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donc bien peu de liberté. Il n'a surtout pas celle d'être autrement, et de faire que tout soit autrement. Il est soumis à toutes les lois de la nature, et spécialement à celles de sa propre nature. Il ne peut les changer, il ne peut qu'en tirer parti en s'y conformant.

Heureusement ou malheureusement, il est dans sa nature qu'il combine les perceptions de sa sensibilité et les analyse assez pour les revêtir de signes très-détaillés, et qu'il se serve de ces signes pour multiplier ces perceptions et pour les exprimer. Il profite de cette possibilité pour communiquer avec ses semblables et se réunir à eux pour augmenter sa puissance ou sa liberté, comme on voudra l'appeler.

Dans cet état de société, les hommes ont besoin de lois pour régler leur conduite les uns envers les autres. Ces lois ont besoin d'être conformes aux lois immuables de la nature humaine, et de n'en être que des conséquences; sans quoi elles sont impuissantes, passagères, et n'engendrent que désordres. Mais les hommes ne savent pas cela d'abord. Ils n'ont pas encore assez observé leur nature intime pour connaître ces lois néces

saires. Ils n'imaginent que de se soumettre sans réflexion comme sans réserve, à la fantaisie de tous ou à la fantaisie d'un seul qui s'est attiré leur aveugle confiance. C'est le temps de l'ignorance ou du règne de la force. C'est celui de la démocratie ou du despotisme. Dans ce temps, les hommes punissent pour se venger du tort qu'ils croient qu'on leur a fait. C'est la base de leur code criminel. Il n'est que la suite de la défense naturelle. Pour le droit des gens, ou le droit de nation à nation, il est absolument nul.

Ensuite, les connaissances, les relations, les événemens se multiplient et se compliquent. On n'en voit ni la théorie ni l'enchaînement; mais on cherche, on fait des spéculations, des suppositions, on crée des systèmes hasardés, même des systèmes religieux. Des opinions s'accréditent. Il s'établit jusqu'à des puissances d'opinion. On tire parti de tout cela. On s'arrange suivant les circonstances, sans jamais remonter aux principes. On procède par expédiens; et de là naissent différens ordres de choses, différens modes de sociétés, qui sont toujours des aristocraties d'un genre ou d'un autre, sous un ou sous plusieurs chefs, et dans lesquelles les opinions religieuses jouent toujours un grand rôle. C'est l'époque du demi-savoir ou de la puissance de l'opinion. Dans ce temps, à la vengeance humaine se joint l'idée de la vengeance divine; et c'est là le fonds du système des lois pénales. Dans ce temps aussi, il s'établit entre les nations quelques usages que l'on honore du nom de droit des gens, mais bien improprement.

Cette période dure longtemps. Elle existe encore pour presque toute la terre. Cependant de loin en loin, la nature, c'est-à-dire, l'ordre éternel des choses dans ses rapports avec nous, a été observée. Quelques unes de ses lois ont été reconnues. Les erreurs contraires ont été discutées. Si on ne sait pas encore toujours ce qui est, on sait déjà bien souvent ce qui n'est pas. Quelques peuples plus éclairés ou plus entreprenans que d'autres, ou excités par les circonstances, ont tenté de se conduire d'après ces découvertes, ont essayé avec plus ou moins de succès de se donner une manière d'être plus conforme à la nature, à la vérité, à la raison. Voilà l'aurore du règne de cette dernière. C'est le mal et non pas le méchant que l'on combat. Si l'on punit, c'est uniquement pour empêcher le mal à venir. Tel est l'unique principe des lois criminelles à cette troisième époque qui ne fait que de commencer.

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Les gouvernemens nés et à naître sous cette influence, peuvent être regardés comme ayant pour principe moteur et conservateur la raison.

Leur première loi est qu'ils sont faits pour les gouvernés, et non pas les gouvernés pour eux; que par conséquent ils ne peuvent exister qu'en vertu de la volonté de la majorité de ces gouvernés; qu'ils doivent changer dès que cette volonté change, et que néanmoins dans aucun temps ils ne doivent retenir dans leur territoire ceux qui veulent s'en éloigner.

Il suit de là qu'il ne peut s'y établir aucune hérédité de pouvoir, ni y exister aucune classe d'hommes, qui soit favorisée ou opprimée aux dépens ou au profit d'une autre.

Leur seconde loi est qu'il ne doit jamais y avoir dans la société une puissance telle qu'on ne puisse pas la changer sans violence, ni telle que lorsqu'elle change, toute la marche de la société change avec elle.

Cette loi défend de laisser la disposition de toutes les forces de la nation à un seul homme; elle empêche aussi de confier au même corps le soin de faire la constitution, et celui d'agir en conséquence. Elle conduit aussi à conserver soigneusement la séparation des pouvoirs exécutif, législatif, et conservateur ou juge des différens politiques.

La troisième loi d'un gouvernement raisonnable est d'avoir toujours pour but la conservation de l'indépendance de la nation et de la liberté de ses membres, et celle de la paix intérieure et extérieure.

Pour arriver à ce dernier but, il doit chercher à se donner une étendue de territoire suffisante, mais telle que la nation ne soit pas composée d'élémens trop divers, et telle qu'elle ait les limites qui peuvent le moins faire naître des contestations, et dont la défense exige le moins l'emploi des troupes de terre. Par les mêmes motifs, après avoir atteint ce but, on peut se lier avec des nations voisines par des liens fédératifs; et on doit toujours tendre à rapprocher, le plus possible, les relations des nations indépendantes entr'elles, de l'état d'une fédération régulière. Car

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