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particulier, dans la force des autorités supérieures de la fédération; et que lorsqu'il s'agit de celles-ci, cette garantie se trouve dans la réunion de la majorité des états fédérés; qu'ainsi nous avons éludé la difficulté plutôt que nous ne l'avons résolue, ou que du moins nous ne l'avons résolue qu'à l'aide du système fédératif, et qu'il reste à savoir comment on pourrait y parvenir dans un état un et indivisible. D'ailleurs, un pareil sujet demande à être traité plutôt théoriquement qu'historiquement. Je vais donc essayer d'établir, à priori, les principes d'une constitution vraiment libre, légale et paisible : pour cela il convient de reprendre les choses d'un peu plus haut.

Seconde partie.

Comment pourrait-on parvenir à résoudre le problème proposé?

Nous avons dit que la toute puissance ou la toute liberté était la félicité parfaite. Cet état n'est point donné à l'homme. Il est incompatible avec la faiblesse de la nature de tout être fini.

Si un homme pouvait exister dans un état d'isolement et d'indépendance absolue, certainement il ne serait pas gêné par la volonté de ses semblables; mais il serait esclave de toutes les forces de la nature, au point de ne pouvoir pas leur résister assez pour se

conserver.

Quand donc les hommes se réunissent en société, ils ne sacrifient pas une portion de leur liberté, comme on l'a tant dit; au contraire, chacun d'eux augmente sa puissance. C'est là ce qui les porte si impérieusement à se réunir, et ce qui fait qu'ils existent encore moins mal, dans la plus imparfaite des sociétés, que séparés; car s'ils sont opprimés de temps en temps par la société, ils en sont secourus à tous les momens. Soyez dans les déserts de la Lybie, vous croyez arriver sur une terre hospitalière, quand vous entrez dans les états du roi de Maroc. Seulement, pour que les hommes vivent réunis, il faut que chacun d'eux s'arrange le mieux possible avec tous les autres; et c'est dans la manière de s'arranger ensemble que consiste ce que l'on appelle la constitution de la société,

Ces arrangemens sociaux se sont toujours

faits, d'abord au hasard et sans principes, ensuite ils ont été modifiés de même, et améliorés, ou souvent détériorés à beaucoup d'égards, suivant les circonstances. De là naît la multiplicité presque infinie d'organisations sociales qui existent parmi les hommes, et dont presque pas une ne ressemble en tout à aucune autre, sans qu'on puisse dire le plus souvent quelle est la moins mauvaise. Ces arrangemens doivent subsister sans doute, tant qu'ils ne sont pas devenus absolument insupportables à la majeure partie des intéressés; car ordinairement il en coûte bien cher pour les changer. Mais enfin supposons qu'une nation nombreuse et éclairée soit décidément lasse de sa constitution, ou plutôt lasse de n'en point avoir de bien déterminée, ce qui est le cas le plus ordinaire, et cherchons ce qu'elle doit faire pour s'en donner une, en suivant les lumières de la simple raison.

Il me paraît manifeste qu'elle ne saurait prendre qu'un des trois partis suivans: ou de charger les autorités qui la gouvernent, de s'arranger entr'elles, de reconnaître réci proquement leur étendue et leurs limites, et de déterminer nettement leurs droits et leurs

devoirs, c'est-à-dire, les cas où l'on doit leur obéir ou leur résister; ou de s'adresser à un sage pour lui demander de rédiger le plan complet d'un gouvernement nouveau; ou de confier ce soin à une assemblée de députés librement élus à cet effet, et n'ayant aucune autre fonction.

Le premier de ces partis est à peu près celui qu'ont pris les Anglais en 1688, lorsqu'ils ont consenti, au moins tacitement, à ce que leur parlement chassât Jacques II, reçut Guillaume Ier., et fit avec lui une convention qu'ils appellent leur constitution, et qu'ils ont ratifiée de fait par leur obéissance et même par leur attachement. Le second, est celui auquel se sont déterminées plusieurs nations anciennes, et le troisième est celui que les Américains et les Français ont préféré dans ces derniers temps, quand ils ont secoué le joug de leurs anciens monarques. Mais les uns l'ont suivi exactement, excepté dans les premiers instans, au lieu que les autres s'en sont écartés à deux fois différentes, en laissant dans les mêmes mains le pouvoir de gouverner et celui de constituer. Chacun de ces trois partis a ses avantages et ses inconvéniens.

Le premier est le plus simple, le plus prompt, et le plus facile dans la pratique; mais on doit s'attendre qu'il ne produira qu'une espèce de transaction entre les différentes autorités; que les limites de leurs pouvoirs, pris en masse, ne seront pas circonscrites avec exactitude; que les moyens de les réformer et de les changer toutes ne seront pas prévus, et que les droits de la nation, à leur égard, ne seront ni bien établis, ni bien reconnus.

Le second promet une rénovation plus entière et une législation plus complète. Il donne même lieu d'espérer que le nouveau système de gouvernement étant fondu d'un seul jet et sortant d'une seule tête, sera plus homogène et mieux combiné. Mais indépendamment de la difficulté de trouver un sage digne d'une telle confiance, et du danger de l'accorder à un ambitieux qui la fera servir à ses vues, il est à craindre qu'un plan qui n'est que la conception d'un seul homme, et qui n'a été soumis à aucune discussion, ne soit pas assez adapté aux idées nationales, et ne se concilie pas solidement la faveur publique. Il est même à peu près

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