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CHAPITRE VIII.

Sur le Livre 8. De la corruption des principes des trois gouvernemens.

Aucun livre de l'Esprit des Lois ne prouve mieux que celui-ci combien est vicieuse la classification des gouvernemens qu'a adoptée Montesquieu, et combien nuit à la profondeur et à l'étendue de ses idées l'usage qu'il a fait de cette classification systématique, en adaptant exclusivement à chacun de ces gouvernemens un sentiment qui se trouve plus ou moins dans tous, dont il fait le principe unique de chacun d'eux, et dont il tire, pour ainsi dire par force, la raison de tout ce qu'ils font et de tout ce qui leur arrive.

En effet, dans ce livre huitième, la première chose dont on est frappé, c'est qu'en n'annonçant que trois espèces de gouvernemens, il commence par en distinguer quatre, qui sont en effet très-différens, et il finit par en réunir deux sous le nom de républicain,

qui n'ont réellement nulle ressemblance sous le rapport dont il est question, celui de l'étendue du territoire.

Ensuite, vu qu'aucune institution humaine n'est exempte de défauts, on s'attend qu'il va nous dire quels sont les vices inhérens et propres à chacune des formes sociales, et nous enseigner les moyens de les combattre. Point du tout en vertu de son arrangement systématique il se tient dans les abstractions; il n'est point question encore des gouvernemens, il ne s'agit que de leurs principes. Et que nous apprend-il relativement à ces principes? le voici :

Le principe de la démocratie, dit-il, se corrompt, non-seulement lorsqu'on perd l'esprit d'égalité, mais encore lorsque chacun veut être égal à ceux qu'il choisit pour lui commander : et il explique cette seconde idée par beaucoup d'exemples et de raisonnemens. Mais, toute juste quelle est, a-t-elle quelque rapport particulier avec la vertu démocratique qu'il a caractérisée ailleurs, l'abnégation de soi-même, plus qu'avec tout autre principe politique? Est-il une société quelconque qui puisse subsister quand tout

le monde veut commander, et que personne ne veut obéir?

Sur l'aristocratie, il nous dit qu'elle se corrompt, lorsque le pouvoir des nobles devient arbitraire, et qu'ils n'observent pas les lois. Sans doute ces excès sont contraires à la modération, prétendu principe de ce gouvernement. Mais quel est celui dont le principe ne se corrompt pas? ou plutôt qui n'est pas déjà corrompu dans le principe et dans le fait, quand il devient arbitraire et quand les lois n'y sont pas observées?

Aussi l'article de la monarchie est-il à peu près le même que celui-ci en d'autres termes. On y trouve que le principe de la monarchie se corrompt, quand le prince détruit les prérogatives des corps ou les priviléges des villes, quand il ôte aux uns leurs fonctions naturelles pour les donner arbitrairement à d'autres, quand il est plus amoureux de ses fantaisies que de ses volontés, quand il devient cruel, quand on peut être. à la fois couvert d'infamie et de dignités. Certainement de tels désordres sont pernicieux; mais il n'y en a aucun, excepté le dernier, qui ait un rapport direct avec

l'honneur, et il est partout aussi fâcheux et aussi révoltant que dans la monarchie.

A l'égard du gouvernement despotique, on nous dit : Les autres gouvernemens périssent parce que des accidens particuliers en violent le principe: celui-ci périt par son vice intérieur, lorsque quelques causes accidentelles, n'empêchent point son PRINCIPE de se corrompre; c'est-à-dire, qu'il ne se maintient que quand quelque circonstance le force à suivre quelque ordre et à souffrir quelque règle. Je crois cela vrai. Il me paraît très-sûr que le gouvernement despotique, non plus qu'un autre, ne peut subsister, s'il ne s'y établit une sorte d'ordre. Mais il faut convenir qu'il est singulier d'appeler corruption de la crainte, l'établissement d'un ordre quelconque. D'ailleurs, je le demande de nouveau, qu'est-ce que tout cela nous apprend?

Je crois pouvoir conclure de ces citations, qu'il y a peu de lumières à tirer des réflexions que suggère à Montesquieu, la manière dont s'affaiblissent et se détruisent, suivant lui, ses trois ou quatre prétendus principes de gouvernement. Je ne m'y arrêterai donc pas davantage; mais je prendrai

la liberté de combattre ou du moins de discuter une assertion qui est la suite de toutes ces idées. Il prétend que la propriété naturelle des petits états est d'être gouvernés en république; celle des médiocres, d'étre soumis à un monarque; celle des grands empires, d'être dominés par un despote : que pour conserver les principes du gouvernement établi, il faut maintenir l'état dans la grandeur qu'il avait déjà ; et que cet état changera d'esprit à mesure qu'on rétrécira ou qu'on étendra ses limites. Je crois cette décision sujette à beaucoup de difficultés.

Premièrement, je répéterai une observation que j'ai déjà faite souvent. Le mot république est ici fort équivoque. Il s'applique également à deux gouvernemens qui se ressemblent en cela, qu'ils n'ont pas un chef unique, et qui different beaucoup pour l'objet dont il s'agit. La démocratie ne peut certainement avoir lieu que dans un très-petit espace, ou que dans l'enceinte d'une seule ville, et même à la rigueur, elle est absolument impossible partout, un peu de temps de suite. Comme nous l'avons déjà dit, c'est l'enfance de la société. Mais pour l'aristocratie sous plusieurs chefs,

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