Images de page
PDF
ePub

tité de faits, ou minutieux, ou problématiques, ou mal circonstanciés, que Montesquieu va chercher dans les auteurs les plus suspects, ou dans les pays les moins connus, pour les faire servir de preuves à ses principes ou à ses raisonnemens. Il me semble que la plupart du temps ils éloignent de la question, au lieu de l'éclaircir. J'avoue que cela m'a toujours fait une vraie peine. Dans l'occasion présente, il est si attaché à soutenir qu'une république ne saurait gouverner une grande étendue de pays, sans le secours de la fédération, qu'il cite la république romaine comme une république fédérative. Assurément je ne prétends pas disputer d'érudition avec un homme si savant, qui d'ailleurs ici ne produit pas ses autorités : je sais qu'à différentes époques, et suivant différens modes, les Romains ont réuni à leur empire les peuples vaincus; mais je ne puis voir là une vraie fédération; et il me paraît que si un état a jamais eu le caractère de l'unité, c'est une république qui résidait toute entière dans une seule ville, que par cette raison on appelait la tête ou la capitale de l'univers, caput orbis.

moyens

Après avoir parlé des fédérations comme des seuls de défense des républiques, Montesquieu dit que ceux des états despotiques consistent à ravager leurs frontières et à les environner de déserts; et ceux des monarchies à s'entourer de places fortes.

Je crois que c'est pousser bien loin l'esprit de système que d'attribuer exclusivement un de ces moyens à chaque espèce de gouvernement. Mais je ne m'arrêterai pas sur ce sujet, ni sur tout le reste de ce livre, parce que je ne vois pas d'instruction à en tirer.

Je n'y trouve à recueillir que cette belle sentence l'Esprit de la monarchie est la guerre et l'agrandissement; l'esprit de la république est la paix et la modération. Montesquieu répète la même chose en plusieurs endroits. Est-ce donc là faire l'éloge du gouvernement d'un seul (1)?

(1) Montesquieu par cette sentence exprimait, sans choquer ouvertement le pouvoir, la préférence que les peuples doivent donner à la république sur la monarchie. (Note de l'éditeur).

CHAPITRE X.

Sur le Livre 10. Des lois dans le rappport qu'elles ont avec la force offensive.

Sous ce titre, ce livre traite du droit de faire la guerre, et de celui de faire des conquêtes, des conséquences de la conquête, de l'usage qu'on en peut faire, et des moyens de la conserver.

Le droit de faire la guerre qu'a une collection d'hommes, vient du droit qu'a chacun de ces hommes, en qualité d'être sensible, de défendre sa personne et ses intérêts; car c'est pour les défendre avec moins de peine et plus de succès, qu'il s'est réuni en société avec d'autres hommes, et qu'il a ainsi converti son droit de défense personnelle en celui de faire la guerre conjointe

ment avec eux.

Les nations sont les unes à l'égard des autres dans l'état où seraient des hommes sauvages, qui n'appartenant à aucune nation et n'ayant entr'eux aucun lien: social,

n'auraient aucun tribunal à invoquer, aucune force publique à réclamer pour en être protégés. Il faudrait bien qu'ils se servissent chacun de leurs forces individuelles pour se conserver.

Cependant ces hommes-là même, pour ne pas se dévorer incessamment comme des bêtes féroces, seraient obligés de faire usage de la faculté qu'ils auraient, quoique bien imparfaitement, de s'entendre les uns les autres; de s'expliquer quand ils seraient en querelle, sans quoi leurs différens dureraient éternellement; de faire entr'eux quelques conventions pour se laisser réciproquement en repos, et de compter jusqu'à un certain point sur la foi jurée, quoiqu'ils n'en eussent pas une garantie bien rassurante.

C'est aussi ce que font les nations. Les plus brutales s'envoient des parlementaires, des hérauts, des ambassadeurs que l'on respecte, font des traités', se donnent des otages. Les plus civilisées vont jusqu'à mettre des bornes à leurs fureurs, même pendant que la guerre dure encore. Elles s'accordent respectivement le droit d'enterrer les morts, soignent les blessés, échangent les prisonniers,

au lieu de les manger ou d'exercer sur eux une vengeance féroce; et d'un autre côté, elles s'habituent à ne pas rompre la paix sans provocation et sans explication, et sans déclarer que l'explication ou la satisfaction ne sont pas suffisantes. Tout cela prend la force d'usages reçus et de règles convenues entr'elles; règles qui manquent à la vérité de moyen coercitif pour empêcher d'y contrevenir (1), mais qui n'en composent pas moins ce que l'on appelle le droit des nations, le droit des gens, jus gentium.

Cet ordre de choses fait sortir les nations de l'état d'isolement absolu que nous avons peint d'abord, et les amène à être entr'elles dans un état de société informe et à peine ébauché, à peu près tel qu'il existe entre les sauvages, qui par une espèce de confiance mutuelle, se sont réunis en une même horde, sans avoir su organiser une puissance publique qui assure les droits de chacun d'eux. Déjà dans cet état, le meilleur système

(1) C'est ce qui fait qu'elles ne sont pas de véritables lois positives, quoique fondées sur les lois éternelles de la nature. Voyez la définition du mot loi, au chapitre premier.

« PrécédentContinuer »