toute prospérité commerciale durable; persévérant dans la voie tracée par Richelieu, il s'empressa d'appliquer à nos colonies le système de monopole et de sociétés privilégiées; par édit de 1664, le commerce exclusif des Antilles fut cédé à une compagnie qui ne put se soutenir et qui tomba quelques années après avec un déficit considérable; le commerce de ces îles fut déclaré libre en 1674. Quant aux Indes, Colbert, accomplissant le projet de Richelieu, forma la grande Compagnie dite des Indes orientales; le privilége exclusif de ce commerce était accordé pour cinquante ans; l'État s'engageait à payer 50 liv. par tonneau de marchandises exporté de France dans les Indes, et 75 liv. pour chaque tonneau pris aux Indes pour porter en France; tous les navires revenant de l'Inde étaient obligés de se rendre à Lorient ou à

Toulon, pour y faire leur déchargement. Cette dernière mesure, qui mettait presque toutes les autres places maritimes dans l'impossibilité absolue de participer aux avantages de ce commerce, fut maintenue contre les réclamations les plus vives du port de Bordeaux. Toutefois, malgré ces priviléges et beaucoup d'autres, cette Compagnie ne donna que des pertes, et vers la fin du XVIIe siècle elle se vit forcée d'accorder des permissions particulières pour faire librement le commerce des Indes, moyennant une prime de 40 p. 100 sur la valeur des cargaisons. Ajoutons, pour terminer ce tableau de l'esprit commercial de cette époque, qu'en 1669 le commerce avec les puissances du Nord fut également adjugé à une Compagnie, mais ce ne fut encore là qu'un essai trèsrapide. Les différents points de la côte d'Afrique devinrent aussi la possession exclusive d'une grande Société commerciale par des édits de 1679 renouvelés en 1685; en sorte que le monopole étant universel, le capital se trouva obligé de subir le despotisme des Compagnies et les frais dévorants de leur administration.

Les places elles-mêmes se laissaient entraîner à la contagion du monopole; en 1671, et sur la demande du commerce de Bordeaux, Louis XIV créa dans notre ville une Compagnie privilégiée de commerce à laquelle il accorda toute sa protection, et qui n'eut cependant qu'une existence éphémère. L'édit d'établissement portait qu'aucun négociant de Bordeaux ne pouvait être nommé jurat-consul ou juge, ni aucun

habitant être reçu bourgeois, s'il ne justifiait avoir dans la dite Société, savoir: 2,000 liv. pour être jurat ou juge; 1,000 liv. pour devenir bourgeois. L'étranger demandant la naturalisation et la bourgeoisie devait avoir dans la Société 1,000 liv. pour la première qualité; 2,000 liv. pour la seconde. Les vaisseaux de la Compagnie avaient seuls le droit de porter les armes de la ville de Bordeaux à leur

couronnement.

Comme nous l'avons dit, le principe adopté ne se bornait pas au monopole des Compagnies : Colbert, entrant résolument dans le système mercantile, promulgua le tarif de 1667, qui, pour protéger l'industrie nationale, établit des droits élevés sur les produits étrangers. Quelques années après, les draps anglais furent réellement prohibés par l'énormité des droits. d'entrée ; et de leur côté les Anglais commencèrent, au préjudice de nos vins, ces tarifs exagérés qui ont occasionné aux contrées vinicoles des pertes incalculables.

Ce n'était pas uniquement dans un but fiscal, mais par conviction économique, que le ministre de Louis XIV suivait la marche protectionniste : « Je sais bien, disait-il, que pour combattre mon opinion l'on objecte que si nous nous mettons sur le pied de nous passer des étrangers, ils feront de même à notre égard; qu'ainsi, il est plus expédient de laisser les choses sur le pied qu'elles étaient et qu'elles ont toujours été ; mais pour parler de la sorte, il faut être peu instruit que nous n'avons besoin de personne

et que nos voisins ont besoin de nous. Ce royaume a tout généralement en soi-même, si l'on en excepte très-peu de chose; mais il n'en est pas de même des États qui lui confinent ils n'ont ni vin, ni blé, ni sel, ni chanvre, ni eau-de-vie, et il faut de toute nécessité qu'ils aient recours à nous pour en avoir, Ce serait donc profiter fort mal du bien que Dieu nous a fait, si nous le donnions pour des choses dont nous pouvons nous passer facilement. S'il faut que les étrangers aient de notre argent, ce ne doit être que pour ce qui ne vient pas dans le royaume, comme sont les épiceries qu'il faut aller chercher bien loin, ou les prendre des Hollandais. Pour tout le reste, il faut se passer d'eux, et que le luxe ne nous tente pas assez pour faire une faute aussi préjudiciable à l'État. >>

Cependant, dans quelques autres de ses travaux, Colbert reconnaissait la nécessité d'établir des débouchés et de maintenir des relations libres et réciproques entre les nations; voici comment il s'exprimait en 1669 dans le préambule de l'édit pour la franchise du port de Marseille : « Comme le commerce est le moyen le plus propre pour concilier les différentes nations et entretenir les esprits dans une bonne et mutuelle correspondance; qu'il apporte et répand l'abondance par les voies les plus innocentes, rend les sujets heureux et les États plus florissants; aussi n'avons-nous rien omis de ce qui a dépendu de notre autorité et de nos soins pour obliger nos sujets de s'y appliquer et le porter jusqu'aux

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