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nommée république, il me semble que l'empêche de gouverner un vaste territoire, comme l'aristocratie sous un seul chef, nommée monarchie. La république romaine est une grande preuve que cela est très-possible. A l'égard du gouvernement despotique (la monarchie pure), je ne conçois pas comment Montesquieu peut avancer (chap. 19), qu'il est nécessaire pour bien régir un grand empire, après avoir dit précédemment, que c'est toujours un gouvernement abominable; ni comment il prétend ici qu'il faut conserver à ce vaste empire son étendue, pour conserver le principe de ce gouvernement, après avoir dit aussi précédemment que ce gouvernement ne peut subsister qu'en renoncant à son principe. Tout cela est contradictoire (1).

Ce dernier aveu m'autorise à renouveler mon assertion, que le despotisme est, comme la démocratie, un état de la société encore informe, et que ces deux mauvais ordres de

(1) Je crois que l'on peut dire seulement que tout état, excessivement étendu, ne peut manquer de tomber sous le joug du despotisme, ou de se diviser.

choses, tous deux impossibles à la longue, ne méritent pas de nous occuper. Reste donc seulement l'aristocratie sous plusieurs chefs, et l'aristocratie sous un seul, ou la monarchie, qui toutes deux peuvent également avoir lieu dans tous les états, depuis le plus petit jusqu'au plus grand; avec cette différence cependant que la dernière, outre les frais et les sacrifices que coûtent à la nation l'entretien et les prérogatives des classes distinguées et des corps privilégiés, exige encore des gouvernés toutes les dépenses qu'entraîne nécessairement l'existence d'une cour. En sorte que réellement il faut pour y suffire, qu'un état ait un certain degré d'étendue ou du moins d'opulence. Il ne s'agit là ni d'honneur, ni de modération, ni d'aucune autre idée fantastique, prise arbitrairement, pour servir de réponse à tout, mais de calcul et de possibilité. Un roi ne saurait subsister aux dépens d'un petit nombre d'hommes peu industrieux et par conséquent peu riches. Car, comme dit le bon et profond La Fontaine, il ne vit pas de peu. Il y a plus de philosophie et de saine politique dans ces quatre mots que dans beaucoup de systèmes.

J'ajouterai que le gouvernement représentatif avec un ou plusieurs chefs, lequel j'ai toujours mis en parallèle, et pour ainsi dire, en pendant avec l'aristocratie et ses diverses formes, comme étant le mode propre à un troisième degré de civilisation, a, de même que cette aristocratie, la propriété de convenir à toutes les sociétés politiques depuis les plus petites jusqu'aux plus grandes. Il jouit même de cet avantage à un plus haut degré. Car d'une part, il est par sa nature bien moins dispendieux pour les gouvernés, puisqu'aux frais nécessaires de l'administration, il n'ajoute pas les sacrifices beaucoup plus onéreux, résultant des priviléges de quelques hommes; ainsi, il peut plus aisément subsister dans des petits états: d'autre part, joignant à la puissance physique de son pouvoir exécutif, le pouvoir moral de chacun des membres du pouvoir législatif dans la partie de l'empire par laquelle chaque membre est spécialement délégué, il a bien plus de force pour procurer l'exécution des lois sur tous les points d'un vaste territoire. Ainsi il peut mieux maintenir l'ordre dans un grand empire. Il faut seulement pour cet

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effet que le pouvoir législatif ne se mette pas en opposition avec le pouvoir exécutif, comme il arrive souvent dans l'aristocratie sous un seul chef, lorsque les classes privilégiées se mettent en opposition avec ce chef; et il y a beaucoup de moyens pour cela mais ce n'est pas ce dont il est question actuellement. Voilà, je pense, tout ce que l'on peut dire de l'étendue d'une société politique, en ne la considérant que relativement à la forme du gouvernement, comme a fait Montesquieu: mais il me semble que ce sujet peut être envisagé sous d'autres points de vue qu'il a négligés, et donner lieu à plusieurs observations importantes.

Premièrement, de quelque manière qu'un état soit gouverné, il faut qu'il ait une certaine étendue. S'il est trop petit, les citoyens pourront, quand ils le voudront, se voir tous en deux jours et faire une révolution en une semaine. Ainsi, vu la mobilité des esprits des hommes et leur excessive sensibilité au mal présent, cet état n'est jamais à l'abri d'un changement subit. Il ne saurait donc avoir ni liberté, ni tranquillité assurées, ni bonheur durable.

Il faut de plus qu'un état ait une force suffisante. S'il est trop faible, il ne jouit jamais d'une véritable indépendance, et n'a qu'une existence précaire. Il ne subsiste que par la jalousie réciproque de ses voisins plus puissans. Il souffre de toutes leurs querelles, ou est la victime de leurs réconciliations. Il est entraîné malgré lui dans leur atmosphère, et il finit par être englobé par l'un d'eux ou, ce qui est peut-être pis encore, en lui conservant une ombre d'existence, on ne lui laisse jamais la liberté de se gouverner à son gré. Il faut toujours qu'il soit régi par les principes et suivant les vues des états qui l'entourent, en sorte qu'il est bouleversé non-seulement par les révolutions qui s'opèrent dans son sein, mais encore par toutes celles qui peuvent avoir lieu ailleurs.

preuves

Gênes, Venise, tous les petits états d'Italie, tous ceux de l'Allemagne malgré leur lien fédératif, Genève malgré son union au corps helvétique, sont autant de de ces vérités. La Suisse et la Hollande elles-mêmes, malgré leurs forces plus réelles, en sont des exemples encore plus marquans. On a cru et on a dit trop long-temps sans assez de

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