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grande porte, que l'on fermait avec une pierre de même grandeur, que l'on ôtait toutes les fois qu'on voulait ouvrir. Un espace de 25 à 30 pieds séparait l'une de l'autre ces trois murailles, dont chacune avait son parapet. Au-dedans de la troisième enceinte on trouvait une place étroite et longue, où il y avait trois tours, placées en triangle: la principale était celle du milieu; elle était de forme ronde et d'une grande magnificence, parce que c'était le lieu de repos des Incas, quand ils allaient à la forteresse. Tous les murs intérieurs, étaient enrichis de plaques d'or et d'argent, sur lesquelles on voyait des animaux et des plantes représentés au naturel. Les deux autres tours étaient carrées, et servaient à loger les soldats. Le dessous de ces tours, qui communiquaient ensemble, était rempli de logemens disposés avec beaucoup d'art. Il y avait une quantité de petites rues qui se croisaient et qui aboutissaient à diverses portes. Les chambres y étaient presque toutes de la même grandeur, et formaient une espèce de labyrinthe, d'où l'on avait de la peine à se titer. Cette magnifique citadelle était à peine achevée, quand les Espagnols envahirent l'empire.

Au sortir de Cuzco, on trouvait deux immenses chaussées de cinq cents lieues de long, qui aboutissaient à Quito: l'une traversait le pays plat, en longeant la mer; l'autre allait à travers les montagnes. Pour la construction de cette dernière, les Péruviens durent rompre des rochers, combler des vallées et des précipices de 15 à 20 toises de profondeur. Au plus haut du chemin de la montagne, il y avait de part et d'autre, des plates-formes avec des escaliers en pierres de taille, afin que ceux qui portaient l'Inca dans sa chaise à bras, y pussent monter plus à l'aise et s'y reposer, pendant que le roi aurait le plaisir d'étendre sa vue sur les montagnes et sur les vallons, où la neige paraissait d'un côté, et la verdure de l'autre. Le chemin qui longeait la mer avait, selon Augustin de ZARATE, près de 40 pieds de largeur. A l'issue des vallées, on avait planté des pieux qui indiquaient la route à travers les sables. C'était surtout le long de la route, sur le dos des montagnes, qu'on voyait se succéder les arsenaux distribués par intervalles, les hospices toujours ouverts aux voyageurs, les forteresses et les temples.

De toutes ces admirables constructions il ne reste plus que des débris: le temps et les guerres ont presque tout détruit. M. de Humboldt, qui en a vu les restes imposants dans les hautes plaines de l'Assuay, au Llalo del Pullal et près de Caxamarca, dans la Colombie, dit que cette admirable chaussée,bordée de grandes pierres de taille, et située à des hauteurs qui surpassent de beaucoup celle de la cîme du pic de Ténériffe, peut être comparée aux plus belles routes des Romains qu'il a vues en Italie, en France et en Allemagne.

BALBI, Abrégé de Géographie.

204.

PAULIN,

OU LES IIEUREUX EFFETS DE LA VERTU,

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DES Des que M. Bavron fut sorti, Henriette se hâta de monter à sa chambre et Robert à la sienne. M. Durant, qui s'était contenté de rester simple spectateur, me serra affectueusement la main, en me disant: Je souhaite bien sincèrement que vous trouviez à remplacer Henriette; je vous l'avoue, je crois que cette rupture est heureuse; cette fille ne pouvait vous convenir; vos caractères ne sympathisent nullement ensemble: elle est dure, froide, intéressée ; vous êtes doux, obligeant et sensible, et cette disparate vous aurait rendu le plus à plaindre des hommes; Robert, au contraire, est un égoïste bourru, qui, comme elle, ne vise qu'à amasser de l'argent, sans être très délicat sur les moyens d'en acquérir.

Je convins avec M. Durant qu'il avait raison; je n'étais cependant pas tellement détaché d'Henriette, que je ne sentisse les regrets les plus vifs de me voir séparé d'elle pour jamais. Je me couchai l'esprit agité des diverses scènes de la journée; celle qui s'était passée chez mes bons amis Bertrand m'affectait beaucoup plus que les autres; l'image de l'intéressante Joséphine se présentait à mon âme, sous l'aspect le plus tendre. Elle m'aime, me disais-je, je n'en puis douter: pourquoi ne m'attacherai-je point à cette sensible et douce créature? Ne pouvant dormir, je me levai, et me mis à lui écrire en ces termes :

"MADEMOISELLE Le voile qui me cachait le bonheur où je pouvais atteindre s'est rompu. ... Simple et sans art, je dois vous ouvrir mon âme si c'est une témérité, j'ai trop bonne opinion de la sensibilité qui vous caractérise pour ne pas espérer que vous me la pardonnerez. J'ai cru lire dans vos yeux que Paulin, rejetté par Henriette, ne vous était point indifférent. Que l'intérêt que vous me témoignâtes hier eût de charmes pour moi! Les expressions de votre sensibilité furent un baume réparateur qui vint cicatriser mes profondes blessures. Vous joignez une noble franchise à la sensibilité dont vous êtes pourvue. Je dois donc espérer que vous ne verrez dans ma démarche que l'élan sincère d'un homme qui désire vous voir partager le sentiment qui l'anime, et qui s'attend à un aveu qui doublera le bonheur de son existence. Consultez vos dignes parens; ils me connaissent, et si les sentimens que je vous manifeste leur sont agréables, ils combleront mes vœux, en me recevant comme l'époux futur de Joséphine."

