ou moins profondes, suivant que les idées adoptées précédemment sur l'organisation de la société auront été plus ou moins saines. Mais en définitif cette organisation n'est faite que pour amener de bons résultats; elle n'est préférable à l'anarchie (entendez, si vous voulez, l'indépendance naturelle), que par les maux qu'elle évite et les biens qu'elle procure; on ne doit juger de son degré de perfection que par les effets qu'elle produit. Il est donc à propos, avant d'aller plus loin, de nous rappeler sommairement les principes que nous avons extraits des discussions précédentes nous verrons mieux ensuite comment ils s'allient avec les diverses circonstances, et si c'est pour les avoir négligés ou suivis, que sont nés dans tous les temps les biens et les maux de l'humanité. Voulant parler de l'esprit des lois, c'està-dire, de l'esprit dans lequel les lois sont ou doivent être faites, nous avons commencé par nous rendre un compte exact du sens du mot loi. Nous avons reconnu qu'il signifie essentiellement et primitivement, une règle prescrite à nos actions par une autorité en qui nous reconnaissons le droit de la faire. Ce mot est donc nécessairement relatif à l'organisation sociale, et n'a pu être inventé que dans l'état de société commencée. Cependant, par extension, nous avons ensuite appelé lois de la nature, les règles que paraissent suivre constamment tous les phénomènes qui se passent sous nos yeux, considérant qu'ils s'opèrent toujours, comme si une autorité invincible et immuable avait ordonné à tous les êtres de suivre certains modes dans leur action les uns sur les autres. Ces lois ou règles de la nature ne sont rien d'autre que l'expression de la manière dont les choses arrivent inévitablement. Nous ne pouvons rien sur cet ordre universel des choses. Il faut donc nous y soumettre et y conformer nos actions et nos institutions. Ainsi dès le début nous trouvons que nos lois positives doivent être conséquentes aux lois de notre nature. Nos diverses organisations sociales ne sont pas toutes également conformes à ce principe. Elles n'ont pas toutes une égale tendance à s'y soumettre et à s'en rapprocher. Elles paraissent avoir des formes très-variées. Il est donc essentiel de les étudier séparément. Après les avoir bien examinés, nous trouvons dès le second chapitre que les gouvernemens viennent tous se ranger dans deux classes, savoir : ceux qui sont fondés sur les droits généraux des hommes, et ceux qui se prétendent fondés sur des droits particuliers. Montesquieu n'a pas adopté cette division. Il classe les gouvernemens d'après la circonstance accidentelle du nombre des hommes qui sont les dépositaires de l'autorité; et il cherche, dans le livre troisième, quels sont les principes moteurs, ou plutôt conservateurs, de chaque espèce de gouvernement. Il établit que pour le despotisme c'est la crainte, pour la monarchie, l'honneur, et pour la république, la vertu. Ces assertions peuvent être plus ou moins sujettes à explication et à contestation. Mais sans prétendre les nier absolument, nous croyons pouvoir affirmer qu'il résulte de la discussion à laquelle elles nous ont engagés, que le principe des gouvernemens fondés sur les droits des hommes, est la RAISON. Nous nous bornons à cette conclusion que tout confirmera par la suite. Dans le livre quatrième, il est question de l'éducation. Montesquieu établit qu'elle doit être relative au principe du gouvernement, pour qu'il puisse subsister. Je pense qu'il a raison, et j'en tire cette conséquence: que les gouvernemens qui s'appuient sur des idées fausses et mal démêlées, ne doivent pas risquer de donner à leurs sujets une éducation bien solide; que ceux qui ont besoin de tenir certaines classes dans l'avilissement et l'oppression, ne doivent pas les laisser s'éclairer; et qu'ainsi il n'y a que les gouvernemens fondés sur la raison, qui puissent désirer que l'instruction soit saine, forte, et généralement répandue. Si les préceptes de l'éducation doivent être relatifs au principe du gouvernement, il n'est pas douteux qu'il n'en doive être de même, à plus forte raison, des lois proprement dites; car les lois sont l'éducation des hommes faits. C'est aussi ce que dit Montesquieu dans le livre cinquième; et en conséquence, il n'y a aucun des gouvernemens dont il parle, auquel il ne conseille quelques mesures évidemment contraires à la justice distributive et aux sentimens naturels à l'homme. Je ne nie point que ces tristes expédiens ne leur soient nécessaires pour se soutenir; mais je montre qu'au contraire les gouvernemens, fondés sur la raison, n'ont qu'à laisser agir la nature, et à la suivre sans la contrarier. Montesquieu ne destine le sixième livre qu'à examiner les conséquences des principes des divers gouvernemens, par rapport à la simplicité des lois civiles et criminelles, la forme des jugemens, et l'établissement des peines. En traitant ce sujet avec lui, et profitant de ce qui a été dit précédemment, j'arrive à des résultats plus généraux et plus étendus. Je trouve que la marche de l'esprit humain est progressive dans la science sociale comme dans toutes les autres ; que la démocratie ou le despotisme sont les premiers gouvernemens imaginés par les hommes, et marquent le premier degré de civilisation; que l'aristocratie sous un ou plusieurs chefs, quelque nom qu'on lui donne, a partout remplacé ces gouvernemens informes, et constitue un second degré de civilisation, et que la représentation sous un ou plusieurs chefs, est une invention nouvelle qui forme et constate un troisième degré de civilisation. |