tesquieu n'a point fait. Il paraît ne songer jamais qu'au degré de latitude et au degré de chaleur, et ce n'est pas dans cela seul que consiste la différence des climats. Je remarque ensuite que s'il n'est pas douteux que le climat influe sur toutes les espèces vivantes, même végétales, et par conséquent sur l'espèce humaine, il est pourtant vrai qu'il influe moins sur l'homme que sur aucun autre animal. La preuve en est que l'homme seul s'accommode de toutes les positions, de toutes les régions, de tous les régimes; et la raison s'en trouve dans l'étendue de ses facultés intellectuelles qui, en lui donnant d'autres besoins, le rend moins dépendant des besoins purement physiques, et dans la multitude d'arts par lesquels il pourvoit à ses divers besoins. A quoi il faut ajouter que, plus ces facultés sont développées, plus ces arts sont multipliés et perfectionnés, c'est-à-dire, que plus l'homme est civilisé, plus l'empire du climat sur lui diminue. Je crois donc que Montesquieu n'a pas vu toutes les causes de cet empire, et que pourtant il s'en est exagéré les effets : j'oserai même dire, qu'il a cherché à les prouver par beaucoup d'anecdotes douteuses et d'historiettes fausses et frivoles, dont quelques-unes vont jusqu'au ridicule. Après ces préliminaires, il considère l'influence du climat comme cause de l'usage des esclaves, ce qu'il appelle l'esclavage civil; de l'esclavage des femmes qu'il nomme l'esclavage domestique; de l'oppression des citoyens à laquelle il donne le nom de servitude politique. Ce sont en effet trois choses bien importantes dans l'économie sociale. Mais premièrement, après avoir peint trèsénergiquement l'usage des esclaves comme une chose abominable, inique, atroce, qui corrompt encore plus les oppresseurs que les opprimés, et sur laquelle il est impossible de faire aucune loi raisonnable, il convient lui-même qu'aucun climat ne nécessite, ni ne peut nécessiter absolument cet excès de dépravation. En effet, il a existé dans les marais glacés de la Germanie, et on peut s'en préserver dans la Zone-Torride. Il ne faut donc pas l'attribuer au climat, mais à la férocité et à la stupidité des hommes. Secondement, quant à la servitude politique, nous voyons des peuples horriblement asservis dans les mêmes contrées de la Grèce, de l'Italie, de l'Afrique, où il en existait autrefois de très-libres, ou du moins de trèsamoureux de la liberté, quoiqu'ils ignorassent en quoi elle consiste, et comment on peut la maintenir. C'est donc plus la constitution de la société que la constitution du climat qui en décide. A l'égard des femmes, il est trop vrai que le malheur d'être nubiles dès l'enfance, et d'être flétries dès leur jeunesse, doit faire qu'elles ne peuvent être aimées en même temps pour leurs charmes et pour leur mérite, qu'elles doivent, en général, avoir peu des qualités du cœur et de l'esprit, et que parconséquent elles doivent être facilement les jouets et les victimes des hommes, et rarement leurs compagnes et leurs amies. C'est là sans doute un grand obstacle à la vraie moralité et à la vraie civilisation : car si l'homme se corrompt quand il opprime son semblable, il se pervertit encore plus profondément quand il asservit l'objet de ses désirs les plus vifs. Ce développement précoce qui empêche les êtres de venir à leur perfection, et cette fureur pour les plaisirs des sens qui les éteint prématurément, et qui, pendant qu'elle dure, égare la raison, sont donc de très-grands maux et on ne peut nier qu'ils existent dans certains pays, quoiqu'il faille bien se garder de croire tout ce que dit Montesquieu sur ce dernier point. Mais enfin toutes choses réduites à leur juste valeur, qu'en résulte-t-il? qu'il y a des inconvéniens attachés à certains climats. A quoi il faut ajouter que les conséquences qu'on en voit souvent résulter, sont loin d'être inévitables, que les institutions et les habitudes peuvent beaucoup y remédier, et qu'enfin la raison est toujours la raison, et doit partout être notre guide. De tout cela je ne vois d'autre conclusion à tirer que de répéter après Montesquieu, que les mauvais législateurs sont ceux qui favorisent les vices du climat, et que les bons sont ceux qui s'y opposent. CHAPITRE XVI. Sur le Livre 18. Des lois dans le rapport qu'elles ont avec la nature du terrain. Il y a loin de la nature du terrain à la chevelure de Clodion et aux débauches de Childéric, et il est difficile de voir la série d'idées qui a pu conduire notre auteur d'un de ces objets à l'autre, et encore plus difficile de dire précisément quel est le sujet de ce livre. J'y trouve d'abord une grande preuve de la justesse du reproche que j'ai osé faire à Montesquieu, à propos du livre onzième, de ne s'être pas fait une idée précise du sens du mot liberté. Il dit dans celui-ci, chap. 2 : La liberté, c'est-à-dire le gouvernement dont on jouit, etc. Il faut convenir que c'est là une singulière liberté, si ce gouvernement est oppresseur, comme il y en a beaucoup. Ensuite il dit chap. 4., que la stérilité des terres rend les hommes courageux et propres à la guerre, tandis que leur fertilité |