A la pointe du jour, j'envoyai ma lettre chez les Bertrand, avec ordre au commissionaire de m'aporter une réponse. Il demeura plus d'une heure sans reparaître, et cette heure me parut une année. Je me sentais totalement guéri de mon amour pour Henriette, et violemment épris pour Joséphine. Ce changement subit m'étonnait,

mais plus je sondais mon cœur, plus j'acquérais la conviction qu'il était réel.

Lorsque le commissionaire rentra, mon cœur battit avec violence; ma main tremblait en prenant la lettre qu'il me présenta; je l'ouvris et y lus ces mots:

"Monsieur, madame Bertrand et leur nièce Joséphine attendent M. Paulin à diner, pour se réjouir avec lui de son heureuse rupture; il ne peut pas douter de leur zèle à contribuer à tout ce qui pourra lui faire oublier les chagrins qu'il a éprouvés: il doit savoir combien on éprouvera toujours de plaisir à lui en donner des preuves."

Cette lettre me fit éprouver une joie inexprimable ; j'y vis clairement que j'étais aimé de Joséphine, et que ses parens verraient notre union avec plaisir.

Comme je me disposais à me rendre auprès de l'oncle d'Henriette, elle parut dans le comptoir sa vue ordinairement me causait le plus grand trouble; mon cœur se serrait et j'étais près de me trouver mal; pour cette fois-ci, je n'éprouvai pas la plus légère émotion; j'étais parfaitement à mon aise; je lui souhaitai le bonjour, et m'informai de sa santé avec un air d'aisance qui la surprit.“Navez-vous rien à faire dire à monsieur votre oncle, mademoiselle?-Si vous voulez vous charger de lui présenter mes respects, monsieur, vous en êtes le maître.--Vous ne pouvez pas douter, mademoiselle, de mon empressement à faire tout ce qui peut vous être agréable. C'est avoir bien de la bonté, M. Paulin, mais il eût fallu agir ainsi avant de porter votre argent au capitaine anglais.A quoi bon parler de ceci?-Pour vous faire sentir, monsieur, que notre rupture est fondée.-Henriette, je suis loin de vous la reprocher; j'avouerai même que si elle m'a donné des chagrins, aujourd'hui elle comble mes vœux.-Vous êtes un impertinent, monsieur. -Je ne m'en serais pas douté, mademoiselle.-Ne me fatiguez point de votre jalousie.-On n'est jaloux que quand on aime.-Ah! mon dieu, monsieur, que je serais heureuse, si vous ne m'aimiez plus !-En ce cas vous l'êtes. Voulez-vous me charger d'annoncer à monsieur votre oncle le jour où vous couronnerez les vœux de M. Robert ? Je n'ai point de compte à vous rendre, monsieur, et je vous prie de cesser ce persiflage.-Mon intention n'étant nullement d'exciter votre mauvaise humeur, je me retire; adieu, mademoiselle.-Adieu, monsieur."

Il y avait longtems que mon âme n'avait éprouvé une situation plus douce; elle semblait être débarrassée d'un poids accablant : toutes mes idées se portaient gaiement sur l'heureux avenir que m'offrait la tendresse de Joséphine.

M. Bavron parut surpris en me voyant l'air de gaité répandu sur tous mes traits; il m'embrassa cordialement, et fit servir à déjeuner. Il m'avoua, dans la conversation, qu'il était indigné contre le procédé de sa nièce; qu'elle pouvait se marier, mais qu'il gar

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derait les six mille francs qu'il lui avait destinés, si elle m'avait épousé. Je le conjurai avec instance de revenir à des sentimens plus doux envers elle, et j'eus le bonheur de réussir à le calmer. Elle aura les mille écus, dit-il, mais je veux qu'elle sache que je ne les lui donne que par considération pour vous. M. Bavron m'accompagna au magasin pour faire ses adieux à sa nièce. Henriette, nous voyant entrer ensemble, pâlit et rougit successivement: Robert était assis à côté d'elle; il se leva. "Ma nièce, dit M. Bavron, je viens vous faire mes adieux et vous donner mon consentement pour votre nouveau marriage; ma première intention, en arrivant ici, était de vous donner mille écus; la seconde fut de vous retirer ce don, en voyant votre changement; mais M. Paulin m'ayant supplié de ne point vous priver de cette somme, je veux bien, en sa considération, la déposer chez un notaire, avec mon consentement. Adieu, soyez heureuse."

Henriette balbutia quelques mots de remercîmens, et M. Bavron se retira, en me priant de lui écrire de temps à autre et de consentir à ce qu'il me donnât aussi de ses nouvelles.

A continuer.

THE, &c. DU CANADA.

