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L'AVARE,

COMÉDIE EN CINQ ACTES,

Représentée sur le théâtre du Palais-Royal le 9 septembre 1668.

PERSONNAGES.

HARPAGON, père de Cléante et d'Élise, et amoureux de Mariane.

ANSELME, père de Valère et de Mariane.
CLEANTE, fils d'Harpagon, amant de Mariane.
ÉLISE, fille d'Harpagon.

VALÈRE, fils d'Anselme, et amant d'Élise.
MARIANE, fille d'Anselme.

FROSINE, femme d'intrigue.

MAÎTRE SIMON, courtier.

MAÎTRE JACQUES, cuisinier et cocher d'Har

pagon.

LA FLECHE, valet de Cléante.

DAME CLAUDE, servante d'Harpagon.

BRINDAVOINE,

LA MERLUCHE,

} laquais d'Harpagon.

UN COMMISSAIRE.

La scène est à Paris, dans la maison d'Harpagon.

ACTE PREMIER.

SCÈNE I.

VALERE, ÉLISE.

VALÈRE.

Hé quoi! charmante Élise, vous devenez mélancolique, après les obligeantes assurances que vous avez eu la bonté de me donner de votre foi! je vous vois soupirer, hélas! au milieu de ma joie! Est-ce du regret, dites-moi, de m'avoir fait heureux? et vous repentez-vous de cet engagement où mes feux ont pu vous contraindre?

ÉLISE.

Non, Valère, je ne puis pas me repentir de tout ce que je fais pour vous; je m'y sens entraîner par une trop douce puissance, et je n'ai pas même la force de souhaiter que les choses ne fussent pas mais, à vous dire vrai, le succès me donne de l'inquiétude; et je crains fort de vous aimer un peu plus que je ne devrois.

VALÈRE.

Hé! que pouvez-vous craindre, Élise, dans les que vous avez pour moi?

bontés

ÉLISE.

Hélas! cent choses à-la-fois : l'emportement d'un père, les reproches d'une famille, les censures du monde; mais, plus que tout, Valère, le changement de votre cœur, et cette froideur criminelle dont ceux de votre sexe paient le plus souvent les témoignages trop ardents d'un inno

cent amour.

VALÈRE.

Ah! ne me faites pas ce tort de juger de moi par les autres. Soupçonnez-moi de tout, Élise, plutôt que de manquer à ce que je vous dois: je vous aime trop pour cela; et mon amour pour vous durera autant que ma vie.

ÉLISE.

Ah, Valère chacun tient les mêmes discours. Tous les hommes sont semblables par les paroles, et ce n'est que les actions qui les découvrent différents.

VALÈRE.

Puisque les seules actions font connoître ce que nous sommes, attendez done, au moins, à juger de mon cœur par elles ; et ne me cherchez point des crimes dans les injustes craintes d'une

fâcheuse prévoyance. Ne m'assassinez point, je vous prie, par les sensibles coups d'un soupçon outrageux; et donnez-moi le temps de vous convaincre, par mille et mille preuves, de l'honnêteté de mes feux.

par

ÉLISE.

Hélas! qu'avec facilité on se laisse persuader les personnes que l'on aime! Oui, Valère, je tiens votre cœur incapable de m'abuser. Je crois que vous m'aimez d'un véritable amour, et que vous me serez fidèle; je n'en veux point du tout douter, et je retranche mon chagrin aux appréhensions du blâme qu'on pourra me donner.

VALÈRE.

Mais pourquoi cette inquiétude?

ÉLISE.

Je n'aurois rien à craindre si tout le monde vous voyoit des yeux dont je vous vois; et je trouve en votre personne de quoi avoir raison aux choses que je fais pour vous. Mon cœur, pour sa défense, a tout votre mérite, appuyé du secours d'une reconnoissance où le ciel m'engage envers vous. Je me représente, à toute heure, ce péril étonnant qui commença de nous offrir aux regards l'un de l'autre, cette générosité surprenante qui vous fit risquer votre vie pour dérober la mienne à la fureur des ondes, ces soins

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