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d'amende et plus grande, ayant égard à la quantité du vin vendu et des personnes; et à même peine est défendu aux bourgeois et autres d'acheter vin sur la Grave et au long de la rivière pour les causes que dessus. »> (1)

Les règles que nous venons de rappeler n'étaient pas, nous le répétons, introductives d'un droit nouveau, mais confirmatives de priviléges anciens qui remontaient bien avant la conquête du pays sur les Anglais, suivant les titres indiqués au Catalogue des rôles gascons, imprimé à Londres, fol. 143, où l'on trouve cette règle : « Pro civibus civitatis Burdigalæ ut nulli alii præter ipsos vina sua in taberná vendere possint. » (2)

On y voit aussi que le roi Charles VII, après une première conquête, avait pleinement ratifié, confirmé et approuvé tous ces priviléges; mais que les Anglais ayant ensuite repris la ville de Bordeaux et Charles VII l'ayant conquise une seconde fois, ce dernier avait restreint et modifié les priviléges de la ville en quelques chefs et spécialement en ce qu'il avait décrété, que les vins du crû du haut pays, depuis Saint-Macaire et au-dessus, pourraient êtrẻ amenés et descendus en la dite ville de Bordeaux après la fête de Saint-André, lorsque les anciens priviléges ne permettaient de conduire les mêmes vins à Bordeaux qu'après la fête de Noël.

Les pays placés hors la sénéchaussée bordelaise,

(1) Delurbe, Anciens Statuts de Bordeaux, p. 190. (2) Chron. bordelaise, édit. de 1703, p. 10.

que ce système rigoureux contrariait, cherchèrent souvent à en éluder les règles; mais le Parlement, l'administration municipale et le peuple lui-même soutenaient leurs droits avec la plus grande vigueur. Ainsi, le parlement de Bordeaux décida dans plusieurs circonstances: 1° Que tout bourgeois et habitant de la ville et faubourgs de Bordeaux, de quelque condition qu'il fût, qui frauderait dans les déclarations ordonnées pour l'entrée des vins et qui prêterait son nom pour faire entrer des vins non bourgeois dans la ville, serait condamné en 1,000 liv. d'amende et déclaré déchu et incapable du droit de bourgeoisie; 2° que les vins du Languedoc ne pouvaient, sous quelque prétexte que ce fût, être entreposés ni à Lormont ni à Blaye ou autres lieux de la sénéchaussée de Bordeaux; 3° que les dits vins du Languedoc entreposés au faubourg des Chartreux et qui se trouveraient invendus au 8 septembre, ne pourraient rester en nature dans les celliers du dit faubourg, mais que les propriétaires des dits vins ou leurs commissionnaires seraient tenus de les renvoyer en Languedoc ou ailleurs, si mieux ils n'aimaient les convertir en eaux-de-vie à leur choix, à l'effet de quoi ils devraient le dit jour, 8 septembre, au plus tard, faire leur déclaration aux jurats de la ville de Bordeaux, tant de la quantité de vin qui leur serait resté que de l'option qu'ils auraient faite (1).

Les habitants de Bordeaux étaient tellement jaloux

(1) Archives du département de la Gironde, Documents commerciaux, carton C., no 751.

de leurs priviléges, que les décisions mêmes du pouvoir royal, qui essayaient parfois de les enfreindre, venaient se briser contre l'indépendance et la fermeté de l'autorité locale. Ainsi, en 1554, un marchand ayant obtenu du roi une autorisation pour faire descendre à Bordeaux 1,000 tonneaux de vin du haut pays avant l'époque fixée par les statuts, ce titre royal fut repoussé et resta sans exécution comme contraire aux priviléges (1).

En 1512, le duc de Longueville ayant fait entrer du vin du haut pays dans la ville, le peuple se souleva et l'insurrection ne put être apaisée que par la sortie des vins et le respect des priviléges (2).

A côté de ces règles et pour les compléter, la législation de cette époque contenait aussi des dispositions qui avaient pour but de conserver la qualité et la réputation des vins de Bordeaux et d'éviter qu'on ne pût tromper les étrangers par de fausses apparences.

Dans les contestations commerciales qui s'élevaient fréquemment sur l'exécution des statuts, les mémoires de l'époque faisaient ressortir avec force les motifs du privilége bordelais et la nécessité des règles qui le constituaient : « Plus la situation de la ville de Bordeaux, disaient-ils, est avantageuse, plus il importe à l'État de la faire fleurir. La terre qui l'environne est une terre ingrate et stérile, dont toute l'industrie des habitants ne peut tirer que du vin.

(1) Chron. bordelaise, p. 69.

(2) Ibid.

N'était-il pas naturel de donner quelque privilége au commerce de ce vin, pour engager les habitants nonseulement à demeurer dans le pays, mais encore à en cultiver les vignes? - Ces vins, d'ailleurs, méritent une distinction à cause de leur qualité. Il n'y en a point de plus propres pour le commerce étranger, parce qu'il n'y en a point qui soutiennent mieux le transport de la mer; ils ont même cette propriété singulière qu'ils s'y bonifient; mais il est essentiel pour cela qu'ils soient dans toute leur pureté, qu'ils ne soient point coupés avec des vins, soit du Languedoc, soit de la haute Guyenne, dont la qualité fort inférieure les altère et leur fait perdre leur crédit, tant chez les nations étrangères que dans nos colonies de l'Amérique. Il est de notoriété publique, que de tous nos vins, il n'y en a point qui aient plus de réputation chez les peuples du Nord et surtout en Angleterre et en Hollande, que ceux de la sénéchaussée de Bordeaux. C'est à la faveur de ces vins que pour achever les cargaisons, se font ensuite des achats de ceux du Languedoc et de la haute Guyenne, qui, par eux-mêmes, ne seraient point recherchés. Ainsi, c'est aux vins du Bordelais que le Languedoc et la haute Guyenne doivent en partie le débit des leurs; c'est à ces vins que toute la France est redevable du commerce immense qui se fait par les étrangers dans le port de Bordeaux. Il est donc essentiel, pour maintenir ce commerce, de conserver la réputation du vin de Bordeaux et d'ôter aux nations qui le recherchent la crainte qu'il puisse

être altéré. Comme la confiance est l'âme du commerce, la défiance en est la ruine. L'on est aujour– d'hui obligé de prendre des précautions contre l'idée même de la fraude. Les deux peuples les plus puissants dans le commerce se sont plaints hautement par leurs ambassadeurs d'avoir été trompés. Il est nécessaire, pour les tranquilliser, de dissiper jusqu'aux soupçons. Ce n'est pas assez que le commerce soit exempt de fraudes, il faut que l'on ne puisse même y en soupçonner; c'est l'objet des règlements qui sont en vigueur depuis tant de siècles dans le port de Bordeaux. »

Ces règlements soumettaient, en effet, à la surveillance des jurats la forme et la contenance des barriques, la qualité des objets destinés à la culture de la vigne, l'époque des vendanges eu égard à la maturité du raisin, et même les procédés du com

merce.

Ainsi, il était ordonné qu'il n'y aurait qu'une mesure et une forme de barrique pour tous les pays de la sénéchaussée bordelaise, et que ces barriques seraient invariablement de la contenance de 32 veltes ou 120 pots.

Les barriques bordelaises ne pouvaient être vendues et transportées hors la sénéchaussée, sous peine de perte des barriques et d'une amende déterminée par les jurats, suivant l'importance de la contravention.

Les tonneliers qui ne fabriquaient pas les barriques conformément aux coutumes étaient également

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