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ARTICLE III.

COMMERCE DU POISSON SALÉ.

La ville de Bordeaux faisait déjà depuis plus d'un siècle un commerce considérable de poisson salé. Elle était à l'Occident l'entrepôt général du produit des pêches, qu'elle répandait dans la Guyenne, le Languedoc, l'Angoumois, le Poitou, le Limousin et même les parties septentrionales de l'Espagne. Les principaux articles de ce commerce, avant le XVIe siècle, étaient le merlus, qu'apportaient à Bordeaux les pêcheurs de la Bretagne; les colacs et saumons salés, dont les Irlandais faisaient alors la principale importation; le hareng, que fournissaient concurremment dans notre port les Normands, les Anglais, les Écossais, les Irlandais, les Flamands; enfin la sardine, qui venait en abondance des ports bretons et normands, et que les Anglais et les Picards apportaient aussi en saumure. La morue n'était alors que d'une faible importance dans le commerce du poisson sec; mais vers le commencement du XVIIe siècle, et dès les premiers établissements de Terre-Neuve, ce poisson devint un des principaux éléments du commerce de Bordeaux. On le rencontre, en effet, en quantité inépuisable, sur le grand banc placé dans le voisinage de cette île. Ce poisson se reproduit avec une facilité merveilleuse. Leuwenhock a compté dans l'ovaire d'une femelle de taille moyenne plus de neuf millions d'œufs. Il est vrai que ces œufs sont la proie

d'une multitude de poissons et des morues ellesmêmes, sans quoi la mer entière, disent les naturalistes, serait occupée par ces animaux.

Le commerce du poisson salé avait donné lieu à des fraudes et à des abus nombreux, qui étaient combattus sur la place de Bordeaux par des règles spéciales; nous ne pouvons mieux faire que de rapporter ces règlements, antérieurs même au XVIe siècle, et qui devinrent ensuite applicables à la morue comme à tout autre poisson (1).

« Du poisson salé, des visiteurs d'icelui et du salaire que les dits visiteurs doivent prendre.

» Pour éviter les abus qui ont été commis par les vendeurs de poisson salé, en le vendant en pipes et en autres vaisseaux sans compter le dit poisson, les dits sieurs sous-maire et jurats inhibent et défendent à tous marchands étrangers de vendre aucune sorte de poisson salé, s'il n'est à cents ou à milliers, et non à pipe, ni cap à queue.

>> Pour exécution de ce règlement, seront députés par les dits seigneurs deux visiteurs du dit poisson salé, lesquels prêteront serment par-devant eux de faire vraie et loyale visite sans avoir acception de personne, et de compter le dit poisson salé au mieux qui leur sera possible.

>> Et en faisant lequel compte, aucunes fois ne mettront trois pour deux et parfois quatre pour deux

(1) Delurbe, p. 211.

du dit poisson salé, selon que le poisson se trouvera et à l'avis et conscience des dits visiteurs.

>> Et lesquels visiteurs seront appelés pour visiter et compter le dit poisson, si les dits visiteurs sont au pont Saint-Jean ou au chai où est déchargé le dit poisson, autrement non; et tout incontinent que les dits visiteurs seront requis sans aucun délai, seront tenus à aller compter le dit poisson, sinon que fussent en autre compagnie empêchés à compter ou visiter autre poisson.

>>> Et lesquels visiteurs prendront pour leur salaire de compter et visiter le dit poisson et à le faire marchand en la qualité sus-déclarée, ce qui s'ensuit :

Savoir est, pour visitation de chacune pipe de merlus, deux merlus du vendeur, réserve du grand merlus, vulgairement appelé du comptage, duquel n'en prendront seulement qu'un de chaque pipe, parce qu'un des dits merlus en vaut deux; et de l'acheteur six deniers pour cent. Le bourgeois sera franc de tout droit.

» Plus, est statué que les dits visiteurs ne prendront pour autre merlus paré sec et de tout autre genre de poisson sec qui est mis en grenier, que demi-poisson pour cent du vendeur, et six deniers pour cent de l'acheteur, le bourgeois franc.

>> Aussi est ordonné que de toute autre sorte de poisson salé, mouillé ou fréchant, appelé saigneux, les dits visiteurs prendront pour leur salaire une pièce de poisson pour cent du vendeur, et six deniers pour cent de l'acheteur, le bourgeois franc; lequel poisson

il sera au choix de l'acheteur de le prendre au prix de l'achat du cent, en baillant l'argent aux dits visiteurs de la dite pièce de poisson qui leur est due pour leur droit de comptage, visite et salaire, ou bien de laisser le dit poisson aux dits visiteurs.

» Et en ce ne sont compris les bourgeois de cette ville, lesquels pourront vendre leur poisson de telle sorte qui leur plaira, sans être liés ni tenus de le vendre à cents ni à milliers marchands, comme les autres étrangers sont tenus de le vendre; toutefois, les dits bourgeois ne pourront vendre en la présente ville le dit poisson salé à cents ou à milliers, le détaillant, si ce n'est au marché public de la présente ville ou à leurs maisons seulement, sans être contraints de vendre la pipe entière.

» Aussi les dits visiteurs prendront pour millier de harengs blancs, trois harengs ou six deniers tournois pour les visiter, et autant pour les compter, au choix des marchands, quand requis en seront, et non au

trement.

» Et pour millier de harengs rouges, prendront les dits visiteurs, s'ils sont requis les visiter, trois harengs, lesquels l'acheteur pourra avoir ou prendre des dits visiteurs à son choix, en leur payant six deniers tournois pour le comptage, les bourgeois francs, comme dessus est dit.

>> Aussi auront les dits visiteurs et prendront pour le comptage de barrique de colac et saumon salé, pour leur salaire, comptage et visite, une pièce de poisson du vendeur.

» Est défendu qu'aucun chayat ni autres ses domestiques achètent aucune marchandise à la maison ou chai où se tiendra aucune sorte de marchandise, pour illic la revendre, en suivant le statut fait en 1304.

>> Est aussi statué que dorénavant tout poisson que l'on voudra exposer en vente à détail, sera vendu au marché public de la dite ville, réservé que s'il y a aucun bourgeois qui en veuille vendre à détail en la maison où il fera sa demeure ou au pont Saint-Jean, faire le pourra par lui ou autre sans fraude, et non autrement, comme dessus est dit.

» Par arrêt de la Cour du 30 décembre 1549, tout le poisson salé qui se débite par les regrattiers doit être vendu non au grand marché de la dite ville, ains au canton des Ayres, en la place et rue qu'on appelle puis le dit temps: le marché du Poisson-Salé.

» S'il y a quelques matelots venant au port et hâvre de cette ville, qui, pour leur partage, ayent quelque quantité de merlus moins que d'un cent, ils le pourront vendre à détail en la dite ville, et non hors d'icelle.

>> Aussi est fait inhibition et défense à tous Anglais, Écossais, Irlandais et Normands, que dorénavant ils n'ayent à empaquer leurs harengs ès barils de Flandre, à peine de vingt-cinq livres tournois pour la première fois. Et leur est enjoint de les vendre en même sorte qu'ils les portent du pays, à même peine que dessus.

» Aussi est défendu à tous charpentiers et bar

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