LE morceau suivant, que nous extrayons du Canadien de Québec, du 20 juin dernier, nous a paru mériter d'être mis sous les yeux de nos lecteurs.

Il est trois articles qui nous viennent d'outre-mer et que nous avons chez-nous ces articles sont le thé, le sucre, le café. Nous allons commencer par le thé.

Nous avons dans nos forêts une innombrable quantité de thé connu de presque tous les habitans du pays sous le nom de thé sauvage. Il en est de deux sortes, l'une amère et désagréable, l'autre douce et aromatique on les distingue l'une de l'autre, en ce que la première rampe sur la terre et que sa feuille est grande et veloutée. C'est la dernière plante que l'on doit préférer. On l'appelle Gaultheria, du nom du célèbre médecin français GAUTHIER.*

* Les botanistes de la fin du 17e. siècle et du commencement du 18e. ne parlaient pas un meilleur latin que les médecins du même temps, les w, les trois ou quatre consonnes de suite ne coûtaient guère aux Anglais et aux Allemands, et les Français n'étaient pas beaucoup plus scrupuleux: témoin leur Gaultheria, leur Tournefortia, &c., au lieu de Galtheria, Turnefortia, &c. Les syllabes gaul et tour nous paraissent sentir beaucoup plus la barbarie que la bonne latinité. LAMPRIDE, GREGOIRE de Tour, ALCUIN, tout barbares qu'ils étaient, ne se seraient probablement pas exprimés de la sorte. Quoiqu'il en soit, la plante dont parle au long le correspondant du Canadien est celle qu'un de nos jardiniers botanistes, feu M. R. GLEGHORN, nous a dit se nommer, botaniquement, gaultheria, ou galtheria procumbens. Nous l'avons vue quelque part dans nos forêts, et souvent sur nos marchés. Elle s'élève très peu audessus du sol: ses feuilles, joliment découpées, sont d'un beau vert, et elle est garnie de petits fruits, ou de graines rouges, de la forme ct de la grosseur, à peu près, d'un petit pois.

A ce mot de Thé Sauvage, j'entends toutes les bouches délicates s'écrier: "Mais y pensez-vous? ce thé n'est bon que pour des Sauvages. Il n'y a que le goût délicieux du thé de l'Inde qui puisse nous délecter; encore faut-il qu'il soit bien fort." Oh! non, sans doute, notre thé ne vaut rien; car c'est une plante indigène, et nul n'est prophète en son pays. Ce qui se dit des hommes s'applique également à tous les objets. Ce que l'on peut avoir si facilement ne peut pas être bon; et ce qui a traversé plus de 5,000 lieues d'un vaste océan pour venir jusqu'à nous, n'a pu s'importer de si loin sans qu'on l'ait considéré comme très-précieux. Aussi se vend-il très cher. Mais nous pouvons dire avec certitude que si notre thé venait de l'Inde et que le thé de l'Inde originât dans notre pays, nous ne voudrions pas boire de ce thé, que nous regardons comme si précieux aujourd'hui. C'est ainsi que M. LENOIR, célèbre fabricant français du temps du consulat, vendait en prodigieuse quantité đu basin de sa fabrique qu'il donnait comme venant d'Angleterre, tandis que, comme il le disait lui-même, s'il eût fait connaître que ce basin se fesait en France, il n'en eût jamais vendu une seule pièce. Lorsque le thé parut en France, on le trouvait mauvais et on ne le prenait que comme remède. Il peut cependant se faire maintenant que le goût anglais ait prévalu dans quelques parties de la France, comme les modes et les goûts de Versailles fesaient fureur à Londres, au temps de Louis XIV.

Mais nous allons procéder plus directement pour convaincre les consciences délicates en fait de goût. Quand on sera convaincu de ce que la santé et le bien-être peuvent gagner à la consommation du thé indigène, peut-être se montrera-t-on plus facile à recevoir notre suggestion. Ce thé que vous regardez comme sauvage, vous allez voir qu'il fut une fois civilisé par le plus civilisé des peuples, et que, s'il est retombé dans sa barbarie primitive, c'est à nous que nous devons nous en prendre. Avant la conquête du pays par les Anglais, il fut envoyé à M. Gauthier, médecin et académicien, nous croyons, de ce thé et de notre capillaire. M. Gauthier démontra à l'académie la supériorité de notre capillaire sur le capillaire français, qui n'a rien des propriétés précieuses de la plante du Canada. Il parla en même temps de notre thé, qu'il désigna comme un breuvage excellent, aromatique, sans âcreté ni amertume. Enonçant sa propriété diurétique, il le donna comme très utile aux personnes que les affaires ou les infirmités retiennent sédentaires et qui sont par là exposées à l'attaque de la pierre. L'académie fut si satisfaite du travail de M. Gauthier, qu'elle voulut que cette plante portât son nom, et qu'elle fut appellée Gaultheria. Alors il y eut fureur en France pour avoir de notre thé et de notre capillaire, et ces deux substances étaient envoyées tous les ans des Trois-Rivières en quantité considérable. Ce thé, que nous dédaignons aujourd'hui, on le trouvait bon en France, dans ce pays où la civilisation bouil

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